Gérald Darmanin : « Il faut plus que jamais placer l’intérêt général au cœur de l’action de l’Etat »

Publié le 12 novembre 2025
Rentree du Conseil d?Etat..10 septembre 2025

Un ministre de la Justice qui agit désormais prioritairement pour « les affaires de l’Etat » dans un contexte politiquement difficile et inédit. Après 3 années à la tête du ministère de l’Action et des Comptes publics, plus de 4 ans au ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin a forcément des choses à dire sur le pays vu depuis son enracinement au Nord (né à Valenciennes en 1982, maire de Tourcoing jusqu’en 2020). Défenseur d’une politique de l’action, il se définit comme un ministre de « l’intérêt général », et s’efforce, à travers ses multiples actions au ministère de la Justice de montrer qu’il peut être utile aux Français, au-delà des clivages partisans.

La défiance démocratique reste forte : abstention, vote protestataire, affaiblissement des partis traditionnels, mouvements sociaux… Selon vous, comment recréer un lien de confiance durable entre citoyens et institutions ?

Je ne vais pas tourner autour du pot : les politiques ont perdu la confiance des Français. Il faut le reconnaître. Une partie de la classe politique a donné l’impression d’être déconnectée des réalités, de parler à elle-même, d’ignorer les blessures profondes vécues par tant de nos concitoyens. Les résultats sont là : hausse de l’abstention, montée des votes populistes, effacement des partis traditionnels, agitation dans la rue… Il n’y a pas de mystère.

Pour ma part, je crois qu’il est grand temps d’assumer cette réalité, et de changer radicalement de méthode. Le politique doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un serviteur du peuple, les pieds dans la terre, pour le peuple. Notre tâche, ce n’est pas de faire des discours en surplomb, ni de jouer un rôle dans un théâtre pour initiés, mais d’agir, au quotidien, concrètement, pour améliorer la vie de chacune et de chacun.

J’en suis convaincu : pour réparer la fracture démocratique, il faut s’inspirer de l’humilité du médecin de campagne, celui qui va au plus près des patients, qui écoute, qui prend le temps, qui soigne avant de donner des leçons. Écouter les Français, accueillir leurs doutes, leurs colères mais aussi leur inventivité, c’est la première étape. Avant de prétendre diagnostiquer et soigner, il faut d’abord regarder le pays en face, sortir des bureaux, aller sur le terrain, multiplier les échanges sans filtre ni tabou.

Mais cela ne suffit pas. Nous devons aussi donner l’exemple. Je pense que les Français n’attendent pas des élus parfaits ou infaillibles ; ils veulent des responsables, sobres, qui se rappellent en permanence leur devoir : celui de servir. Je soutiens sans réserve toutes les pistes qui vont dans le sens d’une éthique retrouvée : fin des privilèges à vie pour les anciens ministres, limitation stricte des avantages indus, responsabilité maximale des élus locaux.

En 1999, Lionel Jospin affirmait qu’« il ne faut pas attendre tout de l’État », une phrase qui avait marqué l’opinion. Vingt-cinq ans plus tard, dans un contexte où l’on attend pourtant beaucoup des pouvoirs publics, quel rôle l’État doit-il et, surtout, peut-il encore jouer ?

Ici, en France, le rapport à l’État est un paradoxe total. On en attend tout mais on lui reproche tout. Un journaliste dans une tribune de presse en 1970 résumait bien ce sentiment : « Les Français n’aiment pas leur État, mais ils en attendent tout – ou presque. Ils le soupçonnent d’être l’instrument des nantis et des puissants, mais ils lui demandent assistance et protection… Bref, chaque citoyen a pour l’État à la fois les yeux de Colbert et ceux d’Alain. »

Sincèrement, il faut le dire : on a parfois confondu État-providence et État-omnipotent. L’État s’est étendu à tous les champs, jusqu’à se disperser, jusqu’à perdre de vue ce qui était fondamental—protéger, accompagner, permettre à chacun de s’émanciper.

Aujourd’hui, les Français attendent encore beaucoup de l’État et ce dernier doit être exigeant et sans doute revenir à ses fondamentaux. Pour moi, c’est clair : il doit pleinement assumer trois objectifs. Le premier, c’est assurer ses missions régaliennes—sécurité, justice, défense, maintien de l’ordre républicain— car c’est là que se joue la confiance collective, c’est là qu’il ne peut pas baisser la garde. Le second, c’est de jouer le rôle de facilitateur, de partenaire, d’accompagnateur de croissance et de richesses. Il doit être celui qui permet la croissance, l’innovation, l’entrepreneuriat : créer un cadre stable, des règles justes, favoriser le travail et la prise d’initiative. L’État doit enfin, surtout, rester le bouclier de ceux qui sont vulnérables, celui qui protège ceux que la vie secoue plus fort, mais sans céder à la tentation de la tutelle permanente, sans tomber dans l’assistanat qui finit par décourager les bonnes volontés.

La France fait face à de fortes contraintes budgétaires. Comment concilier l’exigence de rigueur avec la nécessité de soutenir à la fois la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des Français ?

On entend souvent dire qu’il faudrait choisir : la rigueur budgétaire d’un côté ou le pouvoir d’achat de l’autre, l’exigence de compétitivité pour nos entreprises ou la protection sociale des Français. Je le dis clairement : cette opposition est un faux débat. Ce pays n’a jamais gagné à opposer le capital et le travail. Je veux sortir de ces vieux schémas : il nous faut les deux, et ensemble.

Être rigoureux, ce n’est pas être punitif. Nous devons maîtriser nos finances publiques, parce que la dette, ce n’est pas abstrait : c’est un poids réel pour nos enfants, pour notre liberté d’action dans le futur. Mais la maîtrise budgétaire ne doit pas être synonyme d’abandon social ou de renoncement économique. Depuis des années, nous avons réussi à baisser l’impôt sur les sociétés, à alléger la fiscalité sur la production, à baisser le chômage. Résultat : la France s’est remise à produire, à innover, à attirer des investissements. Et c’est cela qui, in fine, permet de redistribuer, parce qu’on ne partage que ce qui existe.

Je veux que chaque salarié puisse devenir acteur, actionnaire, partie prenante de la réussite de son entreprise. Je veux des entreprises qui jouent vraiment le jeu : investissent, forment, partagent le fruit des efforts collectifs. Et celles qui pratiquent la rétention ou la spéculation stérile doivent savoir qu’elles seront rappelées à l’ordre.

La lutte contre les trafics de drogue et les organisations criminelles était un point clé de votre action ministérielle. Quel bilan en tirez-vous ?

Comme ministre de l’Intérieur, je l’ai souvent dit : dans le domaine de la sécurité, le vrai succès consiste à empêcher qu’un drame ne se produise. Quand il n’y a ni attaque, ni attentat, ni victime, c’est justement parce que nos actions ont été efficaces. Et nous avons été efficaces. Nous avons agi, sans relâche, sur tous les fronts : modernisation massive des moyens, plans de recrutements inédits, équipements nouveaux pour la police et la gendarmerie, déploiement de la justice sur tout le territoire, organisation réussie des Jeux Olympiques.

Nous avons voté et appliqué une loi d’orientation et de programmation ambitieuse : quinze milliards d’euros pour réarmer durablement nos forces de l’ordre, mieux former, renforcer la proximité et la présence de la police nationale et de la gendarmerie là où c’est nécessaire. Nous avons créé près de 8 500 postes supplémentaires, moitié police, moitié gendarmerie, pour sortir du cercle vicieux où les effectifs diminuent alors que les attentes explosent.

Contre la criminalité organisée, notamment le narcotrafic, on a changé de braquet : application rigoureuse de la loi, multiplication des démantèlements, prisons de haute sécurité sorties de terre en quelques mois. Je suis fier d’avoir porté une ligne d’intransigeance contre les trafiquants, les voyous, les bandes violentes qui martyrisent certains quartiers. Mais cela n’a rien d’un catalogue de mesures techniques. C’est une question de respect : respect des citoyens, des victimes, des forces de l’ordre, respect de la justice.

Contre le séparatisme et l’ultra-violence, notre action a été sans faiblesse. Nous avons prononcé un nombre record de dissolutions pour les groupes les plus radicaux, fermé des associations et des mosquées clairement en rupture avec la République, expulsé plus d’imams étrangers qu’aucun gouvernement avant moi. Mais je l’affirme : la fermeté n’est pas incompatible avec la justice. Au contraire, en tant que garde des Sceaux, je veux une justice qui soit rapide, efficace, lisible : en finir avec le trop-plein d’aménagements de peine, renforcer l’exécution des courtes peines, donner les moyens à la justice pénale de faire son travail.

L’Europe fait face à des défis majeurs — défense, énergie, immigration. Quelle vision européenne portez-vous, et comment concilier souveraineté nationale et solidarité européenne ?

Nous le savons tous, l’Europe est aujourd’hui à la croisée des chemins. Défense, énergie, immigration : la crise est partout, et nos réponses doivent être à la hauteur des défis. Personnellement, je porte une ligne claire : plus de souveraineté, plus de responsabilité, plus de solidarité. Cette ligne, je l’assume parce que je suis convaincu qu’elle est la seule option pour que la France, et l’Europe avec elle, reste maîtresse de son destin dans un monde secoué par les grandes puissances.

Prenons l’immigration. L’Europe doit conjuguer responsabilité aux frontières et solidarité entre nations. Il n’est plus possible de promettre à la fois l’accueil large et le laxisme sur le contrôle. Nous devons absolument avancer sur une politique migratoire commune : des frontières extérieures mieux tenues, un enregistrement systématique des arrivants, le refus de laisser certains pays porter seuls la charge de l’accueil. Mais il faut, aussi, qu’une fois ce contrôle opéré, la solidarité joue pleinement, pour répartir dignement l’accueil des demandeurs d’asile et ne laisser aucune nation seule face à la vague.

Face à la multiplication des menaces extérieures, l’Europe, plus que l’Union européenne tant il s’agit de questions qui touchent les Etats, n’a plus le choix : elle doit assumer sa propre défense, investir massivement dans ses industries, renforcer ses outils communs et porter une véritable préférence européenne – car notre avenir ne peut plus dépendre de l’incertitude des alliances extérieures. Cette même exigence, on la retrouve sur la question énergétique : la guerre en Ukraine a mis en lumière notre dépendance aux énergies importées et l’urgence de diversifier nos approvisionnements. Il nous faut investir ensemble dans les nouvelles technologies, privilégier nos atouts – comme le nucléaire pour la France –, afin de garantir la sécurité de notre continent, la compétitivité de nos industries et la stabilité des prix.

La présidentielle de 2027 approche. Quel bilan du quinquennat en cours jugez-vous essentiel de porter devant les électeurs ? Quel rôle envisagez-vous pour vous-même ?

À quelques mois d’une échéance majeure pour notre pays, chacun s’interroge sur le bilan du quinquennat, sur le chemin parcouru, et sur la direction à prendre. Mon premier réflexe, c’est de parler vrai : oui, nous avons agi, parfois sous le feu de la critique, souvent sous la pression de l’urgence, mais sans renier nos convictions. Je crois qu’il y a un fil rouge : le refus du déclin, la volonté de remettre la France debout.

Regardons les faits : la politique de l’offre a permis à nos entreprises de retrouver de l’oxygène, le chômage a reculé comme jamais depuis vingt ans, la fiscalité sur le travail et la production a été abaissée, ce qui n’était pas gagné. Nous avons engagé des réformes courageuses, comme le prélèvement à la source que j’ai eu l’honneur de piloter à Bercy : un changement concret pour des millions de Français. En matière de sécurité, la lutte contre le trafic de drogue, la création de nouvelles places de prison, la modernisation des moyens, la loi narcotrafic, sont des signaux de fermeté assumée. Il reste encore à faire, notamment sur la justice : je porterai dans les prochains mois un projet de loi ambitieux pour rendre notre justice pénale plus rapide, plus lisible, plus ferme sur les peines et leur exécution.

Mais ce bilan ne doit pas masquer autre chose : la nécessité, aujourd’hui, de parler aux Français, non seulement avec des chiffres et des bilans, mais avec du sens, de l’émotion, de l’écoute. Nous n’avons pas toujours su mettre des mots sur les angoisses, sur les attentes, sur le besoin de protection et de perspective. Il faut porter un projet crédible et rassembleur, qui réponde à leurs urgences tout en garantissant nos fondamentaux : la liberté, l’ordre, la dignité, la justice.

Je crois profondément qu’il nous faut dépasser les querelles de personnes, les concours de petites phrases et d’égos qui ont tant abîmé la politique ces dernières années. Il faut plus que
jamais placer l’intérêt général et les priorités citoyennes au cœur de l’action de l’Etat. C’est ce en quoi je m’emploierai dans les prochains mois, en tant que ministre de la Justice. C’est
aujourd’hui la seule et unique ligne qui me guide.