Clément Pacaud (Visiomed) : « La région du Golfe est pleine d’opportunités pour les entrepreneurs français »

Publié le 15 avril 2024

Présent depuis plus de 10 ans dans la région du Golfe, Clément Pacaud est un observateur privilégié des transformations en cours dans les pays de la zone. Aujourd’hui directeur général de Visiomed Group, un expert de la santé numérique, qui gère des centres de santé high-tech dans la région, il propose sa vision de l’évolution de la péninsule arabique et des opportunités qu’elle offre aux entreprises françaises.

Vous connaissez très bien la région du Golfe arabique, où vous occupez actuellement le poste de directeur général de Visiomed Group, qui opère des centres de santé high tech aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite. Comment percevez-vous les grandes transformations en cours dans les pays de la région ?

Tous les États de la zone ont pleinement conscience de se trouver à la croisée des chemins. Ils partagent tous une obsession commune : préparer l’après-pétrole. Cette transformation structurelle s’inscrit dans les grands plans stratégiques à horizon 2030, type Qatar National Vision ou Vision 2030 aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite. Cette stratégie de diversification à 360° entraîne des investissements colossaux, adossés sur la rente pétrolière, et se concrétise dans des programmes ambitieux.

De l’extérieur, nous avons parfois trop tendance à limiter ces évolutions à quelques mégaprojets futuristes, comme la ville nouvelle de Neom en Arabie saoudite. S’ils ouvrent évidemment d’énormes fenêtres d’opportunités pour les entrepreneurs étrangers, je les considère presque comme une forme de marketing territorial. En revanche, des projets structurants inondent tous les pans économiques de la société : les transports, le tourisme, le divertissement, la santé, la transition énergétique, l’éducation, la montée en puissance de l’industrie manufacturière ou encore la recherche. Autant de secteurs au sein desquels les entrepreneurs français ont les moyens de s’engouffrer.

Et ce d’autant plus que les gouvernements locaux les encouragent en ce sens. Je constate une politique volontariste pour renforcer l’attractivité de la région aux yeux des investisseurs extérieurs, qui se traduit par une amélioration très nette du climat des affaires. Les pays s’adaptent très vite pour conformer leurs cadres législatifs et leurs modes de gouvernance aux attentes des entreprises étrangères. Nous avons remarqué ces dernières années des inflexions au niveau du droit pour attirer les investisseurs et faciliter les installations, un assouplissement de la politique de visa ou encore, et c’est hautement symbolique, un alignement des week-ends sur ceux de l’Occident dans certains pays. Le tout dans un contexte volontairement « business first », avec un taux d’imposition modérée, une réelle libéralité économique et une corruption inexistante.

Le contexte international n’affaiblit pas les pays de la région ? 

Malgré un contexte macro peu avantageux, les pays du Golfe sont adossés à des taux de croissance très solides de près de 6 % aux Émirats arabes unis, plus de 8 % en Arabie saoudite ou plus de 4 % au Qatar avec des endettements publics très faibles, voire inexistants et une inflation qui demeure maîtrisée. S’ils restent encore très dépendants de la volatilité des cours des hydrocarbures, on ne doit pas méconnaître leurs capacités de résilience. L’invasion russe de l’Ukraine ne les a pas spécialement affaiblis. Au contraire, ils représentent désormais un fournisseur d’énergie alternatif privilégié de l’Europe face à la Russie et aux sanctions qu’elle subit.

Vous avez évoqué des « fenêtres d’opportunités pour les entrepreneurs étrangers ». Quelle est, selon vous, la place que peuvent occuper les entreprises françaises sur place ?

Les transformations en cours supposent des investissements qui entraînent eux-mêmes des besoins et le recours à des expertises étrangères. Nous avons un avantage sur place : les groupes français y sont particulièrement appréciés. Pour preuve, le nombre d’entreprises françaises dans la région est passé en 10 ans de 250 à presque 600. Signe de la vitalité des relations, le forum Vision Golfe a récemment réuni plus de 700 participants à Paris, issues du monde économique et politique de France et de la région du Golfe. Les entrepreneurs peuvent aussi compter sur le puissant maillage diplomatique français dans la région des CCI locales, qui jouent tous deux un puissant rôle de soutien à l’implantation et de facilitateur auprès des autorités.

Certes la région est hautement concurrentielle et il ne faut pas occulter la présence de concurrents de très haut niveau britanniques, américains ou encore chinois et indiens. Mais si un besoin existe et que vous avez la capacité d’apporter un puissant avantage concurrentiel, alors vous serez les bienvenus.

Les Français sont ainsi très puissants dans certains domaines d’expertise, comme l’énergie, la défense, les transports, le luxe et évidemment la santé, où le potentiel de croissance est colossal. Dans le cas de Visiomed et des centres Smart Salem que nous opérons aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite, nous avons répondu à un besoin très stratégique pour les pays : assurer, en flux continu, de manière sûre et rapide, les tests médicaux administratifs pour les visas ou encore les permis de conduire. Nous sommes venus compléter l’offre d’un service public un peu vieillissant et en difficulté pour répondre à la demande grandissante. Nous avons rapidement réussi à gagner la confiance des autorités de santé émiraties avec qui nous avons mis en place un véritable partenariat public — privé. Nous suivons un modèle similaire en Arabie saoudite, où nous sommes en cours d’implantation.

Nous avons largement élargi notre offre de services aujourd’hui pour réaliser tout un panel de tests médicaux, nous sommes positionnés sur le segment de la médecine numérique et intégré les toutes dernières technologies, par exemple l’intelligence artificielle pour aider nos personnels soignants dans leurs analyses. Pour nous, les pays du Golfe sont aussi une exposition de notre savoir-faire à d’autres pays du monde, qui connaissent des problématiques d’émigration de travail similaires à celle des Émirats arabes ou de l’Arabie saoudite ou perçoivent plus largement l’intérêt des centres de santé high-tech et de la médecine numérique. Le caractère résolument interconnecté et cosmopolite des pays du Golfe en fait une véritable vitrine d’exposition au monde entier.

La région n’est-elle pas la chasse gardée des grands groupes du fait du caractère fondamentalement concurrentiel des marchés du Golfe ?

Sur certains projets, les grands groupes français sont en effet très présents, du fait de leur capacité de projection et de gestion de projets à très grande échelle. Citons RATP Dev en Arabie saoudite ou Alstom à Dubaï dans les domaines des transports  ; Thales et Dassault dans le domaine de la défense, EDF dans la filière énergie aussi  ; d’autres le sont aussi dans la gestion de l’eau et du traitement des déchets.

En bref, tous les secteurs, notamment du service public, dans laquelle la France a une expertise historique. Mais nous sommes bien la preuve que des structures plus petites peuvent aussi avoir leur place, tant qu’ils ont la capacité d’apporter un avantage compétitif, notamment innovationnel et de répondre à des besoins locaux. Je pourrais aussi citer la PME française Toutenkamion, qui a signé un contrat pour fournir à Riyad dix unités mobiles de détection du cancer du sein à destination de populations isolées des grands centres urbains.

Vous parlez logiquement de la santé, car c’est votre domaine d’expertise. Mais l’innovation a été exhaussée comme impératif stratégique dans les pays de la région…

Plus que l’innovation, nous pouvons parler d’économie du savoir pour en couvrir tous les pans. Les investissements ont augmenté drastiquement dans les domaines de l’éducation et de la recherche avec l’idée de contribuer à l’émergence d’une génération hautement qualifiée. À Dubaï, les deux principaux centres financiers du pays sous le régime de la zone franche, ont intégré de nombreux incubateurs d’entreprises. L’Arabie saoudite veut suivre un destin similaire, avec le programme Misk Innovation ou encore la construction de la Vallée Techno à Riyad. De manière structurelle, cette inclinaison pour l’économie du savoir se traduit aussi par une politique d’incitation à l’implantation pour les acteurs étrangers les plus innovants, qui arrivent dans leurs bagages avec leurs technologies et capitaux.

Les résultats sont là : les Émirats arabes unis occupent désormais la 26e place du classement de référence Global Knowledge Index 2023, à des niveaux comparables à la France, le Canada ou encore Hong Kong. L’Arabie saoudite, le Koweït et le Qatar occupent des places tout à fait honorables aussi et sont en position de progresser dans les années à venir. De notre expérience dans les centres de santé high-tech, c’est bien l’ADN innovationnel de notre offre de services, la numérisation de nos démarches et notre volonté d’intégration continue de nouvelles technologies médicales qui poussent les autorités saoudiennes et émiraties à nous faire confiance.

Les Émirats arabes unis conservent toujours, dans la région, une amitié toute particulière de la part des Français et des Occidentaux plus généralement. Comment l’expliquez-vous ?

Les Émirats ont été présentés comme la Sparte du Moyen-Orient, quand ils augmentaient drastiquement leurs capacités militaires. Ou encore comme la Singapour de la péninsule arabique, quand ils ambitionnaient de devenir la principale place financière de la région. Parfois comme une Monaco arabe pour le côté bling. Mais c’est finalement la comparaison avec la république florentine des Médicis, dressée par deux chercheurs de la Chatham House dans la revue Foreign Affairs, qui me paraît la plus pertinente.

Elle décrit parfaitement leur capacité à appuyer l’innovation et la recherche, comme le pays a pu le faire avec un programme spatial doté d’un budget de 6 milliards d’euros et d’une loi spatiale dédiée, mais aussi en tissant des partenariats dans l’économie de l’innovation avec de nombreux transferts de technologiques. Elle décrit aussi la capacité du pays à mener une forme de pragmatisme diplomatique vertueux avec des grandes puissances parfois rivales et à rompre avec les vieilles traditions géopolitiques des pays arabes, comme en témoigne le rapprochement officiellement assumé avec Israël. Enfin, elle démontre la capacité du pays à faire de la prospérité économique un levier de puissance et de s’imposer, malgré sa petite taille, comme un acteur central des affaires régionales.

Ce sont ces différents éléments qui nourrissent, à l’international, la sympathie des gouvernements pour les Émirats arabes unis. Le rapprochement avec Israël, le maintien de forces armées occidentales -dont la France avec sa base aéronautique navale à Abou Dhabi- aux Émirats dans une région très stratégique et la tolérance religieuse qui se déploie au sein de l’Émirat, contribuent tout particulièrement à cette bonne entente mutuelle.

Les transformations de l’Arabie saoudite semblent moins perceptibles aux yeux de l’opinion…

Il y a une méconnaissance assez profonde de l’Arabie saoudite en France. S’il ne sert à rien d’occulter les aspects les plus problématiques du pays, on ne peut nier la transformation profonde actuelle du pays. D’un point de vue administratif, la simplification et la numérisation sont en cours et le caractère très sclérosé de l’État saoudien disparaît petit à petit. La société se libéralise aussi doucement avec des mesures, certes symboliques, notamment sur la liberté des femmes, mais qui témoigne d’une ouverture croissante. Des choses jusqu’ici interdites, comme les cinémas ou les festivals de musique, se développent de plus en plus. En bref, l’autorité religieuse tend à être marginalisée pour répondre aux aspirations des jeunes générations du pays. Le prince héritier promeut d’ailleurs un islam modéré et équilibré, permettant de conserver la tradition du pays, tout en répond aux besoins de changement.

Loin d’être purement sociétaux, ces changements sont aussi économiques. Le Royaume n’est pas avare en grands projets et en évènements internationaux qui sont, pour lui, des moyens d’exposer au monde sa transformation actuelle vers la modernité. Je pense par exemple à l’exposition universelle 2030 ou encore au mondial de football en 2034, qui ouvriront de grandes fenêtres d’opportunités pour les acteurs étrangers. Comme pour les Émirats arabes unis, il ne faut pas non plus ignorer le plan à long-terme Vision 2030, parfois présenté comme le « Projet du siècle » qui comprend, outre les mégaprojets, des transformations structurelles dans l’environnement, la santé, les infrastructures, l’énergie ou encore les transports : là encore, autant d’opportunités pour les entreprises françaises.