Sandra Roumi (CoStar Group) : « L’immobilier doit entrer dans l’ère de la transparence pour se réinventer »

Publié le 23 septembre 2025

À la tête de CoStar Group en France depuis fin 2023, Sandra Roumi accompagne l’intégration du leader mondial de l’information et des marketplaces immobilières. Entre numérisation, transparence et mutation des usages, elle partage sa vision d’un secteur en pleine transformation.

Quelle fut votre motivation à prendre en main la direction de CoStar Group en France ?

Le challenge et la vision ! Participer à la numérisation de l’immobilier d’entreprise en France, à l’heure où de grandes transformations structurelles et conjoncturelles sont à l’oeuvre sur ce même marché, c’est stimulant, inspirant et passionnant. Comme beaucoup, je suis convaincue que la data est le prolongement de la news. Je dis souvent en anglais, mais ça fonctionne bien en français aussi, data is information and information is data.

À titre plus personnel, l’information est ma passion depuis 25 ans. J’ai été journaliste pendant… longtemps, j’ai contribué – je le crois –, avec Gaël Thomas et Jean-François Grazi, à accroître la transparence de nos marchés à notre échelle française. Puis je suis devenue patronne de  presse en endossant la présidence de Business Immo pendant cinq ans. Fin 2023, j’ai accepté le poste de General manager France de CoStar group. Le leader mondial de l’information et des marketplaces avait, en effet, racheté successivement en octobre 2021 et en avril 2022, les leaders français de la marketplace BureauxLocaux et de l’information, Business Immo. Mon rôle est simple et complexe tout à la fois : faire société en amenant les marques existantes françaises, Business Immo mais aussi BureauxLocaux et celles que nous créons, CoStar Product, une plate-forme de data à l’immeuble, et LoopNet, une marketplace internationale, à ne faire qu’une entité. Et faire filière en amarrant notre industrie au vaisseau amiral CoStar Group. L’industrie immobilière représente en 2025 11 % du PIB et 2,3 millions d’emplois pour la plupart non délocalisables. Il s’agit purement et simplement de la première industrie française. Globalement, c’est un marché qui pèse 300 milliards de dollars, comme aime à le rappeler Andy Florance, le fondateur et le CEO de CoStar Group.

Quelles tendances majeures se dessinent aujourd’hui sur le marché de l’immobilier en France ?

Cette industrie est, en 2025, au carrefour de grandes transformations : économiques, sociales climatiques et sociétales. Il est également au coeur de la tourmente, il conjugue des crises à la fois conjoncturelles et structurelles, la « crise ». Les mutations à l’oeuvre sont nombreuses, profondes et parfois violentes, majeures et transformantes : d’abord, notre industrie est fortement émettrice de gaz à effet de serre. Réfléchir à son empreinte carbone est une nécessité. Nous y travaillons collectivement. Puis elle a changé d’épure en basculant de la propriété à l’usage. Le contenu devient aussi important que le contenant. Nous le vivons individuellement. Troisième mutation, la sous-numérisation. Mener le combat de la numérisation signifie accroître la transparence de nos marchés. Or, plus de transparence, c’est plus de croissance, plus de connaissance et plus de reconnaissance de l’industrie immobilière, notamment à l’égard des pouvoirs publics qui n’ont toujours pas compris que l’immobilier concerne chacun d’entre nous.

L’arrivée de CoStar en France intervient à point nommé puisqu’elle coïncide en France avec une transformation des marchés, des métiers, avec un renouvellement des générations et globalement une manière différente de penser et de faire de l’immobilier.

La crise du bureau postcovid a rebattu les cartes de l’investissement immobilier. Quels emplacements sont aujourd’hui les plus attractifs ?

Sans surprise, le maître-mot dans le vaste champ des bureaux reste « polarisation ». Dopé par une prime à la centralité, le marché de l’hypercentre, sous l’effet de la gentrification tertiaire, affiche une insolente santé avec un marché du bureau de luxe dans Paris QCA – quartier central des affaires – qui bat tous les records de loyers à plus de 1 200 euros le mètre carré par an. Du jamais vu dans les annales de l’immobilier d’entreprise ! Et dans le même temps, quelques stations de métro plus loin, les immeubles de périphérie – y compris ceux de première couronne – ont le plus grand mal à se commercialiser. Les loyers y sont massacrés y compris dans le neuf avec des franchises qui peuvent atteindre jusqu’à 40 % du loyer annuel.

Prime également à la connectivité avec, dans les zones pas ou peu connectées aux hubs de transports en commun, une absence manifeste de demande, donc une absence de valeur. Les investisseurs ont compris que certains actifs de bureaux ne se loueraient plus jamais avec cette affectation et qu’ils ne se transformeront pas nécessairement en logement, même en logement étudiant. Cette situation est duale. Elle crée, discrètement mais solidement, des friches tertiaires. Mais elle crée également le marché de demain, celui de la transformation des bureaux obsolètes.

L’intelligence artificielle et la data sont de plus en plus intégrées dans l’immobilier. Quels sont les principaux changements que vous observez ?

On en parle beaucoup, mais en réalité, l’IA n’a pas encore envahi le champ de l’immobilier à sa juste nécessité et à sa pleine mesure. Dans une étude récente, je lisais que l’IA était utilisée seulement à hauteur de 7 % dans l’immobilier. À mon sens, l’IA peut, va impacter de front deux grands métiers immobiliers très rapidement, l’expertise et l’évaluation, qui utilisent encore des méthodes souvent datées, le property management, avec l’automatisation de tâches répétitives qui consomment de la main d’œuvre.

Sur le front de la data, le mouvement mondial est incontestablement à une ouverture et à une transparence des marchés. Il y a une prime à ceux qui la raffinent, à l’instar du leader CoStar auquel nous appartenons aujourd’hui. La France, qui est très en retard dans ce chemin vers la transparence comparée aux pays anglo-américains, ne pourra pas indéfiniment rester dans la position de petit village gaulois.