Face à la complexité croissante des marchés et à l’évolution des régulations, le droit de la concurrence s’impose comme un levier stratégique incontournable. À la croisée du juridique et du business, il structure la croissance, sécurise l’innovation et façonne l’équilibre entre régulation et compétitivité. Une matière vivante, au cœur des enjeux économiques et géopolitiques contemporains. Entretien avec Mathilde Saltiel, associée du cabinet Latham & Watkins LLP.
En quoi le droit de la concurrence est-il un levier stratégique pour accompagner les transformations des entreprises et les grandes évolutions des marchés en Europe et à l’international ?
Le droit de la concurrence est stratégique pour les entreprises car il représente à la fois une opportunité et un risque. Une opportunité, d’une part, car le droit de la concurrence fixe un cadre dans lequel il est possible de croître, aussi bien via des opérations de croissance externe, que par des politiques commerciales ambitieuses. Une opportunité aussi car le droit de la concurrence garantit des règles du jeu que toutes les entreprises doivent respecter, ce qui signifie que l’identification d’une distorsion de concurrence peut conduire une entreprise à saisir un régulateur ou une juridiction pour mettre un terme à ces pratiques. Un risque, d’autre part, car le droit de la concurrence peut freiner des projets d’expansion, surtout lorsque les régulateurs l’appliquent de façon statique et parfois, il faut le dire, dogmatique. Une source de risques aussi car les entreprises doivent se conformer à des réglementations nouvelles, à des règles qui évoluent régulièrement et à des régimes qui connaissent des expansions significatives, aussi bien en Europe qu’à l’international. C’est pourquoi le droit de la concurrence devient incontournable.
Selon vous, quel rôle le droit de la concurrence doit-il jouer demain pour garantir un équilibre entre innovation, régulation et protection des marchés ?
En tant que conseil des entreprises, je constate que les autorités de concurrence prennent souvent des positions très protectrices des marchés, qui prennent insuffisamment en compte les contraintes auxquelles font face les entreprises. Par ailleurs, le champ de protection des autorités de concurrence s’étend désormais au-delà du bien-être du consommateur, pour prendre en compte la protection de l’environnement, de l’emploi ou encore des données privées et de la liberté d’expression. Tous ces objectifs sont bien entendu louables, mais ne sont pas toujours alignés entre eux et ne doivent pas faire passer au second plan la nécessité d’investir, d’innover, d’atteindre une certaine taille critique, d’être compétitif à long terme et de remplir l’objectif d’autonomie stratégique que s’est fixée l’Union Européenne. C’est pourquoi la politique de concurrence, en d’autres termes l’influx politique qui sous-tend l’activité des régulateurs, devient un enjeu de plus en plus crucial, en particulier dans le contexte géopolitique actuel. C’est elle qui fixe ce curseur et arbitre entre ces objectifs.
Qu’est-ce qui vous stimule, personnellement, dans le fait d’accompagner des entreprises au cœur de leurs enjeux stratégiques et de leurs grandes opérations de croissance ?
Ma spécialité nécessite une compréhension approfondie de l’activité des clients que je conseille ou défends. Mon travail quotidien est, par essence, très ancré dans la vie des entreprises et leurs défis et me mène à interagir non seulement avec les directions juridiques mais aussi avec les directions opérationnelles et stratégiques. Cette stimulation intellectuelle, qui exige agilité et curiosité, est ce qui m’anime au quotidien. Elle m’encourage à rester constamment informée, à réfléchir aux évolutions du marché, pour offrir des conseils adaptés à leurs enjeux.
Cet entretien s’inscrit dans le prolongement du palmarès Choiseul Futur du droit 2025, accessible dans son intégralité sur le site de Choiseul France.