Reconduite en 2026, la reconnaissance de la santé mentale comme grande cause nationale prolonge l’engagement déjà pris en 2025. Cette première séquence avait permis une avancée culturelle majeure : elle a rendu visible ce qui demeurait silencieux et fait entrer la souffrance psychique dans le champ des enjeux collectifs, et non plus des seules fragilités individuelles. Dépression, anxiété, isolement : ce qui relevait autrefois du non-dit a été légitimé, partagé, mis au centre du débat public. Mais une grande cause n’est jamais un aboutissement : elle ouvre une phase nouvelle. Pour transformer l’essai, il faudra aligner l’ambition du discours avec les réalités de terrain. Car si les mots progressent, les conditions de vie et de soin, elles, restent fragiles. Il s’agira désormais de structurer et d’agir, vite, car il y a urgence.
Pour comprendre ce qui se joue, encore faut-il rappeler ce que recouvre la santé mentale. L’Organisation mondiale de la santé la définit comme un état de bien-être qui permet de se projeter, d’apprendre, de faire face aux difficultés, d’entretenir des relations satisfaisantes et de contribuer à la vie collective. Ce n’est pas seulement l’absence de troubles : c’est la capacité de tenir debout dans un monde qui accélère. Elle constitue un miroir de nos conditions d’existence, de nos attentes, de nos liens sociaux et du degré de protection ou de vulnérabilité que la société offre à chacun.
Un système de soins fragilisé au moment même où la parole se libère
La grande cause de 2025 a permis une prise de conscience réelle, mais elle a laissé intacte une contradiction profonde : au moment même où l’on parlait davantage de santé mentale, l’accès au soin continuait de se dégrader. En quinze ans, le nombre de lits en psychiatrie a reculé d’environ 22 %, les postes vacants se sont multipliés et la pédopsychiatrie est devenue l’un des secteurs les plus fragilisés, avec des délais d’accès parfois de six à douze mois qui, pour des enfants en plein développement, peuvent transformer un trouble transitoire en fracture durable. La mobilisation symbolique n’a pas suffi à reconstituer les capacités cliniques. La grande cause a permis de libérer la parole ; elle n’a pas rétabli les moyens de soigner.
La santé mentale dépasse le soin : elle s’enracine dans nos conditions de vie
Il serait par ailleurs réducteur de limiter la santé mentale au seul champ médical. Elle se construit au croisement de nos conditions de vie : qualité du cadre quotidien, intensité des liens sociaux, rythmes professionnels, sentiment de sécurité, capacité à trouver sa place. Dans une société plus individualisée, plus rapide et plus connectée, les fragilités se révèlent plus vite, et plus brutalement, en particulier chez les jeunes, dont les repères se transforment au rythme des plateformes et des comparaisons incessantes. L’amélioration de la santé mentale suppose donc de renforcer tout ce qui protège et stabilise : un environnement qui relie, apaise, donne de la consistance. Il ne s’agit pas un supplément d’âme, mais bien un déterminant sanitaire.
Quatre chantiers pour répondre à la crise
Pour que la reconduction de la grande cause en 2026 soit un tournant et non une répétition, quatre chantiers paraissent essentiels.
1. Reconstituer la capacité de soin
Le premier consiste à reconstituer la capacité de soin. Aucune stratégie ne sera crédible si l’accès à la psychiatrie continue de se contracter. Il convient ainsi de revaloriser les carrières, renforcer les équipes, rouvrir des capacités d’accueil et faire de la pédopsychiatrie une priorité nationale. Il ne s’agit plus d’ajuster l’existant, mais de reconstruire un service réellement capable de répondre dans des délais compatibles avec la dignité humaine et les besoins.
2. Faire de la santé mentale une politique véritablement transversale
Le deuxième chantier implique de reconnaître la santé mentale comme une politique transversale. Elle ne peut être cantonnée au seul ministère de la Santé : elle traverse l’organisation du travail, les mobilités, l’urbanisme, la vie associative, la culture, le sport, les rythmes de vie. Ce sont ces environnements, au quotidien, qui stabilisent ou fragilisent les individus. Faire de la santé mentale un principe directeur des politiques publiques, et non un îlot spécialisé, permettrait enfin d’agir sur les causes structurelles et pas seulement sur leurs symptômes.
3. Soutenir la diversité des prises en charge et l’innovation
Le troisième chantier consiste à soutenir la diversité des prises en charge et l’innovation clinique et organisationnelle. Aucune réponse unique ne peut couvrir l’ensemble des besoins : l’avenir passe par un continuum réel, associant hospitalisation quand elle est indispensable, ambulatoire renforcé, unités mobiles, dispositifs intensifs, passerelles entre secteurs et innovations capables d’éviter les ruptures de parcours. L’objectif n’est pas de multiplier les dispositifs, mais de proposer des réponses souples, coordonnées et humaines, au plus près des trajectoires de vie.
4. Prendre soin de ceux qui soignent
Enfin, aucun modèle ne tiendra si l’on ne protège pas ceux qui soignent. Les médecins, infirmiers et autres professionnels de santé et autres évoluent dans un système saturé, sous tension, parfois au bord de la rupture. La charge émotionnelle, la complexité administrative et la pénurie de moyens pèsent sur leur propre santé mentale. Les signaux d’alerte sont même plus nets chez les futurs professionnels : près d’un quart des étudiants infirmiers déclarent une mauvaise santé mentale ou des idées suicidaires, selon l’association Soins aux Professionnels de Santé, un chiffre qui dit tout d’un système qui fragilise ceux qu’il forme. Soutenir les soignants n’est pas un supplément humaniste ; c’est une condition de stabilité.
La reconduction de la grande cause n’est donc pas un geste répétitif, mais une occasion rare : celle de construire, enfin, une stratégie durable à la hauteur des besoins du pays. Nous avons collectivement brisé le silence ; il nous revient désormais de bâtir les réponses.




