Grève et manifestations massives en Inde face à la crise agricole qui touche le pays

Publié le 21 décembre 2020

Frappés de plein fouet par la crise agricole, les fermiers indiens ont déclenché une vague de manifestations contre le gouvernement Modi qui vient d’autoriser la libéralisation du marché agricole. 

Alors que le premier ministre indien, Narendra Modi, a été désigné premier responsable des maux agricoles, Mukesh Ambani et Gautam Adani, à la tête de mastodontes agroalimentaires, se sont à leur tour attiré les foudres des fermiers, qui ont immolé en place publique leurs effigies. Un acte symbolique qui illustre la détresse extrême des paysans en proie à la misère économique et sociale. 

La réforme de la discorde

Il n’a pas fallu longtemps avant que la réforme sur l’agriculture ne mette le feu aux poudres. Le gouvernement Modi, qui promet par l’instauration de cette nouvelle loi, “une augmentation des revenus des agriculteurs”, a adopté trois textes, les Farms Bills, visant la libéralisation du marché agricole indien. Une annonce gouvernementale qui “relève du libéralisme le plus débridé”, selon la formule de Palagummi Sainath, journaliste et fondateur du portrait People’s Archive of Rural India. 

« Ces lois vont affranchir le marché des Minimum Support Price et ne peuvent qu’aggraver la situation des fermiers” explique Kavitha Kyryganti, présidente de l’Alliance for Sustainable & Holistic Agriculture. Les agriculteurs bénéficiaient jusque-là du système des prix minimaux garantis qui les protégeaient des entreprises privées de l’agroalimentaire depuis la révolution verte de 1960. Une décision qui les conduit désormais à la précarité, libres de vendre leurs récoltes où et quand bon leur semble, mettant fin aux prix planchers et aux marchés régulés par l’Etat, appelés mandis. Alors que neuf paysans sur dix disposent de moins de deux acres de terre (soit 0,8 hectares), comment négocier auprès d’entreprises cotées en Bourse sans intermédiaire ? 

Une crise alimentaire structurelle

Dénoncées par les partis d’opposition solidaires de la grève nationale du 8 décembre, Mukesh Ambani et Gautam Adani, deux figures du “capitalisme de copinage”, alimentent le brasier de la colère, dernière manifestation d’une crise structurelle qui touche les campagnes indiennes depuis 25 ans déjà. Une situation meurtrière qui a entraîné le suicide de 350 000 paysans en un quart de siècle en raison de leur surendettement. 

Avec le confinement du pays, instauré au printemps dernier en raison de la crise de Covid-19, des millions de migrants de l’intérieur ont été mis à rude épreuve par le chômage et l’indigence, participant à la paupérisation de la classe agricole. “Entre 1991 et 2011, l’Inde a perdu 15 millions d’agriculteurs. Ce sont 2 000 personnes par jour, en moyenne, qui sont allées grossir les rangs des ouvriers sans terre aux revenus misérables”, déplore Palagummi Sainath.

Dans une Inde où la pauvreté profonde côtoie une grande richesse, les inégalités ne cessent de croître ces dernières années. L’agriculture, qui permet pourtant de subvenir aux besoins de 800 millions de personnes, ne pèse plus que 16 % du PIB, tandis qu’une centaine d’individus se partageaient en 2019 l’équivalent de 22 % du PIB.