Avec une volonté commune de valoriser les décideurs qui ont placé l’engagement au cœur de leur activité, l’Institut Choiseul et la Communauté Les Entreprises s’engagent ont lancé l’Initiative Leadership Engagé en 2023. Cette plateforme animée par la publication d’un palmarès annuel veut apporter un éclairage sur les nouvelles frontières de l’engagement, les bonnes pratiques à reproduire et comment ces dernières peuvent être porteuses d’innovation. Aujourd’hui, dans la lignée de sa série d’articles « Parole de leader engagé », et si l’engagement des dirigeants passait d’abord par l’acceptation du doute ? À rebours des modèles traditionnels fondés sur la performance et la rentabilité, ce témoignage de Frédérick Mathis propose une vision renouvelée du leadership : humble, ancré dans le réel, et résolument tourné vers l’humain et la transition écologique. Une réflexion inspirante sur ce que signifie, aujourd’hui, « diriger autrement ».
Qu’est-ce qu’un dirigeant engagé, selon votre expérience ?
Pour moi, un dirigeant engagé aujourd’hui, c’est quelqu’un qui doute, qui ne craint pas de se montrer vulnérable face aux contradictions du monde actuel. Ce n’est plus le dirigeant qui avance en toute certitude, mais celui qui sait admettre que les vieilles recettes, centrées sur la rentabilité à tout prix, montrent leurs limites. Nous sommes dans un moment de troubles où beaucoup remettent en question un modèle basé uniquement sur l’argent et l’efficacité. C’est inconfortable, mais c’est aussi une opportunité de se réinventer et de faire partie de la réinvention du monde.
Comme l’écrit Dona Haraway, « il nous faut rester avec le trouble », accepter que le changement naît aussi du chaos et des déséquilibres, car c’est là que de nouvelles voies peuvent émerger. Un dirigeant engagé, pour moi, doit être à l’écoute de cette dynamique et être prêt à construire en prenant en compte les paradoxes : faire rimer rentabilité avec responsabilité, et croissance avec respect des individus et de l’environnement. Il faut accepter l’échec pour (se) réinventer.
C’est aussi, comme dirait Hannah Arendt, « se servir de ses mains tout comme un autre ouvrier » et oser déconstruire les schémas habituels pour construire une vision plus juste et collective du travail. C’est ne pas chercher à bâtir un modèle parfait, mais une réalité durable et sincère, où chacun se sent capable de participer à un changement tangible, sans se noyer dans la « grande transition » abstraite dont on entend parler partout. Finalement, être un dirigeant engagé, c’est savoir que l’on est un peu le « mauvais élève » du système, mais se dire que c’est probablement là qu’on est le plus utile.
De quelle action concrète, emblématique, êtes-vous particulièrement fier ?
La création de l’école ETRE en 2017 est probablement la concrétisation la plus satisfaisante de cette promesse d’enfant, faite dans la cour de l’école La Prairie alors que j’avais 9 ans. C’est l’idée qu’au lieu de vouloir réinventer un système complexe, on peut simplement créer des espaces où l’on apprend à faire, à construire, et où l’on redonne aux jeunes le goût d’être eux-mêmes, de reprendre confiance en leur potentiel.
Avec ETRE, je ne voulais pas une école avec de grandes théories, mais un lieu de réconciliation entre la tête et les mains, où l’on apprend le travail manuel comme un vrai métier d’avenir, et non comme une dernière option. C’est un projet où je crois profondément : former des jeunes aux métiers de l’écologie, les voir se transformer, cela vaut mille discours. J’espère que ce modèle pourra inspirer d’autres initiatives, et non pour bâtir « l’école parfaite » mais pour « l’école du terrain », celle qui donne aux jeunes un rôle actif dans la société. Comme l’écrivait l’écrivaine Rebecca Solnit, « parfois, le progrès se produit quand on comprend où l’on a échoué ». Avec 1000 jeunes formés en 2024 dans plus de 26 écoles dans toute la France, je suis particulièrement fier et heureux de cette réussite collective née de rencontres et de défis.
Comment « passer la seconde » de l’engagement et aligner toute activité économique avec des objectifs sociaux et économiques concrets ?
Pour passer à la vitesse supérieure, je crois qu’il faut que notre économie soit conçue autour des personnes et des territoires, pas l’inverse. Si je devais changer une chose dans l’écosystème actuel, ce serait d’installer un système national de reconnaissance pour les compétences écologiques et manuelles : on valorise enfin les métiers du faire, on donne aux jeunes de vraies perspectives d’avenir, et on les incite à devenir des acteurs actifs de la transition.
Pour massifier l’engagement d’ici 2030, il nous faut des dispositifs qui donnent envie aux jeunes de se lancer, comme un revenu écologique jeunes, qui les soutiendrait dans des formations concrètes. Nous avons besoin d’une économie qui récompense ceux qui osent s’engager. Mon souhait est qu’on avance vers une société où l’on parle moins de l’écologie du futur, et davantage de l’écologie que nous faisons, celle de nos « mains sales ».
Pour retrouver le palmarès Les 40 leaders qui s’engagent en 2024, réalisé par l’Institut Choiseul et Communauté Les Entreprises s’engagent, rendez-vous sur le site de Choiseul France.