Gildas N’Zouba (Sunu Assurances) : « La transformation numérique va nous donner le moyen d’atteindre des clients encore inaccessibles »

Publié le 29 septembre 2025

Vingt ans d’assurance à son actif et toujours cette « capacité à générer de la croissance rentable et à lancer des projets d’innovation créateurs de valeur pour les parties prenantes de l’organisation ». Ce directeur général à triple casquette qu’est Gildas N’Zouba n’est pas venu à l’assurance par hasard comme le prouve son master II en assurance et gestion des risques de l’École nationale d’assurance de Paris, enrichi d’un Executive MBA de HEC Paris et d’un diplôme en actuariat du Conservatoire national des arts et métiers en France. C’est en 2016 qu’il rejoint le groupe Sunu créé par Pathé Dione en 1998. Depuis 2021, il incarne cette entreprise panafricaine de services financiers présent dans 17 pays d’Afrique subsaharienne, fort d’une trentaine de sociétés d’assurance et autres sociétés affiliées. Un poste clé d’observation de l’économie africaine.

Vous avez évolué aussi bien dans des cabinets de conseil internationaux qu’au sein de groupes africains de premier plan. Quelles leçons tirez-vous de ce double regard sur les modèles de gouvernance et de gestion du risque ?

La caractéristique qui me paraît le plus différencier les modèles de gouvernance entre les environnements est la centralisation de la gestion et de la prise de décision.

Dans les environnements internationaux, les systèmes d’information permettent depuis déjà des dizaines d’années de catalyser les informations au sein des organisations, de les stocker et de les rendre exploitables pour les décisionnaires à chaque échelon. À titre d’exemple, l’avènement des ERP dans les années 1970 ou encore de puissants CRM dans les années 1980-1990 illustrent parfaitement cette puissance développée dans la gestion et l’exploitation des informations. Cette disponibilité de l’information réduit plus aisément l’asymétrie d’information qui existe entre un mandant et son mandataire, avec la promesse d’une gouvernance plus décentralisée. A contrario, en Afrique, les investissements dans les systèmes d’information dans tous les secteurs, en particulier dans certains pans de l’industrie financière restent très insuffisants. La gestion des risques procède plus d’une approche empirique adossée à l’expérience que d’une approche qui se voudrait quasi scientifique car processée et adossée à un système d’information.

L’assurance est souvent perçue comme un secteur technique. Qu’est-ce qui vous a personnellement attiré dans ce domaine ? Comment transmettez-vous cette passion aujourd’hui à vos équipes ?

L’assurance est-elle un domaine plus technique que la pétrochimie par exemple ? Je n’en suis pas sûr… ! (sourire).

En réalité, l’assurance, c’est ce qui la rend complexe, embrasse tous les autres domaines de l’économie dès lors qu’il existe un risque et de l’assurabilité. Ensuite, l’assurance est une combinaison entre des mathématiques – les sciences actuarielles –, la microéconomie – les processus de décision d’achat des consommateurs –, du droit, compte tenu de l’asymétrie d’information forte entre les assurés et les assureurs, et parfois même de l’ingénierie dès que l’on aborde des risques techniques comme un immeuble ou une raffinerie de pétrole par exemple !

Ensuite, dans nos vies quotidiennes, l’assurance est partout présente. Qu’il s’agisse de notre voiture, du taxi que l’on prend, de notre logement, de notre crédit bancaire, de notre lieu de travail, l’assurance est présente.

C’est cette transversalité disciplinaire et cette présence dans tous les pans de la société et de l’activité économique qui rend ce métier passionnant ! Et c’est aussi la conscience que l’on apporte de la sécurité financière à ceux qui nous font confiance qui est un moteur quotidien.

Cette compréhension de l’assurance, je la partage sans cesse avec mes équipes afin que nous soyons pleinement conscients du rôle central que nous tenons dans le développement des activités sociales et économiques de nos environnements. Notre métier autorise des entrepreneurs à prendre certains risques qui se traduisent par de l’investissement et de la croissance.

Vous êtes aujourd’hui à la tête de Sunu Assurances Vie CI, acteur historique en Afrique de l’Ouest. Comment conciliez-vous cette histoire/identité locale forte avec les impératifs de modernisation et d’innovation ?

De manière globale, l’on assiste à un recentrage des économies sur elles-mêmes sinon dans leurs sous-régions immédiates. La pandémie de covid 19 suivie de la guerre russo-ukrainienne ont eu pour effet de questionner la trop grande dépendance des économies entre elles. Ainsi, aujourd’hui, un ancrage local fort me paraît plutôt être un atout.

De l’autre côté, entre en jeu une globalisation des usages, des outils, des possibilités offertes aux consommateurs de produits et de services. Le foisonnement de technologies aboutit à une consommation à la demande, selon ses préférences. En cela, notre identité africaine doit se traduire par une modernisation de nos opérations et de nos méthodes, en phase avec nos réalités socio-économiques. C’est sur ce dernier volet qu’il nous reste beaucoup à faire car de nombreux produits et services restent encore peu accessibles pour nos populations en raison d’un manque d’innovation et de connaissances technologiques des acteurs pour les rendre accessibles au plus grand nombre.

La numérisation du groupe Sunu est en marche. Quels sont, selon vous, les principaux défis à surmonter pour réussir une transformation numérique sans rupture sociale ?

Dans le concept de « transformation numérique », le terme le plus important est probablement « transformation ». Chez Sunu, nous nous sommes posé la question avant tout de nos interactions avec nos clients, pour mieux les servir. La conséquence de cette évolution des interactions est un meilleur design des opérations en back-office, condition sine qua non pour offrir un meilleur service au client.

Notre marché n’a pas atteint l’étape de saturation des besoins de nos clients ni la totalité des clients adressables. Nous en sommes même encore assez loin. La transformation numérique est donc vue comme un levier de croissance car elle va nous donner le moyen d’atteindre des clients encore inaccessibles. À telle enseigne que la nouvelle architecture des GIE Sunu Business adresse le client à 360°, pour ses besoins en assurance vie et non vie.

D’où l’intégration de nouveaux métiers au sein de l’organisation qu’accompagne la création de notre société de technologies, Sunu DigiTech, dirigée par un « Choiseulien » ! Ces mouvements ont mis plus que jamais le capital humain au centre de notre démarche de développement et de croissance. La « transformation numérique » vient en réalité positionner la gestion des talents et la montée en compétences des collaborateurs comme un enjeu stratégique.

Dans une zone UEMOA en forte croissance, comment adaptez-vous votre stratégie aux attentes d’une clientèle jeune, connectée, mais encore peu assurée ?

Outre l’évolution de notre business model qui intègre une brique technologique plus dense et adaptable, tout comme l’orientation client forte matérialisée par la création des GIE Sunu Business, nous avons fait évoluer notre démarche de conception des produits et services en partant réellement des besoins formulés par nos clients, ce que nous nommons l’outside in, plusieurs approches à la clé : une simplification de la présentation des couvertures d’assurance, une numérisation progressive des parcours de souscription sur les offres grand-public et des parcours de gestion des sinistres et prestations à terme, un renforcement des partenariats de distribution avec des acteurs de l’écosystème pour proposer nos offres en package, une mise en avant de services complémentaires à nos offres pour donner une dimension tangible à l’assurance.

En soutien de ces axes de travail, depuis maintenant trois ans, nous conduisons des caravanes de sensibilisation, d’éducation dans les quartiers d’Abidjan notamment. Cette démarche a vocation à être reproduite dans nos pays de présence.

À vos yeux, quel rôle les acteurs de l’assurance peuvent-ils jouer dans l’évolution des sociétés africaines, au-delà de leur fonction économique directe ?

Je l’ai dit déjà, la transversalité de l’assurance en tant que levier de gestion des risques en fait par nature un secteur d’activité clé dans la construction d’une société, d’une économie.

Ensuite, nos économies souffrent d’une insuffisance de financements pour les projets structurants et de long terme, nécessaires à une amélioration du cadre de vie des citoyens et à la structuration d’économies de transformation et de services. Le développement de l’assurance et de l’assurance vie en particulier sera la garantie d’une épargne domestique de long terme, alignée sur les besoins de financement des économies africaines.

Enfin, il faut savoir que sur l’Afrique francophone au sud du Sahara, 14 pays partagent depuis plus de 30 ans la même réglementation des assurances, à la clé une simplification encore plus importante des frontières entre ces 14 pays. Nous avons la conviction qu’en approfondissant cette intégration du marché des assurances et en poursuivant l’accompagnement de nos entreprises et institutions dans leur développement sous-régional et régional, l’assurance sera également un levier d’une plus grande intégration africaine.

Comment faire en sorte que la culture de l’assurance pénètre davantage les milieux populaires et ruraux, souvent réticents à ces mécanismes de couverture ?

Un maillon essentiel de notre chaîne de valeur doit être l’éducation à l’assurance, au risque, à la protection financière. À quoi s’ajoute une meilleure compréhension des mécanismes de mitigation des risques, d’épargne et de protection financière. Les sociétés d’assurance souffrent probablement d’un déficit d’information qui aiderait à mieux appréhender les leviers de la construction d’une confiance forte entre elles et les populations non assurées.

Outre cet aspect, la compréhension des multiples dimensions de ces populations est essentielle. Enfin intervient la capacité technique des sociétés d’assurance à traduire toutes ces informations en offres et services pertinents tout en maintenant une capacité financière solide. Par « capacité technique », j’entends une couverture des risques au bon prix, une qualité de gestion pour répondre au client et une qualité d’information propice à l’installation d’une confiance de long terme.

Quel regard portez-vous sur l’émergence des fintechs africaines dans le domaine assurantiel ? Menace, opportunité ou les deux ?

Les fintechs dans le domaine de l’assurance, les insurtechs, sont aujourd’hui assez peu nombreuses en réalité, contrairement aux fintechs des services de paiement, d’épargne ou de crédit. Une première explication sont les barrières élevées à l’entrée ainsi que la particularité du produit d’assurance qui demande un temps de vente plus élevé que les autres services financiers. Ce temps de vente rend pour le moment presque indispensable une interaction humaine au moment de l’acte d’achat, à la souscription. Mais, assez récemment, nous observons une évolution notable sur le sujet, qui devrait ouvrir de nombreuses possibilités. Le coût d’acquisition d’un nouveau client est plus élevé que dans les autres activités financières qui sont « pull », là où l’assurance est « push ».

La seconde explication est la réglementation qui, dans sa configuration actuelle, ne prévoit pas d’acteur de ce type-là. Et dans le cas où un acteur insurtech prendrait un agrément de courtage par exemple, les exigences qui en découlent en matière d’organisation administrative et de reporting risquent d’annihiler la dynamique de cette insurtech.

À court et moyen terme, l’émergence de type d’acteur est plutôt une opportunité pour les acteurs traditionnels. D’abord parce que les freins à leur expansion donnent le temps aux assureurs traditionnels de s’approprier leurs points forts après avoir intégré les contraintes réglementaires et environnementales. Ensuite parce que leur croissance limitée favorise des éventuels rapprochements avec les acteurs traditionnels, dans le cadre de synergies opérationnelles, voire d’opérations capitalistiques.