Delphine Aguiléra-Caron, présidente de J&J Innovative Medicine France et François Gaudemet, président de J&J MedTech France
Proposer des traitements médicamenteux innovants couplés à des dispositifs médicaux à la pointe de la technologie : c’est en recentrant sa stratégie sur ses deux activités b to b phares que le groupe Johnson & Johnson entend faire valoir sa démarche d’innovation à 360° au profit des patients et des systèmes de santé sur l’ensemble du parcours de soins. Un défi d’autant plus stratégique en France, marqué par des mécanismes très contraignants de régulation et de financement des produits de santé. Explications de Delphine Aguiléra-Caron, présidente de J&J Innovative Medicine France, et de François Gaudemet, président de J&J MedTech France.
Alors que J&J a recentré son activité autour de deux piliers clés, les médicaments et les dispositifs médicaux, quelle vision stratégique sous-tend un tel positionnement double sur le marché de la santé ?
Delphine Aguiléra-Caron : depuis fin 2022, en effet, J&J, le leader mondial de la santé, a fait le choix de se séparer de son activité grand public afin de se concentrer sur ses deux entités b to b connexes – la division pharmaceutique qu’est Innovative Medicine et la division dispositifs médicaux, MedTech – propres à booster notre force de frappe sur le secteur. En faisant la part belle aux complémentarités et synergies entre nos deux entités clés, cette nouvelle orientation stratégique atteste de l’engagement affiché par le groupe : celui de réinventer les soins de santé par l’innovation.
François Gaudemet : grâce à cet alignement stratégique au service de l’innovation, place à une approche intégrée et une R&D 100 % axée sur les besoins des patients comme des systèmes de santé ! Si J&J Innovative Medicine se concentre ainsi sur les traitements médicamenteux les plus innovants, J&J MedTech développe des technologies médicales et solutions disruptives pour rendre les interventions chirurgicales plus intelligentes, moins invasives et plus personnalisées. C’est cette démarche d’innovation à 360° qui optimise notre expertise sur l’ensemble du parcours de soins.
Votre budget R&D a suivi, sans doute ?
DA-C : Avec une hausse de 14 % de nos dépenses en innovation par rapport à 2023, la R&D s’impose au cœur de l’ADN de notre groupe ! Soit un budget de 17,2 milliards de dollars pour les deux secteurs, ce qui représente environ 19 % de notre CA mondial. Le leitmotiv du groupe est donc de continuer à investir massivement, l’idée est de trouver des solutions globales face aux maladies graves, invalidantes, voire mortelles, à l’aune des grands enjeux de santé publique actuels comme le sont le vieillissement de la population, l’obésité… Comme nous l’avons d’ailleurs déjà fait pour soigner les Mici, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, et certaines maladies de la peau et cancers hématologiques, de la prostate, du poumon…
FG : le cancer du poumon, première cause de mortalité par cancer en Europe et en France, est bien au cœur de nos travaux de recherche, avec la mise au point d’un nouveau traitement global plus efficace, jusqu’à la prise en charge du patient en bloc opératoire ! La part belle est faite à la chirurgie digitale via des technologies numériques pour mieux préparer les interventions. L’objectif pour les praticiens : optimiser la prise de décision autour de la nature des tissus à traiter. Il faut dire que nos traitements oncologiques sont au cœur de l’un des deux grands programmes robotiques de J&J. Si le premier est donc dédié aux tissus mous, dont les cancers, le second porte sur la chirurgie orthopédique face au développement des maladies articulaires et rhumatismales. Dans ce cadre, nous avons déployé en France, début 2024, une solution d’assistance robotisée propre à répondre aux défis de la chirurgie du genou. Baptisée Velys, cette innovation chirurgicale, conçue par la start-up grenobloise Orthotaxy – acquise par J&J MedTech en 2018 –, accompagne les chirurgiens en temps réel dans le positionnement optimal des implants et l’exécution des coupes osseuses. De quoi garantir une adaptation sur-mesure à l’anatomie du patient et une rééducation optimisée, aussi profitable pour l’intéressé que l’établissement de santé.
La croissance externe est donc aussi l’un des leviers clés de votre stratégie d’innovation…
FG : tout à fait ! La philosophie de J&J part de ce constat : les problématiques de santé auxquelles nous sommes confrontés ne peuvent se résoudre seuls, ce qui suppose de miser sur une stratégie d’innovation ouverte qui favorise des partenariats fructueux. L’objectif à la clé : obtenir la mise à l’échelle de technologies de rupture en santé pour créer une nouvelle norme en matière de prise en charge et de suivi du patient. Un parti que nous avons adopté, par exemple, dans le domaine de la cardiologie avec deux acquisitions aux États-Unis : en 2022, le rachat du fabricant de pompes cardiaques Abiomed et en 2024 celui de la société Shockwave Medical, experte en technologie de traitement des maladies artérielles.
DA-C : cette stratégie de croissance externe se décline sur un champ d’expertise historique pour J&J : celui de la santé mentale, d’ailleurs décrétée grande cause nationale 2025 ! J&J n’a cessé d’innover en la matière avec l’acquisition, début 2025, de la société américaine Intra-Cellular Therapies, spécialiste en produits thérapeutiques pour les troubles du système nerveux central. De quoi très vite nous positionner aux États-Unis sur le marché des traitements des troubles bipolaires et de la schizophrénie.
Pour autant, nous constatons que la commercialisation des produits innovants peut se montrer moins effective en Europe où les procédures règlementaires sont différentes et les délais d’accès au marché bien plus longs. La situation est d’ailleurs encore plus flagrante en France où les freins sont nombreux, à la clé une disponibilité inégale des médicaments sur le Vieux Continent. Preuve en est : 37 % des nouveaux médicaments autorisés en Europe entre 2019 et 2022 n’étaient toujours pas disponibles dans l’hexagone à la fin de 2023. Et ce, contre 12 % seulement en Allemagne ! *
Pourquoi une telle complexité française et comment le secteur espère-t-il y remédier ?
DA-C : comme l’avaient déjà attesté les conclusions d’une mission commanditée en 2023 par l’ex-Première ministre, Élisabeth Borne, notre système de financement et régulation des produits de santé s’avère aujourd’hui inadapté. Ce qui s’explique en premier lieu par une part du budget destinée aux médicaments qui n’est guère plus à la hauteur des évolutions démographiques de la population française et de ses besoins en santé. Et pour cause, entre 2009 et 2020, l’enveloppe budgétaire est restée stable alors que notre population vieillit, avec l’accroissement induit des demandes de prises en charge médicales. En cause également, des procédures d’évaluation plus restrictives et des délais de négociation sur le prix des médicaments et leur remboursement bien plus longs – plus de 500 jours ! – par rapport à nos voisins… Pourtant, la France est le pays d’Europe où les prix des médicaments sont déjà, rappelons-le, parmi les plus bas du continent !
FG : pour éviter tout déclassement de la France en matière d’innovation santé – car c’est bien le risque à la clé ! –, c’est dire si un tel écosystème doit être repensé. D’autant que le marché français, stratégique pour J&J, dispose de multiples atouts comme la présence en nombre de grands hôpitaux à la pointe de la recherche scientifique. C’est pourquoi la France est l’un des pays d’Europe où nous menons le plus d’essais cliniques, avec plus de 1 000 patients embarqués et 300 centres de recherche concernés. Pour autant, face à des mécanismes de régulation très contraignants qui pénalisent l’accès même à l’innovation pour les patients français, nous appelons à des réformes structurelles pour sortir de cette logique budgétaire court-termiste. Dans le cadre des travaux préparatoires de la PLFSS** 2026, nous militons donc, avec nos syndicats professionnels, pour le développement d’une vraie stratégie pluriannuelle, holistique, offrant plus de prévisibilité pour les acteurs du secteur et ne freinant pas le déploiement d’innovations en santé avant tout bénéfiques pour l’ensemble de la société.
*Source : Résultats du Baromètre 2024 de l’attractivité de la France pour les entreprises du médicament
**Projet de loi de financement de la Sécurité sociale




