Lucie Lebaz, autrice et experte en branding : « Peut-on encore diriger sans personal branding ? »

Publié le 16 octobre 2025

À l’heure où l’attention est devenue la monnaie rare, le dirigeant est plus que jamais sommé de devenir une marque à part entière. L’autorité ne se décrète plus seulement par le pouvoir institutionnel, elle se construit par l’influence, la visibilité, le récit. Mais peut-on encore exercer le pouvoir sans « marque personnelle » ?

Le poids du personal branding : chiffres & logiques

La réputation du dirigeant influe la valeur de l’entreprise

Selon une étude relayée par DSMN8, les cadres supérieurs estiment que 44 % de la valeur de leur entreprise est directement attribuable à la réputation de leur PDG. Ce constat illustre la porosité croissante entre la personne et l’institution : l’image du leader est un actif intangible majeur.

Pour n’en citer que quelques-uns, Anthony Bourbon, Vincent Klingbeil, Kelly Massol ou encore Catherine Barba l’ont bien compris : la confiance est liée à l’activité des dirigeants sur les médias sociaux.

C’est ce que confirme une enquête d’Edelman / autres sources, qui montrent que 82 % des consommateurs font davantage confiance à une entreprise lorsque ses dirigeants sont actifs sur les réseaux sociaux. D’une autre étude, 90 % des employés estiment que la participation des dirigeants à la vie digitale de l’entreprise améliore son image globale.

Dans un message de prudence, la même source, ReactionPower, indique que 56 % des membres de C-Level estiment qu’une marque personnelle faible peut nuire à la réputation de l’entreprise. Par ailleurs, un PDG avec une marque forte obtient jusqu’à 5× plus d’engagement sur ses contenus sociaux LinkedIn qu’un PDG moins visible.

Le marché « préfère le leader visible »

Quel est votre premier réflexe lorsque vous faites une nouvelle rencontre professionnelle ? Vérifier son identité sur Google et LinkedIn est bien souvent la première action qui permet d’en qualifier et mesurer la crédibilité. Notre biais d’influence est alors activé : “je le vois partout, alors, je lui donne du crédit”. On demandera aussi l’avis de ChatGPT, et gare aux invisibles : si le robot n’a rien à dire sur vous, vous serez éliminé.

Une autre statistique frappante : 67 % des Américains déclarent qu’ils sont prêts à payer plus pour des produits ou services d’entreprises dont le fondateur ou dirigeant affiche une marque personnelle alignée avec leurs valeurs. Bien que dans certains cas, il peut intriguer (je pense notamment à l’inventeur du Bitcoin, sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto et dont l’identité aujourd’hui reste inconnue), l’anonymat ne séduit pas les cœurs des audiences plus généralement. L’étude de Brand Builders Group l’explique clairement : plus que jamais, nous faisons du business avec des gens avant d’en faire avec l’entreprise. Ce lien direct entre valeurs personnelles, branding du dirigeant et attrait client montre que l’espace personnel du leader devient partie intégrante du “capital marque” de l’entreprise. On choisit un chef d’entreprise avant d’en choisir la maison.

Enfin, avec l’essor des contenus propulsés sur LinkedIn, en podcasts, en newsletters, en vidéos, chaque dirigeant est confronté à une cacophonie de voix et d’une (inévitable) saturation attentionnelle. Rester dans l’ombre, c’est perdre alors des espaces d’expression sur lesquels l’opinion se façonne. Les dirigeants qui acceptent de prendre la parole, orientent l’opinion, créent une aura et imposent leur champ de légitimité en tant qu’ambassadeurs de leur entreprise. Ceux qui doutent encore de la démarche et ne le font pas, laissent les autres décider pour eux de ce qu’ils représentent. Les décideurs, c’est vous.

Une stratégie de retrait possible, mais de plus en plus risquée

Loin d’être un ego trip, le personal branding est une responsabilité pour le dirigeant. Or, mettre une croix dessus est un choix, une posture : celle du retrait, de la modestie, du leadership par les actes plutôt que par l’image. Mais à l’aune des transformations du pouvoir et du monde du travail, cette stratégie peine à tenir sur la durée.

Le vieux dicton est de mise “ loin des yeux, loin du cœur”. Si on ne vous voit pas et que l’on ne vous entend pas, comment peut-on vous identifier ? Mieux, comment créer un lien avec vos prospects et vos futurs prescripteurs ?

Les chiffres sont là : réputation, confiance, engagement, attractivité des clients et des talents se construisent aussi autour de la marque du dirigeant. Un dirigeant invisible n’est pas neutre ; il cède le terrain de l’influence.

En 2025, diriger sans marque personnelle, c’est accepter de laisser les autres parler à notre place, de leur laisser le gouvernail de l’autorité symbolique qui fonde le leadership moderne.

Comme le dit Jeff Bezos : “le branding, c’est ce que l’on dit de vous quand vous n’êtes pas dans la pièce”. J’aime ajouter : c’est aussi ce que l’on dit de vous avant même que vous y entriez.