(Re)Penser l’Afrique !

Publié le 03 janvier 2023
Repenser l'Afrique -Institut Choiseul

Les Français décideurs, politiques, chefs d’entreprise – doivent repenser l’Afrique. On pourrait même dire la penser, tellement ce mégacontinent est plus regardé chez nous avec une longue vue qu’avec un microscope. Depuis l’Hexagone, finistère de l’Europe occidentale, elle est encore trop lue au prisme des perceptions coloniales et néocoloniales (cf. Le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar du 9 novembre 2007 (1) ). On focalise sur un schéma désastreux : misère versus aide humanitaire, violence politique, dictature et cette vision française ne dépasse pas, au plan géographique, le Maghreb et l’Afrique sahélienne.

Or, il faut ouvrir la fenêtre et aller vers le grand large. Non, l’homme africain ne s’est pas « assis sous son baobab en regardant passer le train de l’histoire », comme cela a été malheureusement dit… L’Afrique est en mouvement et il faut comprendre ce qu’il s’y passe.

On doit regarder d’abord la carte et se l’approprier. La première vision sera une surprise. Contrairement à l’impression trompeuse des cartes de Mercator, en kilomètres carrés l’Afrique, (30 415 873 km²) absorberait théoriquement l’Amérique du Nord et l’Australie (32 618 000 pris ensemble) ! Il y a 9 526 km entre Dakar et Mogadiscio et 10 232 km entre Alger et Johannesburg.

C’est donc un continent colossal aux distances vertigineuses qui s’offre à nos yeux. Il est impossible à l’esprit de l’appréhender en sa totalité.

Sans fermer les yeux sur la famine, la pauvreté (490 millions de pauvres en 2021 pour 1, 358 milliards d’habitants (2) ) les pandémies et les situations de guerre et de violence présentes ici ou là, force est de constater que l’Afrique bouge dans le bon sens du terme et que les Africains – sans occulter non plus les nouvelles influences du Golfe, de la Chine et de la Turquie tout comme les anciennes – écrivent désormais eux-mêmes leur propre histoire. Des économies se développent, des fortunes se créent, l’emploi se développe, des innovations jaillissent. La pluralité et la diversité sont également de mise. Passé le constat d’un teint de peau commun à partir de l’Afrique subsaharienne, les histoires des peuples divergent et ont une réalité intrinsèque qui existait bien avant la colonisation. Des cultures différentes se confrontent. Les langues sont innombrables. Il ne faut pas plus nier le différentiel de développement entre pays et au sein de chacun d’entre eux.

Qui plus est, les effets conjugués de la guerre en Ukraine et du changement climatique pèsent sur les performances avec la chute de l’investissement public et la corruption endémique. Le Covid-19 y a tenu également son rôle, même si le continent, habitué aux pandémies, l’a mieux supporté que d’autres.

« Après une année 2020 marquée par le choc de la Covid-19, l’Afrique a renoué avec une croissance positive en 2021, et a mis fin à un épisode récessif inédit, jamais observé dans son histoire récente. Le PIB réel a dépassé son rythme de progression d’avant crise (+ 3,6 % contre + 3,2 % en 2019), porté par l’amélioration de la conjoncture internationale et le relâchement des mesures de distanciation physique. Pour autant, la reprise africaine post-Covid-19 est apparue moins franche qu’ailleurs : la croissance mondiale a atteint en 2021 près du double de la croissance africaine. Ce moindre dynamisme de l’Afrique n’est pas neutre : il menace de creuser l’écart entre le continent et le reste du monde et de mettre fin au processus de convergence à l’œuvre avant la crise. Par ailleurs, au sein même de l’Afrique, d’une région à une autre, la reprise s’est révélée inégale. » (3)

Conjoncturellement, les perspectives globales ne sont donc pas bonnes. L’effet cumulé de la guerre en Ukraine et de la pandémie vont peser sur le développement. « Les Perspectives économiques en Afrique indiquent clairement que la pandémie et la guerre entre la Russie et l’Ukraine pourraient laisser des traces pendant plusieurs années, voire une décennie. Dans le même temps, quelque 30 millions de personnes en Afrique ont basculé dans l’extrême pauvreté en 2021 et environ 22 millions d’emplois ont été perdus la même année à cause de la pandémie. Cette tendance pourrait se poursuivre au cours du second semestre de 2022 et en 2023 » (4). Mais il faut, à travers les mauvais chiffres déceler les bons. Les rapports qui se suivent et se succèdent mettent en avant le manque de soutien international. Force est également de constater que dans certains pays, l’aide internationale ne redescend pas et est siphonnée par la pompe aspirante d’une corruption endémique.

Par-delà ce tableau inquiétant, il faut mettre en avant les potentiels. L’Afrique sort progressivement de l’économie de rente. Le pétrole, le tourisme, les matières premières stratégiques sont bien sûr essentielles pour certains pays, mais la transition est en cours.

Des pays comme l’Ethiopie (malgré la guerre), la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Tanzanie, le Kenya, le Nigeria, le Maroc, L’Ouganda et le Rwanda ont retrouvé une croissance et soutenue. D’autres également progressent.

Pour agir efficacement, c’est sur l’initiative privée qu’il faut mettre désormais l’accent et sur un dialogue inclusif avec les gouvernements dans lequel le partenariat public-privé (PPP) doit trouver une place de choix. Car l’investissement privé et la créativité sont aussi au rendez-vous. Ce sont ces pépites qu’il faut soutenir et qu’il faut aller chercher là où elles sont. En 2020, le rapport Google-IFC, intitulé « e-ConomyAfrica 2020 » (5) prévoyait 180 milliards de dollars de retombées pour 2025 soir 5,1% du PIB africain.

« La croissance des start-up africaines est impressionnante à plus d’un titre. Plus de 560 millions de dollars d’investissement ont été levés en 2017, soit une hausse de 53 % par rapport à l’année précédente. De plus, les incubateurs d’entreprises ne cessent d’essaimer : limités à une dizaine en 2000, on en dénombre près de 500 vingt ans plus tard. Il est cependant intéressant de noter que trois pays se détachent en la matière. L’Afrique du Sud d’abord (167,9 millions de dollars d’investissement), le Kenya ensuite (147 millions de dollars) et le Nigeria enfin (114,6 millions de dollars), selon les données communiquées par Partech Ventures. » (6)

Dans un autre article, le même auteur relève que la République Centre Africaine souhaite engager dans une dynamique de la « blockchain pour faciliter et sécuriser l’épargne de ses citoyens par un accès facilité aux cryptomonnaies face à des systèmes bancaires traditionnels auxquels ils n’ont pas accès » (7). Derrière cette annonce peut-être un peu factice il y a un potentiel réel à exploiter.

Au plan spatial, les possibilités déjà considérables sont énormes. « Les nations africaines utilisent les satellites pour avoir une meilleure vue des problèmes continentaux, allant du changement climatique au terrorisme, pour s’attaquer aux racines des crises sociale et économique. » (8) L’aide à l’agriculture, à l’océanographie, à la détection des ressources naturelles, à la lutte contre les pandémies, la communication et les datas – tous sont des sujets qui sont concernés par la dimension spatiale.

« Entre maintenant et 2025, les nations africaines prévoient de lancer plus de 100 nouveaux satellites, avec plusieurs nouveaux joueurs entrant dans la compétition.» (9) Autrefois, ce domaine était exclusivement occidental et asiatique. Désormais de nouveaux entrants africains (comme l’Afrique du Sud) rentrent en jeu. Ils devraient être de plus en plus nombreux.

Les 18 et 19 octobre 2022, l’Institut Choiseul, dans le cadre de son Africa Business Forum, a réuni à Casablanca, 800 décideurs, chefs d’entreprises et jeunes leaders. Ouvert par le Premier Ministre du Maroc, Aziz Akhannouch, le Président de Madagascar, Andy Rajoelina, la Vice-Présidente du Bénin, Mariam Chabi Talata, le ministre français du Commerce extérieur, Olivier Becht, ont avec bien d’autres participé aux travaux. La rencontre de Casablanca a rappelé que le changement climatique et la nouvelle économie numérique doivent être vues comme des opportunités et non comme des problèmes insurmontables. Paradoxalement, il a été noté que dans certains domaines, la table rase africaine peut permettre un démarrage rapide, plus peut-être que dans des pays anciens où l’adaptation implique un gros effort de remise en cause des habitus.

L’Union européenne ne s’y est pas trompée non plus, qui a lancé le Global Gateway – un nouveau type de partenariat avec l’Afrique plus basé sur l’initiative privée et le développement.

« La stratégie «Global Gateway», nous dit la Commission européenne, « permettra de réaliser des projets durables et de qualité, tenant compte des besoins des pays partenaires et garantissant des avantages durables pour les communautés locales. Elle permettra ainsi aux partenaires de l’UE de développer leurs sociétés et leurs économies, mais également au secteur privé des États membres de l’UE d’investir et de rester compétitif, tout en garantissant les normes les plus élevées en matière d’environnement et de travail, ainsi qu’une bonne gestion financière.

La stratégie «Global Gateway» est la contribution de l’UE à la réduction du déficit d’investissement mondial.» (…) « Entre 2021 et 2027, L’Équipe Europe, c’est-à-dire les institutions et les États membres de l’UE, mobilisera jusqu’à 300 milliards d’euros d’investissements dans le numérique, le climat et l’énergie, les transports, la santé, l’éducation et la recherche. » (10)

L’Afrique est prioritaire dans cette initiative. On voit bien désormais que tout le monde s’accorde pour une politique pro-active visant à favoriser l’investissement et l’initiative publique et privée.

Les Etats-Unis jouent la même partition avec leur talent consommé pour la communication. Le Président Biden a réuni les 14 et 15 décembre 2022, les présidents du Congo, Gabon, Liberia, Madagascar, Nigeria et Sierra Leone, pour un sommet sur l’Afrique prise globalement. S’inspirant de la démarche européenne, ils ont annoncé un programme de 370 milliards de dollars avec un montant de 180 millions spécifiquement dédiés au développement du digital. Certes, bloquer les menées de la Chine et de la Russie sur le continent africain n’est pas étranger à la démarche américaine, mais elle s’inscrit aussi dans une démarche transatlantique. Il n’est pas question pour la grande puissance de laisser en jachère le continent, ce d’autant qu’il laisse présager les plus considérables possibilités de croissance, de contribuer à sa sécurité et de poursuivre l’exploitation des nouvelles matières stratégiques (lithium, cobalt, terres rares, etc.) indispensable à la transition énergétique.

Contribuer à l’émergence d’une Afrique productrice de son propre développement devient donc un enjeu global. Sans négliger, ô combien, l’aide traditionnelle aux plus démunis, il s’agit, et notamment pour la France et pour l’Europe, de se projeter dans un futur africain d’innovation et de technologie. Pour notre pays, le gouvernement doit faciliter cette prise de conscience et faciliter la mise en œuvre d’une politique africaine pro-active, mais c’est maintenant aux entreprises de « faire le job » !


Notes

1) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/11/09/le-discours-de-dakar_976786_3212.html 

2) Mohamed Sneïba, 16 juillet 2022, https://afrimag.net/lafrique-et-ses-chiffres/

3) Yasmine Osman & Christian Yoka, « Les grandes tendances macroéconomiques de l’Afrique et de ses régions », in L’Economie africaine, 2022, p. 7.

4) BAD, Perspectives économiques en Afrique 2022.25 mai 2022, https://www.afdb.org/fr/documents-publications/perspectives-economiques-en-afrique

5) International Finance Corporation (IFC), novembre 2020, https://www.ifc.org/wps/wcm/connect/news_ext_content/ifc_external_corporate_site/news+and+events/news/insights/internet-economy-africa-fr

6) Hervé Diaz, « L’Afrique nouvel eldorado pour les entrepreneurs du XXIème siècle ? », Choiseul-Magazine.fr, 26 août 2022

7) Hervé Diaz, « En République centrafricaine, la recherche de l’émancipation par le bitcoin », Choiseul-Magazine.fr, 8 décembre 2022

8) Idem

9) Pranay Varada, “The Space Race Expands: Why African Nations are looking beyond Earth”, Harvard International Review, 15 avril 2022, https://hir.harvard.edu/why-african-nations-are-shooting-for-the-stars/

10) https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/stronger-europe-world/global-gateway_fr