La souveraineté industrielle commence dans les matériaux — et les grands groupes l’ont déjà compris
On parle beaucoup de souveraineté industrielle en Europe. D’énergie, de semi-conducteurs, de cloud, d’IA, de relocalisation. Mais dans ce débat foisonnant, un élément essentiel demeure absent : les matériaux avancés qui composent tout ce que nous fabriquons.
Aucune chaîne de valeur ne peut être souveraine si elle dépend, à son point de départ, de matériaux importés, non recyclables, ou soumis aux tensions géopolitiques. Sans maîtrise des matériaux, il n’y a ni autonomie industrielle, ni sécurité, ni compétitivité, ni innovation durable.
Un continent dépendant à la base même de son industrie
L’Europe maîtrise des procédés, des usines, des chaînes logistiques. Ses politiques visent à en maîtriser de plus en plus dans les prochaines années. Mais elle ne maîtrise plus suffisamment les matériaux primaires qui les nourrissent. Jusqu’à 90% de ces matériaux sont produits ou raffinés hors de notre continent. La raison est compréhensible et peu critiquable, il n’y a plus d’industrie minière de masse, ni de raffinerie en Europe.
Il convient de regarder du côté de la fin de vie des matériaux pour comprendre l’état complet de notre supply chain. La plupart des matériaux de qualité finissent encore incinérés ou enfouis, faute de technologies de recyclage adaptées. C’est le cas des matériaux essentiels à l’industrie aérospatiale et éolienne par exemple.
Cette double vulnérabilité — à l’importation et à la fin de vie — fragilise nos secteurs stratégiques : mobilité, construction, énergie, électronique, espace, défense.
La souveraineté n’est pas un retour au passé
Débattre de souveraineté ne signifie pas revenir à une industrie d’hier. Il s’agit d’inventer des filières résilientes, capables de fonctionner dans un monde fragmenté où les chaînes logistiques sont devenues des terrains de compétition.
La souveraineté industrielle moderne n’est plus uniquement fondée sur la capacité d’extraction, mais sur la capacité à repenser les matériaux eux-mêmes : leur conception, leur transformation, leur recyclage, leur traçabilité.
Extractivisme contre dépendance ? Faux dilemme. L’Europe peut créer un autre chemin : celui des matériaux avancés circulaires, où elle possède déjà des atouts historiques — ingénierie, deeptech, robotique, excellence industrielle.
Les grands groupes ont compris les premiers
Dans nos échanges avec les leaders mondiaux du sport, de la mobilité, de l’énergie, de la construction, une certitude revient : la bataille stratégique se déplace vers les matériaux.
Les plus grands groupes historiques européens et américains, et les nouveaux géants asiatiques et du moyen orient ont déjà pris position. Ils savent que la performance de demain dépend de leur capacité à sécuriser les matériaux dont ils ont besoin — en quantité, en coût, en stabilité, et en empreinte carbone.
Ils investissent pour trois raisons : sécuriser leurs approvisionnements dans un monde où chaque tension géopolitique peut bloquer un composant essentiel ; gagner en compétitivité en intégrant des matériaux plus constants, plus légers, plus performants ; accélérer leurs trajectoires CO₂, non par contrainte réglementaire, mais parce que la circularité performante devient un avantage industriel et économique.
Dans le sport, l’adoption est fulgurante : les géants du running, du ski, du hockey ou de la raquette intègrent des matériaux avancés recyclés parce qu’ils performent mieux et sont moins risqués. Dans la mobilité, les équipementiers et constructeurs investissent pour garantir leur autonomie. Dans la construction et l’énergie, l’enjeu est la fiabilité : la circularité haute performance réduit la dépendance et augmente la résilience opérationnelle.
Ce n’est pas un geste RSE. C’est un choix stratégique.
L’émergence d’un modèle européen
Notre expérience chez Fairmat illustre ce basculement. Nous avons développé des technologies de robotique, de data et d’IA qui transforment des déchets de composites carbone en matériaux avancés haute performance, compétitifs en coût et en propriétés mécaniques.
Les avantages sont clairs : ils s’intègrent dans les lignes industrielles sans changement de processus, ils permettent de sécuriser des volumes importants pour les marchés domestiques en Europe et aux États-Unis, ils réduisent la dépendance aux matériaux vierges importés, ils créent des boucles industrielles fermées et entièrement traçables.
Les grands groupes qui adoptent ces matériaux prouvent qu’une souveraineté moderne est possible : performante, économique, circulaire et industrialisée.
L’Europe n’a pas besoin d’être leader en extraction pour redevenir souveraine en matériaux. Elle peut être leader en intelligence des matériaux.
Reprendre la main
Si l’Europe veut être souveraine en construction, en énergie, en mobilité, en défense ou en IA, elle doit commencer là où tout commence : les matériaux qui composent le monde industriel.
C’est la base invisible, mais la plus stratégique. Et c’est celle où l’Europe peut reprendre l’avantage le plus rapidement, en s’appuyant sur une quantité de matériaux à recycler colossale, des investissements deeptech robustes, une ingénierie d’excellence, des technologies de circularité avancée, et des grands groupes déjà engagés dans la transformation.
Même si nous souhaitons que les pouvoirs publics prennent des décisions concrètes, la souveraineté industrielle ne sera pas seulement décrétée. Elle sera bâtie. Dans les territoires, dans les laboratoires, dans les usines, dans les alliances entre deeptech et champions industriels.
Et elle commence ici : dans la construction d’une filière européenne circulaire des matériaux avancés — performants, tracés et produits localement.
Reprendre la main sur nos matériaux, c’est redonner à l’Europe la capacité d’inventer — et de fabriquer — son propre futur.




