Non, ce n’est pas de SENS dont manquent les entreprises, mais bien de SENSIBILITÉ !

Publié le 26 janvier 2023
Florian Delmas, Choiseul Magazine

Une tribune signée Florian Delmas, Président du groupe Andros.

D’un côté un citoyen face au monde économique, dont on affirme qu’il est « en quête de sens ». De l’autre une entreprise, qui n’a pour seule réponse que de « vouloir donner du sens » et de rechercher, toujours avec autant de rationalité, une mission ou une raison d’être. Elles n’en finissent plus de fleurir. Cela en fait-il pour autant éclore un duo employeur/employé durable et performant ?

Et si, finalement, nous mettions les bons mots derrière les vrais problèmes. Ce n’est pas le manque de sens que toute une génération reproche aux entreprises pour les attirer, les développer et les fidéliser. Mais bien une absence criante de morale et de sensibilité ! Et ce n’est absolument pas la même chose…

Tandis que le sens constitue une idée intelligible servant d’explication et de justification, la sensibilité désigne la capacité, l’aptitude à réagir à des stimuli internes et externes, propre aux êtres vivants. Elle désigne aussi la capacité de recevoir ou la faculté de former des sensations, visuelles, auditives ou autres et de ressentir des émotions, d’avoir des états d’âme, de l’affect et des passions pour réagir d’une façon adéquate aux modifications du milieu.

Plutôt que de favoriser l’émancipation individuelle et collective à travers une véritable expérience sensorielle et affective, l’entreprise, cet être rationnel, a longtemps privilégié les sciences, la connaissance, pour une finalité mathématique, à savoir la maximisation de la valeur financière actionnariale. Friedman affirmait que « l’unique responsabilité sociale de l’entreprise est d’accroître ses profits ». Chaplin, quant à lui, nous alertait déjà à travers le discours final de son œuvre « Le dictateur » : « Les machines qui nous apportent l’abondance nous laissent néanmoins insatisfaits. Notre savoir nous a rendu cyniques, notre intelligence inhumaine. Nous pensons beaucoup trop et ne ressentons pas assez. Etant trop mécanisés, nous manquons d’humanité. Etant trop cultivés, nous manquons de tendresse et de gentillesse. Sans ces qualités, la vie n’est plus que violence et tout est perdu. » N’est-ce pas ce dernier signal d’alerte qui confronte aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, le citoyen et le monde de l’entreprise ?

L’économie est pourtant une affaire d’humains. Et si les entreprises se révélaient et s’assumaient enfin en êtres vivants, doués d’une âme et d’une sensibilité exacerbée à l’égard de leur écosystème. Car comme le disait si bien Maurice Barres, “Ce n’est pas la raison qui nous fournit une direction morale, c’est la sensibilité.” Une sensibilité pour apporter des produits ou des services adéquats à leurs consommateurs et véritables vecteurs de progrès. Une sensibilité pour cultiver une relation constructive et progressiste avec leurs clients et fournisseurs. Une sensibilité pour comprendre l’impact de leur activité sur l’environnement et la biodiversité et y apporter des réponses véritablement efficaces. Une sensibilité affirmée à l’égard de secteurs d’activités, de courants de pensée, de domaines de connaissances très différents des siens, permettant de réfléchir et de bâtir de nouvelles solutions. Une sensibilité pour établir des conditions de travail émancipatrices à leurs collaborateurs. Une sensibilité à l’intuition et l’intelligence émotionnelle des femmes et des hommes qui la compose pour mieux les écouter, les respecter, les responsabiliser.

Plusieurs clés existent pour cultiver la sensibilité au sein d’une organisation et ainsi projeter une direction morale inspirante pour ses collaborateurs.

Avoir une culture forte bâtie sur une vision multi-centrique plutôt que mono-centrée sur l’actionnaire, une attention accrue aux enjeux sociaux et environnementaux de notre siècle et la reconnaissance de l’interdépendance et de la communauté de destin qui lient l’humain à la nature. Dans une vision multicentrique, l’entreprise prend en compte les parties prenantes directes et indirectes de son activité. Elle considère dans leur ensemble à la fois l’actionnaire, le salarié, l’environnement dans lequel elle évolue, les matières premières qu’elle extrait, les pollutions qu’elle génère, les services et produits qu’elle apporte. Elle cherche en permanence et avec agilité un équilibre citoyen entre les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

Favoriser un climat de travail multi-sensoriel, plutôt qu’exclusivement rationnel en transmettant de la confiance, en favorisant la réflexion, l’ouverture et l’autonomie, en érigeant le droit à l’erreur, donc l’initiative, comme unique expérience sensorielle et de démonstration pragmatique, en accordant une place accrue à l’intuition et aux émotions.

Prôner un leadership authentique, le seul qui fait tomber les masques car comme le disait Brené Brown, « l’authenticité, c’est le courage d’être imparfait, vulnérable et de poser des limites », bref, accepter d’être humain, et par empathie, reconnaître l’autre comme être humain.

Cultiver la sensibilité au service des autres pour renforcer sa culture et fédérer les énergies qui font l’entreprise, à l’intérieur comme à l’extérieur. Dresser une direction morale par une sensibilité assumée. N’est-ce pas la clé pour motiver, inspirer, engager et finalement attirer de futurs collaborateurs en leur faisant éprouver un fort sentiment d’appartenance, de l’attention, un lien affectif qui transcende la mission. Car ils étaient tout simplement en quête… de sensibilité.