Jessica Matoua David (NEMOW Lab) : « L’ambition n’a pas de genre, mais l’accès aux ressources, lui, en a encore un »

Publié le 14 mai 2025

Jessica Matoua David, présidente-fondatrice de Fargo Consulting et de NEMOW Lab, œuvre pour l’inclusion économique des femmes. A l’occasion du Women Entrepreneurship Summit 2025, elle revient sur les enseignements clés et les leviers pour que toutes les ambitions puissent se concrétiser.

Qu’est-ce que le Women Entrepreneurship Summit ? Quelle était l’ambition du WES 2025 ?

Depuis sa création, le Women Entrepreneurship Summit s’est imposé comme un temps fort pour penser l’entrepreneuriat des femmes autrement. En 2025, nous avons choisi de concentrer les échanges sur une question clé : comment l’accès -ou non- aux ressources conditionne-t-il l’ambition et la trajectoire des femmes entrepreneures ? L’objectif était clair : dépasser les approches individuelles pour interroger plus structurellement ce qui permet à un projet de se lancer, de tenir, de grandir. Et le constat est clair : l’ambition n’a pas de genre, mais l’accès aux ressources, lui, en a encore un !

Cette année, nous avons voulu croiser les regards, confronter les vécus et identifier ensemble les leviers qui permettent à chaque ambition de se transformer en projet. Ce sommet, c’est une invitation à faire tomber les barrières invisibles, en mettant en lumière les inégalités d’accès mais aussi les marges d’action possibles dans la finance, les réseaux, l’accompagnement ou encore la culture de l’échec.

Justement, quels enseignements tirez-vous de cette édition ?

Ce que confirme cette édition, c’est que l’écart ne se situe pas dans les idées ou dans la motivation, mais dans la capacité à accéder aux bonnes ressources, au bon moment. L’entrepreneuriat est souvent présenté comme une affaire de volonté individuelle, mais en réalité, c’est une mécanique complexe, qui mobilise des leviers financiers, relationnels, cognitifs, symboliques. Et sur tous ces plans, les écarts persistent.

Quelques chiffres suffisent à le rappeler : à peine plus de 35 % des entreprises françaises sont créées par des femmes et lorsque l’on considère les entreprises innovantes ou technologiques, ce ratio chute à 10 % selon l’INSEE. Les startups portées par des équipes exclusivement féminines ont d’ailleurs en moyenne 30 % de chances en moins d’être financées par les grands fonds de capital-risque (SISTA, 2022). Ce n’est pas un manque d’ambition, c’est un biais d’accès.

Nous avons aussi entendu des témoignages très puissants sur la manière dont le capital social, la confiance ou encore la gestion du doute influencent les parcours. Derrière chaque trajectoire, il y a un rapport particulier aux ressources – certaines évidentes, d’autres invisibles – et c’est cette complexité que le WES cherche à rendre visible. Pour changer les règles du jeu, il faut d’abord accepter de regarder les écarts en face.

Comment les ressources influencent-elles concrètement l’ambition entrepreneuriale des femmes ?

L’ambition n’est pas un capital figé : elle se nourrit ou s’épuise selon l’environnement. Ce que montre notre travail au sein de NEMOW Lab, c’est que les ressources au sens large jouent un rôle décisif dans cette dynamique. Une femme qui doute, qui ne se sent ni légitime ni accompagnée, n’aura pas la même liberté de projection qu’une autre qui dispose d’un réseau de soutien, d’un regard positif sur le risque ou d’un entourage qui l’encourage à entreprendre.

70 % des femmes entrepreneures déclarent être concernées par le syndrome de l’imposteur, contre 50 % des hommes (Harvard Business Review, 2021). Cela ne dit rien de leur compétence réelle, mais tout d’un environnement qui influence la perception de leur propre légitimité, façonné par des stéréotypes encore bien ancrés. De la même manière, seules 24 % des femmes prévoient de créer leur entreprise dans les trois prochaines années, contre 31 % des hommes (NEMOW Lab x Bpifrance Le Lab x Ifop, 2024).

Ces écarts ne traduisent pas un déficit d’ambition, mais un différentiel d’accès aux ressources de confiance, de crédibilité et de légitimité. Ce sont des ressources invisibles mais fondamentales. Et si l’on veut vraiment favoriser l’entrepreneuriat féminin, il faut aussi travailler sur ces dimensions : élargir les cercles, déjouer les biais, rendre visible l’invisible.

Quels leviers prioritaires ont émergé des discussions ?

Trois leviers se sont imposés avec force tout au long du sommet. Le premier, c’est la nécessité de rendre les ressources accessibles plus tôt, avant même que l’ambition ne s’épuise. Trop de projets portés par des femmes s’essoufflent faute d’un premier soutien financier, d’un accompagnement adapté ou d’un regard extérieur capable de détecter le potentiel.

Le deuxième levier, c’est l’ouverture des réseaux. Le financement en capital-risque repose encore largement sur des recommandations issues de réseaux fermés. Sans les bonnes introductions, il devient difficile d’accéder aux opportunités, même lorsque les projets sont solides. Il faut transformer ces réseaux fermés en espaces d’accélération ouverts.

Enfin, un troisième levier souvent sous-estimé : faire évoluer notre culture de l’ambition. Tant que l’on enfermera les femmes dans des imaginaires normés – sérieux contre audace, prudence contre prise de risque – les écarts persisteront. Promouvoir une culture qui autorise l’échec (qui est toujours productif !), valoriser la pluralité des modèles de réussite, c’est aussi ça, créer les conditions d’un entrepreneuriat plus inclusif.