Frédéric Bierry (Collectivité européenne d’Alsace) : « Les territoires ont des propositions pour participer au redressement de nos comptes publics »

Publié le 08 octobre 2025

Peut-on se montrer plus alsacien que ce président du conseil départemental d’Alsace, né à Strasbourg il y a 59 ans, anciennement maire de Schirmeck et conseiller départemental du Bas-Rhin, président de la Collectivité européenne d’Alsace depuis 2021, né au sein d’une famille welche* et désormais déterminé à valoriser pleinement l’identité et le potentiel alsaciens en s’appuyant sur le Conseil Départemental d’Alsace. Au rang de ses combats menés depuis le parti des Républicains, figurent entre autres dès 2016 sa vision du modèle social français à simplifier au profit d’un équilibre des droits et des devoirs de chacune des composantes, des bénéficiaires aux pouvoirs publics.

* Dialecte lorrain roman parlé en Alsace dans le pays welche, dans l’ouest du Haut-Rhin.

Quels sont les atouts de l’Alsace, tant sur le plan économique que culturel et territorial ?

L’Alsace conjugue attractivité économique, ouverture internationale et identité culturelle forte, ce qui en fait un territoire à la fois dynamique, authentique et tourné vers l’avenir.

Économiquement, notre position au cœur de l’espace rhénan avec une population profondément européenne et hautement qualifiée, nous aide à attirer des entreprises tout en conservant un tissu d’ETI locales fortes et ouvertes sur le marché européen. La Collectivité européenne d’Alsace cultive le bilinguisme de sa population et les projets transfrontaliers, ce sont des atouts uniques pour une entreprise, de quoi se démarquer sur des marchés toujours plus compétitifs. Grâce à la position de capitale européenne de Strasbourg, nous bénéficions d’un réseau d’infrastructure de haute qualité qui nous rapproche de Paris, Francfort, Bruxelles ou encore Bâle. L’Adira, notre agence de développement économique dont nous sommes le premier financeur et qui vient de fêter ses 75 ans d’existence, accompagne les nouvelles implantations comme le développement de nos entreprises. Clairement, la position de l’Alsace, sa gouvernance unique et cette conviction forte d’un partenariat public et privé en font l’une des locomotives de l’économie française et européenne, et tout cela dans un cadre de vie incroyable entre moyenne montagne, vignoble et villes au patrimoine remarquable.

Mais quelles sont les grandes transitions – économiques, sociales, démographiques ou environnementales – que l’Alsace doit anticiper ou accompagner dans les années à venir ?

L’Alsace a des atouts, mais elle affronte aussi des défis. Un de mes sujets de préoccupation reste le mur du vieillissement qui arrive devant nous. Le nombre des plus de 85 ans va augmenter de 55 % entre 2030 et 2040. C’est donc un défi en termes d’accompagnement, que ce soit pour le maintien à domicile ou par des structures d’accueil digne et de qualité. Formation des professionnels, assainissement du modèle financier ou encore lutte contre les déserts médicaux dans certains territoires alsaciens sont donc des défis pour lesquels je crois à une solution locale autour du droit d’Alsace Moselle. Nous y travaillons aujourd’hui avec multiples acteurs privés pour proposer des solutions.

« La position de l’Alsace, sa gouvernance unique et cette conviction forte d’un partenariat public et privé en font l’une des locomotives de l’économie française. »

En outre, je crois à un aménagement social du territoire où la place de l’humain demeure au cœur de nos investissements. Nous participons également à la construction d’une société alsacienne plus respectueuse de son environnement en investissant dans 30 engagements pour le climat, clé pour l’Alsace en faveur d’un avenir durable.

Vous avez engagé un Tour d’Alsace des Territoires, à la rencontre des jeunes, des élus locaux, des associations et des forces vives. Quelles attentes, quels signaux forts sont remontés du terrain cette année ?

À mi-mandat, il m’apparaissait important de retourner à l’écoute des Alsaciens comme je l’avais fait en 2021 pour entendre les attentes et les préoccupations des habitants, faire preuve de pédagogie, expliquer, preuves à l’appui, le rôle des élus et ce qu’apporte la collectivité au quotidien dans la vie des gens. Ce nouveau tour d’Alsace met en lumière les engagés, ces femmes et hommes de l’ombre qui œuvrent bénévolement dans tous nos territoires. Avec 33 500 associations et plus de 455 000 bénévoles, l’Alsace est un territoire où l’engagement entre dans l’ADN de chacun. Après ce tour d’Alsace et l’examen de l’ensemble des besoins remontés et pistes d’amélioration évoqués pour soutenir notre tissu associatif, je ferai à la rentrée de nouvelles annonces qui engageront notre collectivité sur cette question.

L’Alsace occupe une position transfrontalière unique, entre Allemagne, Suisse et Luxembourg. Quelles coopérations ou dynamiques économiques transnationales souhaitez-vous impulser ou consolider ?

La Collectivité européenne d’Alsace est le chef de file de la coopération transfrontalière sur notre territoire. Cette compétence unique est le fruit de la loi qui a créé cette collectivité où se rassemblent les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Dès 2022, nous avons mis en place un schéma alsacien de coopération transfrontalière qui regroupe 150 projets drainant l’ensemble du Rhin supérieur1. Cette démarche participe à faire du Rhin supérieur un espace de vie attractif, innovant, favorable aux synergies. En un mot, un environnement propice à l’émergence d’une véritable « Vallée rhénane de la vie ». Ce territoire est notre dénominateur commun et le socle de notre communauté de destin. Nous avons rassemblé plus de 200 acteurs, atteint notre objectif de créer une dynamique qui dépasse les frontières et forge une vision commune de l’espace rhénan. À titre d’exemple, nous venons de valider un plan d’aménagement du Rhin supérieur capable de faire converger nos manières de développer nos territoires.

Le 9 mai, vous avez rappelé que « l’Europe que nous vivons ici, c’est une Europe du quotidien, une Europe des habitants ». Comment cette dimension européenne se traduit-elle concrètement dans la vie des Alsaciens et des Alsaciennes ?

Pour nous, l’Europe est une évidence. Que ce soit pour travailler, pour se divertir, rejoindre des amis, franchir une frontière est un acte du quotidien. Nous avons tous été marqués par le retour des contrôles aux frontières lors de la crise covid ou plus récemment des contrôles sporadiques mis en place par l’Allemagne pour des questions de sécurité. Nous avons tellement intégré cette liberté de circulation que la moindre contrainte nous perturbe. C’est pour cette raison que nous continuons à œuvrer pour créer de nouveaux ponts entre nos pays, qu’il s’agisse de l’aménagement, de la culture ou encore du lien social. Si je prends l’exemple de la politique castrale, nous avons œuvré pour une mise en réseau de nos châteaux des trois côtés de la frontière afin que nos concitoyens prennent pleinement conscience de cette identité commune en s’appuyant notamment sur notre histoire. Cette mise en réseau et des animations culturelles dédiées ont pu voir le jour grâce au programme Interreg2 financé par l’Union européenne. L’Europe, nous la construisons et la vivons tous les jours.

Quel regard portez-vous sur la situation politique nationale actuelle et ses répercussions sur l’action des collectivités territoriales comme la vôtre ?

La France ne va pas bien. Entre une instabilité politique qui fige toute réforme structurelle malgré les efforts de François Bayrou pour maintenir les équilibres, une situation budgétaire qui impose un traitement de choc à l’État, des collectivités en perte de confiance face à un État qui les ponctionne régulièrement pour combler son déficit, une polarisation aux extrêmes de nos concitoyens à la recherche désespérée d’un nouvel espoir, nous ne pouvons pas dire que la situation se montre reluisante. Des réformes de fond doivent être menées et j’ai, comme de nombreux Alsaciens que je croise, un sentiment d’inaction. Ces réformes demandent courage et soutien de la population, deux piliers qui restent à consolider.

Les territoires ont des propositions à faire afin de participer à cet effort de redressement de nos comptes publics. J’en porte par exemple une sur la simplification de notre millefeuille territorial. Trop de strates peu connues de nos concitoyens, trop de dépenses de fonctionnement qui pourraient être rationalisées afin de les concentrer sur un service public visible et palpable, trop de distance entre le citoyen et ses élus m’invitent à penser que l’on a de quoi diminuer la voilure administrative afin de redonner du pouvoir d’agir localement. Nous défendons une collectivité unique qui rassemblerait les compétences départementales et régionales. La fusion du conseil départemental du Bas-Rhin et du Haut-Rhin que nous avons menée a permis d’économiser 12 millions d’euros par an, et des économistes évaluent à 100 millions d’euros le gain que cette fusion département-région générerait sur notre territoire. Imaginez ce que nous pourrions faire avec une telle réforme sur le plan national… Il ne manque aujourd’hui que la volonté politique nationale.


  1. Le Rhin supérieur s’étend sur 350 kilomètres entre sa sortie à Bâle et sa confluence avec le Main près de Mayence. Il compte 5 800 000 d’habitants le long de son cours sur une superficie de 21 500 km2.
  2. La France est impliquée dans 22 programmes de coopération territoriale européenne/interreg. Ces programmes représentent 22 espaces géographiques de tailles très différentes au sein desquels acteurs du public et du privé sont invités à monter des projets en partenariat.