Entré en tant que Directeur administratif et financier en 2012, Fabrice Collet prend la tête de B&B Hôtels en 2016. Depuis 1992, le groupe breton a implanté 880 hôtels dans 17 pays dont 450 en France. En pleine croissance, le groupe vient d’ouvrir son premier établissement aux Etats-Unis (Orlando, Floride). Rencontre avec Fabrice Collet, Président et CEO du groupe B&B Hôtels et intervenant du dernier Club Choiseul sur le thème du développement des territoires.
Quel regard portez-vous sur le secteur de l’hôtellerie et quelles ont été les tendances de ces dernières années ?
En premier lieu, il faut rappeler que le secteur de l’hôtellerie se distingue par deux approches très différenciées et qui fonctionnent très bien. D’un côté, une hôtellerie « expérientielle » et valorisante pour le client (comme proposent par exemple Mama Shelter, les marques de luxe, les expériences dans des lieux atypiques, les chaînes haut de gamme, etc) et une hôtellerie utilitaire (comme la nôtre) qui convient à tous, et apporte les basiques. Par conséquent, on peut s’interroger sur les perspectives de l’ancienne hôtellerie milieu de gamme, ni bon marché ni valorisante.
Le secteur de l’hôtellerie se caractérise depuis quelques années par une logique de « the winner takes it all » avec une consolidation autour de quelques marques et une disparition des acteurs n’ayant pas la masse critique pour être identifiés par les consommateurs.
Chez B&B Hotels, nous comptons 900 hôtels économiques dans 17 pays, dont la moitié a ouvert au cours des 5 dernières années. Une expertise qui nous permet aujourd’hui d’appréhender les grandes tendances du marché français de l’hôtellerie économique. Déjà, il faut garder en mémoire que Paris est une île économique largement déconnectée du reste du pays. Et on a constaté, dans les années 2010-2015, un recentrage massif de l’activité autour des 7 métropoles régionales et un ralentissement autour des sous-préfectures. Un phénomène de métropolisation qui est entré dans une tendance inverse depuis le Covid, et donc un regain d’attractivité des territoires devrait perdurer dans le temps. Il apparaît donc que la période est charnière pour le développement des territoires.
Selon vous, quels freins ou avantages caractérisent le paysage local français par rapport à l’étranger ?
En premier lieu, nous bénéficions en France d’un marché très mûr car il s’agit d’un secteur installé depuis les années 70-80 grâce aux fondateurs visionnaires d’Accor. Ces derniers ont importé le modèle anglo-saxon des chaînes. C’est donc un marché où les gains de part de marché comptent plus que la création d’offre, et où tout se joue sur la modernité du produit (il convient donc d’investir plus que les autres…) et son efficacité (être plus économe en main-d’œuvre pour être plus compétitif en coût).
Malgré cet avantage, la France se caractérise par une forte réglementation de la construction neuve, qui la rend difficile, longue (notamment à cause des délais administratifs) et coûteuse. Cela favorise depuis quelques années un modèle de reprise d’hôtels existants qui est, à la fois, inflationniste pour le consommateur car il crée une limitation de l’offre et une rente immobilière, et moins attractive pour l’investisseur. Ce n’est pas un cas unique. Au cours des dix dernières années, l’Allemagne, auparavant plus « business friendly » est progressivement devenue plus administrée et contraignante aussi. Les derniers terrains propices à la construction neuve en Europe sont l’Espagne et le Portugal. Ce sont donc nos terrains de développement prioritaires avec les États-Unis. Notons que ces derniers ne sont pas exempts des travers observés en Europe, contrairement aux idées reçues, mais offrent généralement des perspectives de retour sur investissement plus attractives.
Enfin, il faut souligner que beaucoup de difficultés d’exploitation en France sont liées à des problèmes sécuritaires (agressions, prostitution, etc). Certes, ces sujets existent partout mais leur ampleur en France ne peut être comparée à aucun autre pays dans lequel nous opérons. Ceci nous contraint à mettre en place des mesures de sécurité, efficaces mais très coûteuses, qui in fine sont inflationnistes pour les consommateurs.
Quels sont les facteurs locaux que vous prenez en compte pour votre politique de développement ? Comment les politiques locales impactent-elles votre activité ?
Tout d’abord, la France est très attractive car il existe, chez nous et en Allemagne, une vraie logique de territoire qui n’existe nulle part ailleurs en Europe. À cela s’ajoute que notre pays est suffisamment grand pour qu’on puisse y voyager et dormir hors de chez soi. Ce qui n’est pas, par exemple, le cas de la Belgique où 50% des voyageurs ne sont pas belges. Enfin, nous sommes un pays développé sur l’ensemble de son territoire (contrairement à l’Italie ou à l’Espagne) et où les écarts de niveau de vie entre métropoles et provinces ne sont finalement pas si grands (contrairement aux pays de l’Est).
Ensuite, et évidemment, des facteurs locaux sont à prendre en compte pour le développement d’une entreprise. L’attractivité des villes notamment : on constate ainsi que des villes comme Grenoble, Nîmes, Rennes ou encore Toulouse sont en perte d’attractivité depuis une quinzaine d’années. Le problème réside dans un mix de faible dynamisme économique, de problèmes de sécurité, de difficultés de circulation et donc, d’accès aux hôtels. Autant de points que les politiques et stratégies locales peuvent influer. En effet, il convient de rappeler que les villes contrôlent complètement l’urbanisme, et donc l’offre, dans le métier d’hôtelier où l’offre crée, dans une large mesure, la demande. À cela s’ajoutent les difficultés liées aux cycles politiques notamment les élections municipales, une période où tous les projets de construction sont mis à l’arrêt généralement.
Trop rarement, des élus locaux prennent en compte ce que l’implantation d’un de nos hôtels peut apporter au territoire. Pourtant, l’hôtellerie économique emploie a minima 50 000 personnes en France. Et c’est un formidable métier d’ascenseur social. Un patron d’hôtel B&B gagne bien sa vie et est un role model pour sa communauté.
À cela s’ajoute la problématique de la formation. Comme nous ne trouvions pas dans les programmes traditionnels les jeunes dont nous avions besoin, B&B Hôtels a créé son propre programme de formation et apprentissage de jeunes (60 étudiants à ce jour, aux profils très divers). Nous continuons à affiner notre offre notamment car les jeunes apprécient qu’une formation soit reconnue par l’État, mais les cadres existants sont très étroits et assez inadaptés et aussi pour isoler les étudiants qui pourraient être intéressés par notre métier qui n’est pas très connu. Enfin, pour des raisons de masse critique, nous avons encore du mal à déployer ce modèle hors de Paris, Lyon et Marseille. La solution sera de travailler à l’échelle d’une branche plutôt que d’une société, mais nous n’y parvenons pas encore !