Transition énergétique : et si le vrai changement venait de la finance ?

Publié le 26 août 2025

Tandis que 2030 approche, le retard public dans la transition verte se poursuit. Plus libre de ses mouvements, le secteur financier entend montrer la voie en développant ses propres modèles tout en apportant son expertise et ses financements au travers de partenariats public-privé.

Depuis plusieurs années, le retard énergétique français est pointé du doigt. Selon Eurostat, notre pays se situait en 2023 en 15e position européenne en part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique. En mars 2025, l’Élysée a annoncé un retard de lancement de trois ans de ses EPR2 (réacteurs pressurisés européens), qui entreront en service en 2038 au lieu de 2035. Quant à l’EPR de Flamanville, il ne vient que récemment d’être reconnecté à son réseau électrique après plusieurs mois d’arrêt. Ajoutons-y d’autres contraintes publiques, qu’elles soient budgétaires ou réglementaires. Le secteur public apparaît prisonnier de ses propres règles malgré ses engagements et l’urgence de la transition énergétique. Dans le privé par contre, de nombreux schémas et initiatives se développent. Au sein de ces écosystèmes indépendants des jeux politiques, se développent des visions propres et des modèles d’effectivité, qui viennent ensuite appuyer les besoins des acteurs publics.

Les Family office et l’investissement durable

Un modèle prisé des anglo-saxons mais moins développé en France est celui des Family offices, structures qui gèrent généralement une fortune familiale. Leur capacité d’action en pousse certains à chercher un impact positif. Tel est le cas de Jeff Skoll, le premier PDG d’eBay, avec son single-family office Capricorn Investment Group, fondé en 2000 et qui se revendique « leader dans l’investissement durable ». Capricorn, qui gère 9,6 milliards de dollars d’actifs, a par ailleurs créé un fonds pour les investisseurs durables (Sustainable Investors Fund – SIF). Ce dernier investit au travers d’une « gamme de solutions de financement sur mesure » et selon les critères suivants : alignement sur la philosophie de l’impact, solutions à impact innovantes, scalabilité de l’impact, et partenariats stratégiques. Le SIF s’engage à partir de là à piloter et valider des modèles d’investissement innovants, à établir des normes d’impact avec les gestionnaires d’actifs, ou encore à fournir des exemples de succès pour inciter d’autres entreprises à investir et générer de ce fait un effet d’entraînement. Mais aussi, de montrer la « relation symbiotique » qui existe entre la performance financière et l’impact social & environnemental. Cette approche du fonds créé par le family office a entraîné un déploiement par le SIF de 290 millions de dollars dans des entreprises de gestion d’actifs émergentes centrées sur la durabilité. Les KPI cumulés des quinze partenaires du SIF, inscrits dans les Objectifs de développement durable et répartis sur les solutions climatiques, le capitalisme inclusif et les marchés durables, représentent plusieurs dizaines de milliards de dollars.

En tant qu’acteur de référence, Capricorn participe à des partenariats public-privé au travers de diverses initiatives et co-investit dans des projets verts. Son Sustainable Investors Fund s’illustre par exemple au travers du fonds SER Capital Partners, qui travaille notamment auprès de clients « institutionnels » et « municipaux ». Mais parmi ses divers partenariats, nous pourrons surtout retenir une prise de participation de 20% de Capricorn dans Norselab, une plateforme européenne à impact sise en Norvège et qui a tenu en octobre 2024 son Norselab Impact Day annuel. Ayant réuni une centaine d’investisseurs, il eut pour thème central « l’avant-garde des investissements utiles » et présentait les résultats potentiels des entreprises à impact. Ce Norselab Impact Day est organisé en coopération avec Investinor, qui est un fonds d’investissement public norvégien, au cours de l’Oslo Innovation Week. Au-delà de cet évènement, Norselab s’est davantage investi auprès des pouvoirs publics norvégiens au travers d’un partenariat avec Eksfin. Cette agence gouvernementale se trouve placée sous la tutelle du Ministère du Commerce, de l’Industrie et des Pêches norvégien et n’est autre que l’Agence de crédit export du gouvernement. Eksfin et Norselab ont investi conjointement dans Rift Labs. Norselab apporte 4,5 millions d’euros d’investissement pour étendre la technologie LED de l’entreprise dans l’agriculture d’intérieur. Halvard Aagaard, PDG de Rift Labs, a déclaré à ce titre que le partenariat avec Norselab « permettra de faire passer notre offre photosynthétique au niveau supérieur ».

Les fonds d’investissement à mission

Hors des family offices, la même volonté d’impulser des tendances durables se retrouve par exemple chez des investisseurs engagés. En France, Méridiam est l’un de ceux-ci. Cofondé par Thierry Déau et doté d’un statut de société à mission (cf. loi PACTE), il dispose de plus de 23 milliards d’euros d’actifs sous gestion et se dédie aux investissements de long-terme dans les infrastructures durables. Depuis sa création en 2005, il revendique plus de 87 milliards d’euros d’investissements répartis sur 130 actifs / projets à travers le monde. Dans son rapport d’impact, son Comité de mission mentionne que Méridiam a établi « des fonds à impact avec l’intention de fournir des investissements avec des bénéfices positifs pour la société et l’environnement », tels que des écoles neutres en carbone ou des énergies renouvelables disponibles pour les communautés les plus pauvres. À l’image du Capricorn Investment Group, la stratégie de Méridiam trouve un écho favorable. En un an, la valeur de l’entreprise a grimpé de 34,7 à 40,8 milliards d’euros. Comme pour le SIF de Capricorn, ses piliers sont déclinés en trois thèmes : climat, populations, nature, et s’inscrivent eux aussi dans les ODD de l’Agenda 2030. En parallèle, le fonds de dotation de Méridiam, lancé en 2015, subventionne chaque année plusieurs initiatives, « implémentées en collaboration avec des ONG et des sociétés de projet de Méridiam ». Cet écosystème d’acteurs étudie ensuite les KPI en lien avec les Objectifs de développement durable. Enfin, la stratégie de Méridiam combine les ODD avec des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Avec l’américain Global Infrastructure Partners (GIP), Méridiam est l’un des deux actionnaires majeurs de Suez, dont le président est également Thierry Déau et qui est depuis 2021 à l’origine d’un type hybride de partenariat public-privé : Odivea, à Dijon. Il s’agit de la première SEMOP (société d’économie mixte à opération unique) multi-services de France, composée de Dijon métropole pour le côté public et de Suez pour l’apport privé. Spécialisé tant dans la gestion des déchets que sur les questions d’assainissement, cette entreprise appuie ici la collectivité en apportant aussi bien sa capacité de financement – un total de 100 millions d’euros – que d’innovation. Le CNRS, partenaire de Suez et plus grande structure française publique dans la recherche scientifique, précisait en avril 2025 que cet acteur privé se distinguait, en termes d’innovation, par « 400 chercheurs et 1 300 experts, 10 centres d’Excellence et de Recherche en France et en Chine, 1800 brevets déposés dont 37 en 2024. Suez est entré pour la première fois dans le Top 50 de l’Institut national de la propriété intellectuelle des déposeurs de brevets (37ème place) ». Au-delà de la simple industrie, c’est aussi la capacité de Suez à émettre avec succès des obligations vertes auprès d’acteurs financiers qui lui permet de finaliser ses activités et acquisitions dans la transition énergétique. En novembre 2023 par exemple, l’entreprise a obtenu de plus de 200 investisseurs « une sursouscription de 5,5 fois et un livre d’ordres atteignant 2,7 milliards d’euros ».

Les assureurs, acteurs majeurs de la transition

Allianz représente une autre catégorie d’acteurs privés pour qui la transition verte représente un intérêt croissant, à rebours de certains préjugés : les compagnies d’assurance. Si Capricorn Investment Group et Méridiam sont chacun signataires de la Net Zero Asset Managers Initiative, Allianz a de son côté investi dans le lancement d’un outil, SAMEpath. Il propose un suivi des réductions d’émissions et des investissements requis pour parvenir plus rapidement à la neutralité carbone et fournit une analyse des pistes à suivre en ce sens pour une cinquantaine d’industries. Il ne s’agit que d’un exemple de cette entreprise qui disposait en 2023 de 89 milliards d’euros d’actifs sous gestion sur les seuls risques ESG. Allianz était par ailleurs présente sur 202 fonds durables et se réclamait de l’atteinte de 100% des KPI environnementaux sur ses propres activités. Dans son rapport sur la durabilité et l’engagement actionnarial, Allianz Global Investors communiquait sur le rôle moteur que le groupe entend jouer dans un avenir proche : accélération de la biodiversité dans les processus d’investissement notamment grâce à la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD, une initiative elle aussi privée), redéfinition du concept d’ESG « grâce à l’intégration de données plus pertinentes et à l’adoption de nouvelles méthodes de détection des risques majeurs et des opportunités les plus prometteuses », ou encore « façonner le marché » en pesant sur l’évolution de la réglementation concernant la transition verte.

Comme Suez, Allianz est habituée aux partenariats public-privé à succès. En 2021 au niveau européen, Allianz Global Investors et la Banque européenne d’investissement (BEI) ont lancé conjointement l’EMCAF, le Fonds d’action climatique sur les marchés émergents. Il présente pour objectif de regrouper les secteurs public et privé afin de réaliser un but commun : faire converger les investissements vers les pays émergents et en développement pour accroître leur résilience et leur capacité d’action en faveur de la transition énergétique. En janvier 2025, l’EMCAF a atteint sa taille finale de 450 millions d’euros et cherche à mobiliser 7,5 milliards d’euros de financement. Le communiqué de presse de la BEI précise que l’EMCAF entend investir dans une quinzaine de fonds, qui attribueront eux-mêmes des fonds à 150 projets. Le rôle pivot du secteur privé est reconnu au travers d’un propos d’Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI : « L’EMCAF montre le potentiel des partenariats public-privé pour combler le déficit mondial de financement de la lutte contre les changements climatiques. » En juin 2022, le G7 avait lui-même soutenu cette initiative. Quant aux chiffres, le rapport d’impact annuel 2023 dispose avoir levé cette année-là plus de 200 millions d’euros de capital privé. Les fonds dans lesquels l’EMCAF a investi ont pour leur part levé 627 millions d’euros, et 450 millions de plus dans des projets au travers d’emprunts et de capitaux propres. Au niveau social et environnemental, l’EMCAF avait cette année permis d’éviter près de 800 000 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, et accru les productions d’énergies renouvelables de 771 GWh, au bénéfice de plus de 240 personnes et foyers.

Ce ne sont que trois types de structures, mais l’ensemble de l’écosystème privé, qui se compose aussi par ailleurs de trusts caritatifs, de start-ups, de banques commerciales ou de private equity, fourmille de noms, d’idées et de financements qui font défaut au secteur public, confirmant le rôle à la fois pilote et moteur du privé dans la réalisation des grands projets de transition énergétique.