La Syrie fêtera le 8 décembre 2025 l’anniversaire de la chute de Bashar al-Assad, après 13 ans de guerre civile. Dirigé depuis par Ahmed el-Charaa, président par intérim et ancien leader du Hayat Tahrir al-Sham (HTS, scission d’Al-Qaeda), le pays demeure fragmenté entre zones contrôlées par le gouvernement, et les Forces Démocratiques Syriennes (FDS, forces kurdes). D’autre part, Israël conserve son assise dans la région du Golan, tandis que la Turquie maintient une « zone tampon », entre Tal Abyad et Tal Tamr.
Un regard sur la situation du pays, un mois après les élections qui se sont tenues le dimanche 5 octobre 2025…
Malgré des accords annoncés en mars, la reconstruction institutionnelle est jonchée de défis et discordes
Le dimanche 5 octobre, les membres du collège électoral syrien ont élu les 210 membres de la nouvelle Assemblée pour un mandat de deux ans et demi. Les élections se sont tenues de manière indirecte en raison du manque de recensement fiable d’après les autorités. Les collèges électoraux régionaux composés de 7000 électeurs au total ont élu leurs représentants ; 70% d’entre eux devraient être des experts et universitaires, le restant des sièges étant alloués aux notables diplômés des différentes communautés.
Cette nouvelle assemblée deviendra par la suite une assemblée constituante chargée de doter le pays d’une nouvelle loi électorale et d’une constitution.
Outre les débats sur le caractère plus ou moins démocratique de ces élections (dans un pays qui, rappelons-le, sort d’une guerre civile et de 50 ans de dictature), la question de la nouvelle constitution est un véritable goulot d’étranglement de la reconstruction institutionnelle. En outre, l’élection a été reportée dans les zones contrôlées par les FDS et la province de Soueïda en raison de tensions et par faute d’accords.
Les désaccords persistants sur la réintégration des régions contrôlées par les FDS (qui représentent la majorité des champs pétroliers syriens) ont retardé la mise en œuvre de l’accord du 10 mars, qui prévoyait l’intégration des régions du nord-est du pays dans les nouvelles institutions étatiques, sous la médiation des Américains.
De plus, le lundi suivant les élections, une attaque a provoqué la mort de deux personnes dans les quartiers de Sheikh-Maksoud et d’Eshrafiyeh (contrôlés par les FDS) à Alep. Les parties qui se sont accusées mutuellement ont par la suite conclu un accord de cessez-le-feu.
Cet épisode s’inscrit dans la continuité des tensions avec les minorités, comme à Soueïda (région à majorité druze et alaouite) en juillet.
Le défi de la cohésion
La reconstruction politique et institutionnelle reste donc conditionnelle à une reconstruction sociale. Le pays de 19 millions d’habitants compte plusieurs minorités ethniques (kurdes, turkmènes, circassiens…) et religieuses (chrétiennes, alaouites, yézidis) a été le théâtre de règlements de compte entre factions à la suite de la chute d’al-Assad, notamment à Soueïda et Lattakié (région côtière où se concentre la minorité alaouite dont était issue la dynastie des Assad). En outre, ces provinces sont des fiefs respectivement druze et alaouite et ont vu des affrontements entre milices locales et forces gouvernementales. Le maintien d’un état unitaire n’est donc pas garanti et le risque d’une fragmentation n’est pas écarté…
Ainsi, le gouvernement intérimaire doit trouver un cadre institutionnel inclusif qui puisse assurer la réintégration et la représentation de l’ensemble des communautés tout en négociant les termes d’une autonomie potentielle et d’un équilibre géopolitique délicat entre les ingérences régionales. Malgré les déclarations manifestement pacifiques du nouveau gouvernement vis-à-vis d’Israël, le soutien de ce dernier pour les Druzes remet en question la possibilité d’un État unitaire, tout comme le soutien américain pour les Kurdes.
La reconstruction à venir suscite déjà l’intérêt de tous
Le bilan économique de la guerre civile est lourd. La Banque mondiale chiffre les dégâts à plus de 35 milliards de dollars. Dans les mois qui ont suivi le changement de régime, la levée progressive de sanctions et la mise en place d’accords posent les bases d’une période de reconstruction. Cette longue reconstruction attire déjà les convoitises de plusieurs puissances régionales.
En mai 2025, l’UE et les États-Unis annoncent la levée des sanctions contre la Syrie. L’UE était un partenaire privilégié dans la Syrie d’avant-guerre avec un volume d’échanges avoisinant les 7 milliards d’euros en 2010, et la destination de 95% du pétrole syrien. Les entreprises françaises auront leur rôle à jouer dans la reconstruction du pays comme le montre la visite, début octobre, de 42 responsables et dirigeants d’entreprises français à Damas. Dans les mois ou années à venir, des entreprises comme CMA-CGM, Thales, Suez ou Airbus pourraient être mobilisées dans la reconstruction de l’infrastructure à travers le pays.
Néanmoins, les européens ne sont ni les seuls ni les premiers à avoir engagé des échanges avec le gouvernement intérimaire dans le cadre de la reconstruction. En août, le cabinet de conseil américain Arthur D. Little et le ministère des Communications et des Technologies de l’Information ont signé un accord de partenariat sur les projets d’infrastructure de communication (réseau de fibre optique et transit de données)
De la même manière, le 2 août a été inauguré à Kilis, ville turque frontalière de la Syrie, un nouveau gazoduc qui acheminera le gaz azerbaïdjanais afin d’alimenter les centrales thermiques. D’après le ministre turc de l’énergie et des ressources naturelles, ce sont jusqu’à 6 millions de mètres cubes qui pourraient être exportés vers la Syrie tous les ans. In fine, ce sont environ cinq millions de foyers qui bénéficieront de l’électricité produite par cette centrale. Ce projet s’inscrit dans le cadre du projet qatarien visant à alimenter la Syrie en électricité qui avait débuté avec un accord entre la Jordanie et le Qatar.
Outre les enjeux économiques, le pays reste dans une situation géopolitique complexe, entre risques internes et menaces externes
Enfin, dans la continuité de ses liens économiques et commerciaux, la Syrie devra également redéfinir sa politique étrangère, et la question n’en demeure pas secondaire au vu des impératifs. Pour rappel, les forces russes et les groupes liés à l’Iran ont quitté le pays à la suite de la chute du régime, mais d’autres puissances étrangères sont toujours présentes. D’une part, les Américains qui restent présents malgré une annonce de retrait en 2019. Les troupes américaines pourraient être réduites de 2000 soldats à 500 selon un article de L’Orient-Le Jour. D’autre part, comme évoqué plus haut, Israël (présent sur le plateau du Golan depuis 1967) et la Turquie ont chacun établi une zone tampon au-delà de leurs frontières avec la Syrie. De plus, ces deux voisins de la Syrie soutiennent chacun des organisations antagonistes sur le terrain. La Turquie a longtemps été le soutien de l’Armée Syrienne Libre et proche du nouveau gouvernement intérimaire, tandis qu’Israël est intervenu à Souweïda en juillet en soutien aux milices druzes.
La Syrie devient donc un terrain de confrontation potentielle entre ces deux puissances régionales. La nuit du 2 avril, Israël a frappé plusieurs bases militaires à Damas, Hama et Homs. Certains commentateurs y ont vu une intervention préventive destinée à empêcher la Turquie d’installer des systèmes de défense sur ces bases, situées chacune à moins d’une heure à vol d’oiseau de Jérusalem. Le ministre turc des affaires étrangères, Hakan Fidan, a déclaré à la suite de sa rencontre avec Marco Rubio le 3 avril « ne pas vouloir de confrontation avec Israël en Syrie ». In fine, l’arbitrage américain sera décisif.
Près d’un an après la chute de Bashar al-Assad, la Syrie avance sur un chemin fragile où s’entremêlent espoirs et incertitudes. Entre réconciliation interne, reprise économique et repositionnement diplomatique, le pays tente, pas à pas, de se reconstruire sans retomber dans les fractures du passé.




