Culture et luxe: pour un nouveau pilier stratégique au cœur des grands groupe

Publié le 08 septembre 2025

Une stratégie d’alliance entre deux forces d’excellence françaises

Et si la culture devenait le prochain pilier stratégique du luxe français ? Une entité pleinement intégrée, à l’égal des divisions Parfums & Cosmétiques, Mode & Maroquinerie ou Montres & Joaillerie. Non pas un département support ou une fondation périphérique, mais un pôle transversal, pensé pour irriguer l’ensemble de l’écosystème créatif et industriel des groupes. Une stratégie de fertilisation croisée, structurée à la manière des autres métiers d’excellence que le luxe sait si bien organiser.

Car le luxe et la culture sont, depuis des siècles, deux des domaines d’excellence absolue de la France. Deux forces qui ont suivi des chemins distincts, mais historiquement entremêlés : l’artisanat d’exception et l’imaginaire collectif, les savoir-faire et les récits, l’émotion esthétique et la puissance économique. Et si le moment était venu de les réunir, non plus seulement dans des partenariats ponctuels, mais dans une vision systémique, au cœur même de la stratégie des grands groupes ?

En cette rentrée 2025, l’arrivée de Luca De Meo à la direction générale de Kering crée les conditions d’un mouvement de fond. Un cycle s’achève. Après une décennie de croissance spectaculaire, le luxe est entré dans une zone de turbulence : recul des ventes, essoufflement des marchés asiatiques, marges sous tension, désir en berne. Comme si les ressorts traditionnels – logos, exclusivité, storytelling millimétré – ne suffisaient plus à enchanter.

Il est temps de passer à une nouvelle étape. Non plus simplement réenchanter les marques, mais les réenraciner. Réarmer leur imaginaire. Et pour cela, renouer avec ce qui a toujours été leur moteur invisible : la culture et son ferment, la création.

Le luxe ne se régénérera pas sans la culture

La culture est une puissance. C’est là, dans l’art contemporain, le cinéma, la musique, la littérature, le spectacle vivant, que se forgent les imaginaires collectifs. Là que se cristallisent les désirs. L’histoire du luxe est celle de la captation de ces courants profonds. Le mécénat des Médicis, la relation intime entre Yves Saint Laurent et les peintres modernes, les parfums inspirés par Proust ou Colette : autant d’exemples où le luxe ne vendait pas des objets, mais incarnait une vision du monde.

Aujourd’hui, de nombreuses maisons souhaitent pas à pas renouer avec cette force fondatrice. Certaines multiplient les passerelles avec le cinéma et les arts visuels : Chanel avec le programme Through Her Lens au Festival de Tribeca, LVMH avec 22 Montaigne Entertainment, Kering via sa participation dans CAA, et Saint Laurent à travers sa propre maison de production cinématographique. A.P.C. tisse des liens profonds avec la scène musicale indépendante. L’Officine Universelle Buly a imaginé des parfums inspirés des chefs-d’œuvre du Louvre.

Surtout, vitrine la plus éclatante, plusieurs groupes ont déjà pris pied dans le champ muséal et patrimonial. La Fondation Louis Vuitton, la Bourse de Commerce – Pinault Collection, la Fondation Cartier, la Fondation Galeries Lafayette : autant d’institutions majeures, qui marquent l’attachement réel de ces maisons à la création, et à sa patrimonialisation.

Mais ce n’est pas cela le cœur du sujet. Ces fondations, ces projets et ces initiatives, restent souvent satellites, séparées des décisions stratégiques, des collections, des processus de création. À défaut d’une vision structurée, ces élans restent dispersés, exposés à l’essoufflement ou à l’instrumentalisation ponctuelle. Le défi est désormais d’intégrer la culture non pas à côté, mais dedans. Non pas comme vitrine, mais comme matrice.

Un pilier Culture pour fertiliser tout l’écosystème

Concrètement, un pilier, ou autrement dit une division « Culture et Création », serait chargé de créer des ponts nouveaux : entre les studios de création et les conservateurs de patrimoine ; entre les artisans d’excellence et les artistes émergents ; entre les marques et les institutions culturelles ; entre les produits et les récits. Il porterait des projets audiovisuels, des expositions, des résidences, des collections croisées. Il deviendrait un laboratoire d’influence et de sens, à l’intersection du geste créatif et de l’innovation industrielle. Structurée en division autonome, cette entité permettrait de mutualiser les ressources, de mieux capter les talents culturels, et d’identifier des synergies là où les projets restent aujourd’hui cloisonnés. Elle créerait des effets de levier tangibles : en rapprochant les métiers de la création et ceux de la communication ; en orchestrant les initiatives culturelles à une échelle stratégique plutôt que dispersée ; en apportant une lisibilité forte aux valeurs profondes portées par chaque maison.

Cette approche traduirait un changement radical de focale, et répondrait à un besoin profond du secteur : retrouver du souffle dans un monde saturé d’images, d’objets et de discours. Elle répondrait aussi à une attente générationnelle : les jeunes consommateurs ne veulent plus seulement acheter des marques, mais comprendre ce qu’elles incarnent. Et elle répondrait enfin à un impératif stratégique : dans la compétition mondiale du désir, ce sont les récits, les esthétiques, les visions du monde qui font la différence.

Le luxe n’a jamais été aussi puissant économiquement, malgré son ralentissement récent. Il doit maintenant l’être symboliquement. Il s’agit de faire de la culture et de la création, sous toutes leurs formes, un actif stratégique à part entière, au même titre que les autres divisions métiers. Ce pilotage dédié offrirait une capacité accrue d’anticipation, de collaboration et d’invention – un levier pour générer du sens autant que de la valeur. Une stratégie d’enracinement, d’alliance, de fertilisation croisée. Une manière de renouer avec la profondeur.

Il ne s’agit pas ici d’imiter les modèles industriels existants, mais bien d’inventer un modèle nouveau – un modèle européen, sensible, exigeant, ouvert, où l’esthétique nourrit l’économie, où le patrimoine inspire l’innovation, où le luxe redevient une promesse de temps, de sens, d’émotion.

Créer un véritable pilier Culture dans les groupes de luxe serait un acte fondateur. Une manière de dire que le luxe n’est pas seulement un produit ou une image : c’est un langage. Et que ce langage, pour rester vivant, doit se nourrir de la grande conversation du monde.