L’ambition ne suffit pas : quand l’accès aux ressources conditionne la réussite entrepreneuriale

Publié le 17 avril 2025

Entreprendre est souvent présenté comme une question d’audace et de volonté. Mais lorsque l’on prend un peu de recul, force est de constater que la détermination, aussi solide soit-elle, ne suffit pas toujours à transformer un projet en succès. Parmi les enjeux centraux, un facteur se révèle particulièrement décisif : l’accès aux ressources, financières, humaines, intellectuelles, sociales, sans lesquelles même la meilleure idée peut rester lettre morte.

Un état des lieux préoccupant

Si l’ambition n’a pas de genre, l’accès aux ressources, lui, en a encore un. Moins de 3 % des fonds de capital-risque en France sont alloués à des entreprises fondées par des femmes (SISTA, 2023) ; seules 7 % des levées de fonds supérieures à 1 million d’euros concernent des équipes exclusivement féminines (Bpifrance, 2023) ; à compétences égales, les projets menés par des femmes obtiennent en moyenne 30 % de financements en moins que ceux de leurs homologues masculins (Harvard Business Review, 2021).

Ces statistiques ne pointent ni un manque d’idées ni un déficit de talent féminin. Elles illustrent plutôt un filtre invisible qui freine l’accès aux capitaux et aux opportunités. Des freins d’autant plus forts que l’entrepreneuriat exige de mobiliser rapidement les bons appuis : soutien initial, mentors pertinents, environnement qui valorise le droit à l’erreur… Autant de sujets qui ont été au cœur des échanges lors du Women Entrepreneurship Summit, organisé début mars à l’UNESCO.

L’importance du capital social, cognitif et émotionnel

Réduire la réussite entrepreneuriale à une seule question de financement serait une erreur. Le « capital social » constitue un levier fondamental de crédibilité et d’accélération. Or, 80 % des investissements en venture capital proviendraient encore de recommandations issues de réseaux restreints. En clair, sans introduction dans les bons cercles, convaincre un investisseur, signer ses premiers contrats ou bénéficier de conseils stratégiques devient un parcours semé d’obstacles.

Au volet social s’ajoute la dimension cognitive et psychologique. Le doute, l’isolement ou le syndrome de l’imposteur peuvent saper des ambitions pourtant légitimes. L’éducation, l’environnement familial, la perception du risque jouent un rôle fondamental. Les statistiques soulignent que 70 % des femmes entrepreneures se sentent concernées par ce syndrome, contre 50 % des hommes — et il ne s’agit pas de faiblesse personnelle, mais souvent d’une intériorisation de stéréotypes profondément ancrés. Ces écarts façonnent des parcours inégaux où certains avancent sans entraves tandis que d’autres doivent déconstruire des freins invisibles avant même de se lancer.

Changer la donne : trois leviers d’action

Si nous voulons une économie plus innovante, plus inclusive et plus performante, nous devons repenser la manière dont les ressources sont distribuées. L’enjeu n’est pas seulement de soutenir les entrepreneurs déjà en marche mais de s’assurer que toutes les ambitions puissent se transformer en projets viables.  Cela passe par trois leviers majeurs :

  1. Rendre les ressources accessibles avant même que l’ambition ne s’épuise

  • Identifier plus rapidement les projets à fort potentiel et faciliter leur accès aux premières enveloppes financières.
  • Réorienter l’accompagnement vers les profils sous-représentés, sur la base de critères objectifs plutôt que d’une logique d’entre-soi.
  1. Transformer les réseaux fermés en accélérateurs ouverts

  • Mettre en place des plateformes de mise en relation qui privilégient la complémentarité des compétences plutôt que la proximité relationnelle.
  • Valoriser les entrepreneurs et les investisseurs qui ouvrent leur réseau à des publics moins visibles, en intégrant cet impact à l’évaluation de leur réussite.
  1. Faire évoluer la culture de l’ambition

  • Refondre les critères d’évaluation du risque et du potentiel entrepreneurial, pour ne plus enfermer certains profils dans des biais inconscients.
  • Déconstruire les stéréotypes dès la formation initiale : normaliser le fait qu’une femme puisse se projeter en tant que leader et qu’un homme puisse douter.
  • Promouvoir une culture qui autorise l’échec productif : rebondir après un revers n’est pas un manque de sérieux, mais la preuve d’un apprentissage.

Un jeu de ressources plus qu’un jeu de hasard

La réussite entrepreneuriale n’est pas une simple question de talent ou de chance. Ceux qui réussissent ne sont pas seulement les plus ambitieux, mais ceux qui ont pu s’entourer des bonnes ressources au bon moment.  La question n’est donc pas de savoir si les femmes ont moins d’ambition que les hommes, mais de savoir si nous leur donnons, ainsi qu’à tous ceux qui entreprennent, les mêmes chances d’accéder aux ressources qui transforment l’ambition en succès.

Ne pas poser cette question, c’est accepter que l’innovation et la croissance économique continuent d’être entravées par des barrières invisibles. L’ambition n’a pas de genre, mais l’accès aux ressources, lui, en a encore un.