Lors d’une conférence de presse à Londres début avril, le Premier ministre finlandais Alexander Stubb a déclaré : « Nous devons nous préparer moralement au fait qu’à un moment donné, la relation s’ouvrira [avec la Russie] au niveau politique. » Une déclaration surprenante, tant Helsinki adopte une ligne dure envers Moscou, et alors que ce type de réflexion reste largement tabou en Europe.
Il y a, il est vrai, de nombreuses raisons de considérer que la question ne se pose pas. La guerre d’Ukraine se poursuit impitoyablement malgré les récents contacts diplomatiques russo-américains ; Vladimir Poutine – qui estime, à tort ou à raison, n’avoir jamais été aussi près d’atteindre ses objectifs – n’est pour l’heure pas dans une logique de compromis. L’évolution et les dérives du régime russe constituent un autre obstacle majeur (c’était d’ailleurs le cas bien avant février 2022). Tout comme le « tournant vers l’Est » engagé par le Kremlin en 2014, qui relève désormais d’un mouvement tectonique vers l’ensemble du monde non-occidental et dont il y a lieu de penser qu’il est irréversible. S’agissant de la France, la Russie conduit une politique hostile – dans le cyberespace, en Afrique et sur de très nombreux autres théâtres.
L’Europe et la Russie sont-elles ontologiquement vouées à la confrontation ? Un nouveau rideau de fer contribuerait-il à la sécurité de notre continent ? La France a-t-elle intérêt à ne plus avoir de véritables relations – politiques, économiques, culturelles et universitaires – avec la Russie ? Une analyse dépassionnée devrait nous conduire à la conclusion que la crise actuelle n’est pas sans précédent et que les affrontements – parfois directs et beaucoup plus violents – ont toujours été suivis, depuis le 18ème siècle, de périodes de coopération et de rapprochement.
Il n’y a aucune raison de croire que la tragédie ukrainienne constitue la fin de l’histoire entre la Russie et le reste de l’Europe. Considérer que les choses sont figées ad vitam aeternam en Russie n’est pas non plus une hypothèse sérieuse. La Russie reste fondamentalement un pays européen sur le plan civilisationnel. Sa population, qui vit très majoritairement à l’Ouest de l’Oural, ne veut pas d’une rupture avec l’Europe et ne se reconnaît pas dans les discours et constructions idéologiques sur l’Eurasisme.
A l’heure où le monde connaît de grands bouleversements, refuser a priori toute réflexion sur nos relations futures avec la Russie nous condamne à subir et rétrécit les horizons stratégiques de la France.