La COP28 de Dubaï : la fin du commencement des énergies fossiles ?

Publié le 27 février 2024
NOVEMBER 30: H.E. Mr. Sameh Shoukry, President of COP 27/CMP 17/CMA 4 (C) talks at the UNFCCC Formal Opening of COP28 during the UN Climate Change Conference COP28 at Expo City Dubai on November 30, 2023, in Dubai, United Arab Emirates. (Photo by COP28 / Christopher Pike)

Jean-Paul Maréchal revient sur les leçons à tirer de la 28e Conférence des parties (COP) organisée à Dubaï en décembre 2023.

La veille de Noël 1968, par un hublot du module de commande d’Apollo 8, Bill Anders prend l’une des photos les plus célèbres du XXe siècle : la Terre se levant au-dessus de la surface lunaire. Notre planète y apparait comme une bille d’agate perdue dans l’immensité noire du cosmos. Une bille à la surface de laquelle on distingue le bleu des océans, l’ocre et le vert des terres émergées ainsi que le blanc des nuages dont les vortex matérialisent les mouvements de l’atmosphère. Aucune photo n’a mieux exprimé la profonde unité de notre planète[1]. Imaginons maintenant que cette image de notre monde se transforme et cède la place à une représentation politique. Seul subsisterait de l’ancienne image le bleu des espaces marins. Les continents se fragmenteraient en une mosaïque de presque deux cents pays, chacun représenté par une couleur et séparé des autres par un trait noir. La superposition de ces deux visions exprime toute la difficulté des négociations climatiques : résoudre un problème global en faisant coopérer plusieurs dizaines d’entités souveraines aux intérêts souvent divergents.

C’est à cette tâche que travaillent depuis plus de trois décennies des milliers de personnes à travers le monde. Le dernier épisode en date de cette histoire a eu lieu à Dubaï, avec la tenue de la COP28 entre le 30 novembre et le 13 décembre 2023. Deux leçons, parmi d’autres, peuvent être tirées de cet événement qui constitueront les deux parties de cette note. Tout d’abord cette COP a donné tort aux Cassandre qui prophétisaient son échec en raison du lieu où elle allait se tenir et des responsabilités de son président dans le secteur pétrolier. Or, certaines avancées en matière de financements destinés aux pays pauvres, de transition vers les énergies vertes… ont été actées. Ensuite, ces deux semaines de négociations confirment que le régime climatique semble désormais devoir être durablement cogéré par un ensemble de pays composé essentiellement de l’Union européenne, des États-Unis, de la Chine et, désormais mais plus marginalement, des Émirats arabes unis.

Des avancées climatiques au pays de l’or noir

Le premier « inventaire global » après l’accord de Paris

Cette COP28 était particulièrement attendue pour au moins trois raisons. Tout d’abord, l’année 2023 a été le théâtre de nombreuses « alertes » climatiques : incendies (au Canada), canicules (en Amérique du Nord, en Asie et dans le bassin méditerranéen), accélération de la fonte de la banquise…  Selon de nombreux instituts, 2023 est, au niveau mondial, l’année la plus chaude depuis que l’on effectue des relevés de température. L’article 4 de l’ « Inventaire global » (global stocktake) adopté au terme de la COP28 insiste d’ailleurs sur le caractère extrêmement préoccupant de ce constat[2]. Selon le « Emission Gap Report » publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) le 20 novembre et intitulé sans ambiguïté « Broken Record. Temperatures hit new highs, yet world fails to cut emissions (again) », les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté de 1,2% entre 2021 et 2022 pour atteindre 57,4 gigatonnes (Gt) de CO2eq (CO2 équivalent) contre 37,9 Gt en 1990. Si les États ne vont pas au-delà de leurs engagements actuels de réductions d’émissions, la hausse des températures terrestres serait comprise entre 2 et 3°C d’ici la fin du siècle. Toutefois, même dans le scénario le plus optimiste, la probabilité de maintenir le réchauffement climatique en-dessous de 1,5°C n’est que de 14%[3]. Pour tenir l’objectif de 1,5°C il faudra, selon l’ONU, avoir réduit les émissions de 43% en 2030 (-37% pour 2°C) et de 60% en 2035. L’humanité dispose d’un « budget » de 500 Gt pour parvenir à ne pas dépasser 1,5°C de réchauffement et au rythme des rejets actuels, celui-ci aura été utilisé à hauteur de 87% d’ici 2030[4].

Ensuite, la COP28 était l’occasion de faire un point d’étape sur l’évolution de la situation climatique et des efforts entrepris depuis la COP21 de Paris. L’article 14 alinéa 2 de l’Accord de Paris indique en effet : « La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Accord procède à son premier bilan mondial en 2023 et tous les cinq ans par la suite sauf si elle adopte une décision contraire. » Il s’agissait donc de faire le bilan des huit années écoulées et de trouver une voie pour accroître les efforts. Et de recommencer l’exercice en 2028 puis encore cinq plus tard et ainsi de suite.

Cette « clause de revoyure », comme on a désigné ce mécanisme lors de la COP21 de Paris, est l’un des éléments clef de l’Accord de 2015. Ainsi que le rappelle Laurence Tubiana : « En 2015, les États-Unis et la Chine voulaient un accord avec une durée de vie. Dans les négociations en amont, nous voulions convaincre de l’utilité d’un accord qui intègre un processus de révision. Cela permet d’exercer une pression régulière. Mais ce n’est pas un accord qui fait le réel, tout dépend de ce que les gens en font[5]. » En cela, l’accord de Paris (et plus généralement les COP) constitue un « cadre de redevabilité » au sein duquel l’information circule et où chaque gouvernement est placé devant ses responsabilités face à l’opinion mondiale et dans la durée[6].

Enfin, le lieu choisi pour cette COP28, Dubaï, ainsi que l’identité de son président, Sultan al-Jaber ont fait l’objet de virulentes critiques. En effet, un certain nombre de commentateurs ont vivement critiqué l’organisation de cette COP par un pays dont une grande partie de la richesse est fondée sur l’exploitation et l’exportation de pétrole et de gaz. On dénonçait également le fait que la présidence ait été confiée à un homme qui, depuis 2016, dirige la compagnie pétrolière et gazière des Émirats, la Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC), en négligeant qu’il avait fondé en 2006 la principale entreprise émiratie d’énergie renouvelable, Masdar[7], qui a donné son nom à la ville « verte », Masdar City, qu’il tente de bâtir près d’Abou Dhabi. Masdar détient en partie l’une des plus grandes centrales solaires au monde, inaugurée le 16 novembre 2023 et située à Al-Dhafra, qui s’étend sur plus de 20 kilomètres carrés (quatre millions de panneaux photovoltaïques) et pourra produire 2 GW d’électricité et alimenter 160 000 foyers[8]. Selon Sébastien Treyer, directeur général de l’Institut du développement durable et des relation internationales (IDDRI) et président du comité scientifique et technique du Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), Masdar est « le fonds d’investissement pour les énergies renouvelables le plus massif du monde […], et probablement l’un des plus efficaces [9]».

Or, la COP28 fut loin d’être l’échec prophétisé par certains. Trois points importants méritent d’être portés à son crédit : la création du fonds pour pertes et dommages, l’évocation d’une « transition hors des énergies fossiles » et l’objectif de tripler les capacités de production en énergies renouvelables de la planète d’ici à 2030.

Le fonds pour pertes et dommages

Dès le premier jour de la COP28, la création du fonds pour « pertes et dommages » est entérinée. Il s’agit d’une revendication datant de plus de trois décennies. Le principe de la création d’un tel fonds avait été acté lors de la COP27 tenue à Charm el-Cheikh lors de laquelle un document intitulé « Funding arrangements for responding to loss and damage associated with the adverse effect of climate change, including a focus on adressing loss and damage » reconnaissait, dans son article premier, l’existence d’un besoin urgent de ressources financières « pour assister les pays en développement qui sont particulièrement vulnérables aux conséquences négatives du changement climatique » et décidait, par son article 2, de mettre en place un fonds pour apporter une réponse aux pertes et dommages. Un « Comité de transition » avait alors été chargé de parvenir à rendre opérationnel ce fonds pour la COP28.

Après de difficiles négociations un compromis a cependant été trouvé le 4 novembre 2023[10]. Le fonds sera abrité par la Banque mondiale pendant quatre ans. Toutefois, le flou persiste tant sur la liste des pays qui devront abonder ce fonds que sur les montants qui leur seront réclamés. Les pays du Sud souhaiteraient 100 milliards de dollars par an. Le 30 novembre, les Émirats arabes unis promettent 100 millions de dollars, l’UE 225 millions d’euros, le Royaume-Uni 40 millions de livres, les États-Unis 17 millions de dollars et le Japon 10 millions de dollars[11]. Au terme de la COP28, l’article 79 du « Outcome of the first global stocktake » fera état de 792 millions de dollars de promesses de dons (ce qui est encore bien loin des sommes nécessaires).

Dans la foulée de la création du fonds pour pertes et dommages, le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed al Nahyane, a annoncé le 1er décembre le lancement d’un fonds privé doté de 30 milliards de dollars consacré aux « solutions permettant de lutter contre le changement climatique ». Présidé par Sultan al-Jaber, ce fonds, baptisé Alterra, espère lever à terme 250 milliards de dollars. En attendant, 25 milliards seront fléchés via Alterra Acceleration vers des investissements climatiques à fort potentiel afin d’accélérer la transition et les 5 milliards restants via Alterra Transformation à des investissements dans les pays du Sud généralement pénalisés par des niveaux de risque pays élevés[12].

La « transition hors des énergies fossiles »

Mais, le point fort de cette COP28 est incontestablement l’article 28 de l’« Outcome of the first global stocktake ». Afin de demeurer dans la trajectoire permettant de limiter l’élévation des températures à 1,5°C, l’article 27 rappelle la nécessité de réduire les émissions de GES de 43% d’ici 2030, de 60% d’ici 2035 par rapport au niveau de 2019 et de parvenir à zéro émissions nettes en 2050.

L’article 28 fixe les objectifs à atteindre dans huit domaines.

«  (a) Tripler la capacité globale de production des énergies renouvelables et doubler le taux annuel d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici 2030.

(b) Accélérer les efforts en vue de la réduction progressive du charbon non compensé.

(c) Accélérer les efforts au niveau global en vue de parvenir à des systèmes énergétiques à zéro émissions nettes utilisant des combustibles non ou faiblement carbonés avant ou autour du milieu du siècle.

(d) Transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques d’une façon juste, ordonnée et équitable en accélérant l’action durant cette décennie cruciale de façon à parvenir au net zéro d’ici 2050, conformément au savoir scientifique.

(e) Accélérer le déploiement des technologies à zéro ou faibles émissions parmi lesquelles les renouvelables, le nucléaire, les technologies de réduction et de captation du carbone notamment dans les secteurs où il est difficile de réduire les émissions ou encore la production d’hydrogène rejetant peu de carbone.

(f) Accélérer et réduire substantiellement d’ici 2030 les émissions de GES non carbonées et en particulier le méthane.

(g) Accélérer la réduction des émissions du transport routier […]

(h) Supprimer progressivement et aussi rapidement que possible les subventions aux combustibles fossiles qui ne portent pas sur la pauvreté énergétique ou une transition juste. »

L’article 29, quant à lui, reconnaît que les combustibles transitionnels (transitional fuels) peuvent jouer un rôle en facilitant la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique.

C’est évidemment le point (d) de l’article 28 qui a été le plus commenté. La formule « transitioning away from fossil fuels » – que l’on traduit par l’anglicisme « transitionner hors des énergies fossiles » ou, en meilleur français, par « s’éloigner des énergies fossiles » – a permis de surmonter le blocage qui aurait pu résulter de la confrontation entre ceux qui souhaitaient une formule du type « abandon », « sortie progressive », « abandon progressif »… des énergies fossiles et ceux qui, à l’image de Haitham Al-Ghais, secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) enjoignait, dans un courrier daté du 6 décembre, aux pays membres de l’organisation qu’il dirige, de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles[13].

C’est la première fois que toutes les énergies fossiles sont visées dans le cadre d’un texte de cette importance. En effet, depuis la fondation du régime climatique international en 1992 (Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques) et la COP1 à Berlin en 1995 les objectifs assignés aux parties ont toujours porté sur les émissions que, celles-ci soient mesurées par des indicateurs de quantité (tonnes de dioxyde de carbone…), d’intensité (intensité carbone de l’économie…), de concentration de GES (ppm…)[14] mais n’ont jamais fait référence à l’origine de ces émissions, en l’occurrence le charbon, le pétrole et le gaz. Il a fallu attendre 2021 et la COP26 pour que soit mentionnée dans l’article 20 du « Pacte de Glasgow », la « réduction progressive du charbon non compensé »  (« phasedown of unabated coal power»)[15].

Certes, il n’est pas question dans le texte final de la COP28 d’abandon des énergies fossiles comme certains l’auraient souhaité. On a beaucoup blâmé les pays pétroliers qui n’ont objectivement pas intérêt à stopper l’exploitation d’une ressource au fondement de leur richesse. A l’appui de cette thèse, on peut citer la déclaration du prince saoudien Abdel Aziz Ben Salman dans un entretien accordé le 4 décembre 2023 au site Bloomberg[16] : « Je voudrais lancer un défi à tous ceux qui disent publiquement que nous devons [sortir des énergies fossiles], je vous donnerai leur nom et leur numéro de téléphone, appelez-les et demandez-leur comment ils comptent s’y prendre ». Les contributions déterminées au niveau national (CDN) des pays du Golfe lors de la COP21 de Paris mettaient clairement en évidence cette attitude[17].

Pour autant, la situation a évolué et certains pays de la zone ont parfaitement pris conscience que leur avenir à long terme devra s’imaginer dans un monde où le pétrole aura perdu de son importance. C’est ce que soulignait Cinzia Bianco de l’European Council on Foreign Relations avant la tenue de la COP de Dubaï : « Cette COP sera celle qui montrera l’écart entre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Les Émirats arabes unis, dans leur rôle de président de la COP, ont dû s’éloigner d’avantage des positions de l’Arabie saoudite, sur l’accélération de la réduction progressive des combustibles fossiles et en particulier sur le financement climatique »[18].

La présidence émiratie s’est donc située sur une ligne de crête comme le soulignent ces trois citations de M. Al-Jaber : « Nous ne pouvons pas débrancher le système énergétique d’aujourd’hui avant de construire le système de demain. Ce n’est tout simplement ni pratique ni possible »[19] (Ryad en octobre 2023) ; « J’ai dit que je tiendrai tout le monde, et toutes les industries, responsables et redevables de maintenir l’objectif 1,5°C à portée de main »[20] (AFP, 25 novembre 2023) et, enfin, « Nous ne pouvons pas bouleverser le monde, et nous ne voulons pas non plus le statu quo »[21] (New York Times).

En fait, la situation est extrêmement complexe dans la mesure où, contrairement à ce que certains commentaires pouvaient donner à croire, il n’existe aucun consensus sur la sortie des énergies fossiles. Il convient donc d’analyser l’objectif de « transitionner hors des énergies fossiles » à la lumière des stratégies déployées au sein de l’ensemble des pays dont le rôle est déterminant dans l’orientation (positive ou négative) des négociations climatiques : l’Union européenne, les États-Unis, la Chine et, cette année au moins, les Émirats arabes unis.

Vers une cogestion multipolaire ?

Ni les États du Golfe, ni l’Inde, ni la Chine ni de nombreux pays du Sud (en particuliers africains) n’étaient prêts à souscrire à un accord plus ambitieux que celui qui a été adopté. Parmi les nombreuses raisons à l’origine de cette réticence se trouve la part des énergies fossiles dans la production d’électricité. Celle-ci s’élève à 95,7% au Moyen-Orient, 75,6% en Afrique, 68,4% en Asie, 60,2% en Océanie, 54,2% en Amérique du Nord, 36,9% en Amérique latine et dans les Caraïbes. Même en Europe, pourtant la zone la plus « vertueuse » en la matière, elles représentent 44,6%[22].

Sans surprise, l’Union européenne – fidèle à sa stratégie de leadership directionnel – a  appelé à une sortie progressive du pétrole, du charbon et du gaz, le président Macron insistant sur le fait que « la priorité des priorités est que les pays les plus avancés sortent des fossiles »[23]. La France a d’ailleurs été citée en exemple par John Kerry lors d’une conférence de presse le 6 décembre : « La France produit environ 70% de son énergie grâce au nucléaire, et revend même de l’électricité à l’Allemagne. Nous, nous en produisons en Californie, en Arizona. Et pourtant, il y avait des protestations contre cette énergie il y a trente ou quarante ans [24]».

Il ne s’agit évidemment pas d’idéaliser la politique environnementale européenne qui n’est exempte ni de critiques justifiées ni d’éventuels blocages comme on a pu le constater à l’automne 2023[25]. Néanmoins, force est de constater que le régime climatique mondial tel que nous le connaissons n’existerait pas sans la détermination européenne. Pour autant, une grande partie de son évolution se joue sur l’axe Washington-Pékin dans la mesure où les États-Unis et la Chine représentent à eux deux plus de 40% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En effet, sur un total mondial de 53 786 Gt CO2eq les États-Unis émettent 6 017 Gt (soit 11,2%) et la Chine 15 684 (soit 29,2%), chiffres à comparer à celui de l’Union européenne : 3 587 Gt (soit 6,6%)[26].

Washington-Pékin : une convergence d’intérêts (limitée)

Au-delà des très nombreux sujets de discorde, les États-Unis et la Chine partagent des intérêts communs sur un certain nombre de dossiers. C’est ce qu’a démontré la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping à San Francisco le 15 novembre 2023, soit deux semaines avant l’ouverture de la COP28. Pékin a qualifié l’entretien de « positif, exhaustif et constructif », estimant que « San Francisco devait marquer un nouveau point de départ pour la stabilisation des relations » sino-américaines. Les Américains ont obtenu satisfaction, d’une part, sur la réouverture des canaux de communication entre les armées chinoise et américaine fermés depuis 2022 à la suite de la visite de Nancy Pelosi à Taïwan et, d’autre part, sur la lutte contre les exportations illégales en provenance de Chine, d’un opioïde de synthèse, le fentanyl. Particulièrement significative est la déclaration sur X (ex Twitter) de Joe Biden : « Il y a des défis mondiaux critiques qui demandent notre leadership conjoint. Et aujourd’hui, nous avons effectué de vrais progrès ». S’agissant du climat, le thème a été évoqué, les deux chefs d’État indiquant qu’ils souhaitaient « travailler ensemble » et laissant à leurs experts respectifs le soin de parvenir à un accord[27].

D’où, la veille, le 14 novembre, la déclaration de Sunnylands – « Sunnylands Statement on Enhancing Cooperation to Address the Climate Crisis » – qui annonce la création d’un groupe de travail commun sur le climat. Cette déclaration est le produit des rencontres entre les deux envoyés spéciaux américain et chinois pour le climat, John Kerry et Xie Zhenhua, à Pékin entre le 16 et le 19 juillet 2023 et à Sunnylands (Californie) entre les 4 et 7 novembre 2023.

La déclaration réaffirme la volonté des deux pays de mettre en œuvre l’accord de Paris, le « Glasgow Climate Pact » et le « Sharm El Sheikh Implementation Plan ». Son point 3 précise : « Les deux pays insistent sur l’importance de la COP28 pour répondre de façon significative à la crise climatique au cours de cette décennie décisive et au-delà. Ils sont conscients de l’importance de leur rôle, qu’il s’agisse des réponses adoptées au plan national ou de leur coopération, afin d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris et de promouvoir le multilatéralisme ». Le point suivant indique que les États-Unis et la Chine ont décidé de rendre opérationnel le « Working Group on Enhancing Climate Action in the 2020s ». Ce groupe de travail développera le dialogue et la coopération afin d’accélérer la mise œuvre d’actions concrètes en faveur du climat au cours de la décennie 2020. Il se concentrera sur la transition énergétique, le méthane, l’économie circulaire, l’efficacité dans l’utilisation des ressources, les technologies bas carbone, le développement durable au niveau des villes et des provinces, la déforestation… et sera dirigé par les deux envoyés spéciaux sur le changement climatique[28].

Ces décisions se situent dans le droit fil de ce qu’avait indiqué John Kerry dès le début de l’année 2021, c’est-à-dire juste après l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. L’envoyé du président des États-Unis pour le climat avait alors défendu la thèse selon laquelle le dossier climatique devait, et pouvait, être séparé des autres sujets de tension avec l’empire du Milieu. « Nous avons été très clairs, déclarait-t-il, le président Biden et moi-même, sur le fait que la crise du climat est une crise majeure qui ne peut pas être résolue en échange de compromis sur d’autres sujets de désaccord – et il y en a –, entre la Chine et les États-Unis »[29].

Si cette volonté de « travailler ensemble » résulte de la prise de conscience de la réalité et de la dangerosité du changement climatique – et de la convergence de certains intérêts bien compris qui en résulte –, elle trouve également une partie de ses racines dans des considérations de politique intérieure, elles-mêmes non sans incidence sur certaines décisions de politique internationale (exportations, protectionnisme…). A cela on peut ajouter que, compte-tenu de leur « contribution » au changement climatique, les États-Unis et la Chine sont les deux seuls pays dont les réductions d’émissions auraient un effet notable sur le climat terrestre et, partant, sur les conditions météorologiques qui prévalent sur leurs territoires respectifs.

Les États-Unis : la synergie entre l’État et le marché

S’agissant des États-Unis, la politique économique du président Biden est structurée autour d’une volonté de réindustrialisation qui passe, sinon par une planification stricto sensu, du moins par un ensemble d’incitations fiscales (crédits d’impôts, aides directes…) et de financements publics. Trois lois notamment jouent en ce domaine un rôle de tout premier plan : le Infrastructure Investment and Job Act (2021), le Chips and Science Act (2022) et surtout (pour ce qui concerne notre sujet) le Inflation Reduction Act (2022). L’idée est, via des financements publics massifs et des dispositifs fiscaux adaptés, d’exploiter les forces du marché et de créer un consensus bipartisan de nature à rendre irréversible la dynamique favorable aux investissements destinés à réaliser la transition énergétique[30].

Dans un entretien publié le 29 septembre 2023 sur le site du Financial Times, John Kerry explique qu’« aucun homme politique ne peut défaire ce qui se passe maintenant. Pourquoi ? Parce que le marché a pris sa décision. […] Vous croyez que les PDG vont reconstruire des usines qui produisent des moteurs à combustion interne ? Non. […] Lorsque j’ai quitté mon poste de secrétaire d’État j’ai dit qu’aucun gouvernement n’allait résoudre ce problème [la crise climatique]. Le gouvernement peut aider à créer une structure, à fournir des incitations… Mais c’est le secteur privé qui va le faire parce qu’il y a de l’argent à faire, beaucoup d’argent. C’est la nouvelle révolution industrielle [31]». Or, de façon en apparence (mais seulement en apparence) paradoxale, le secteur pétrolier est appelé à jouer un rôle important dans cette perspective car, d’une part, la guerre en Ukraine lui a permis de réaffirmer son importance et, d’autre part, il est l’un des mieux placés pour investir dans les technologies de captation et de stockage du carbone.

S’agissant du premier point, il est évident que la guerre en Ukraine a profité au secteur pétrolier américain. En 2022, les États-Unis ont produit 17,85 millions de barils de pétrole par jour contre 10,53 millions pour l’Arabie Saoudite ou 11,09 millions pour la Russie[32]. Toujours la même année, les États-Unis ont produit 1 021 milliards de mètre-cube de gaz sur un total mondial de 4 119 milliards, la Russie en ayant produit 672 milliards[33]. Les États-Unis n’ont donc aucun problème de dépendance énergétique et exportent du gaz naturel liquéfié en Europe. Le gaz étant devenu une arme géopolitique, et le pétrole l’ayant toujours été, il n’est pas question pour Washington de sortir des énergies fossiles.

En ce qui concerne le deuxième point, John Kerry est particulièrement clair. Dans l’interview citée plus haut il explique que le changement climatique étant engendré par les émissions de carbone non compensées il faut amener les compagnies pétrolières à investir massivement dans le captage et le stockage du carbone. Il est en effet incontestable que les compagnies pétrolières ont en matière d’extraction et d’injection de fluides dans la croûte terrestre une véritable expertise. Et que, comme le souligne The Economist, « elles ont également beaucoup d’argent et que le captage du carbone semble aujourd’hui très coûteux [34]».

Il est également à noter que le secteur des renouvelables connaît, à l’automne 2023, une crise de croissance car les projets, qui sont notamment mis en œuvre dans les États républicains[35] de façon à s’assurer l’adhésion de ces derniers à la politique portée par l’Inflation Réduction Act[36], sont financés en recourant au crédit et sont actuellement touchés par la hausse des taux d’intérêt[37].

Comme l’exprime sans fioritures Darren Woods, le patron d’ExxonMobile, au Financial Times le 2 décembre : « la transition ne se limite pas à l’éolien, au solaire et aux véhicules électriques. Le captage du carbone va jouer un rôle. Nous sommes bons pour ça. Nous pouvons contribuer. L’hydrogène jouera un rôle. Les biocarburants joueront un rôle[38]. » Quatre jours plus tard, le 6, John Kerry enfonce le clou en déclarant : « La science dit que nous devons réduire les émissions. Elle ne prescrit aucune discipline particulière à suivre ; elle dit de réduire les émissions. Et elle dit que nous ne pouvons pas atteindre zéro émission nette en 2050 sans une certaine quantité [39]» de captage et de stockage de carbone. Signe d’un changement d’époque, BlackRock a l’intention de cofinancer des usines de captage de carbone d’Occidental Petroleum[40].

La situation de la Chine n’est évidemment pas la même mais conduit à une attitude tout aussi prudente quant à la sortie des énergies fossiles.

La Chine : « établir le nouveau avant d’abolir l’ancien »

Avec pratiquement 30% des émissions de gaz à effet de serre en 2022, la Chine est un pays clé des négociations climatiques. Lors des COP26 (Glasgow) et 27 (Charm el-Cheikh) Pékin n’a relevé que très modestement ses ambitions[41]. Les déclarations de Xi Jinping concernant l’utilisation du charbon lors de son discours de clôture du 20e Congrès du Parti communiste chinois n’ont pas été de nature à enthousiasmer les partisans d’une sortie des énergies fossiles. « Le charbon, y explique-t-il, sera utilisé d’une façon plus propre et efficace et des efforts plus importants seront réalisés dans l’exploration et le développement du pétrole et du gaz naturel et pour découvrir plus de réserves inexploitées et pour augmenter la production ».

Le charbon étant très abondant dans le sous-sol chinois, la transition énergétique apparaît aux yeux de certains dirigeants comme potentiellement contradictoire avec la sécurité énergétique du pays. Par ailleurs les mines, comme la construction de centrales à charbon (en moyenne deux autorisations de construction par semaine), créent des emplois. A cela s’ajoute le fait que la structure du réseau électrique a largement été pensée en fonction du charbon et que les responsables régionaux n’aiment pas dépendre les uns des autres en matière d’approvisionnement énergétique [42]. Il est également probable que les coupures d’électricité de l’été 2021 sont restées dans les mémoires. D’où la formule « établir le nouveau avant d’abolir l’ancien[43] » utilisée par Li Keqiang (alors Premier ministre) le 5 mars 2022 à propos de la décarbonation de l’économie chinoise lors de son intervention annuelle devant le Congrès national du peuple.

Certes, Pékin maintient son objectif de neutralité carbone en 2060. Pour être atteint, un tel objectif nécessitera de recourir non seulement à une baisse des émissions mais également à des technologies de captage de carbone. C’est ainsi que la Chine a annoncé en décembre 2020 que ses émissions de CO2 seraient plafonnées « avant » 2030 et non plus « autour » de 2030 comme cela avait été indiqué lors de la COP21. Or, les experts ne sont pas d’accord sur la trajectoire suivie par les rejets chinois. Pour les uns, « on ne voit pas [le] pic [44]» d’émissions se profiler tandis que pour d’autres il devrait intervenir avant 2030, certains affirmant même qu’il a peut-être déjà eu lieu en 2023[45].

A l’appui de cette thèse (optimiste) on peut souligner d’une part le ralentissement économique chinois, la décélération dans la construction d’infrastructures, les déboires rencontrés par le secteur de l’immobilier… et d’autre part des investissements massifs dans les énergies renouvelables et dans le nucléaire. Ainsi, l’empire du Milieu possède actuellement 750 Gw (gigawatts) de capacités de production d’électricité solaire et éolienne, soit à peu près un tiers de la capacité mondiale. D’ici la fin de la décennie, le gouvernement voudrait porter ce montant à 1 200 Gw[46]. D’autre part, le programme nucléaire chinois est extrêmement dynamique. La Chine compte à ce jour 55 réacteurs (dont 37 ont été construits lors de la dernière décennie). Actuellement, 22 réacteurs sont en construction, le State Council en a approuvé la construction de 10 en 2022 et l’idée serait d’en construire de 6 à 8 par an. Pékin a accordé aux compagnies d’électricité publiques des prêts bon marché, des terrains, des tarifs de rachat… tous dispositifs qui ont abaissé le prix du mégawattheure à 70 dollars. Chiffre à comparer aux 105 dollars observés aux États-Unis ou aux 160 dollars dans l’Union européenne[47]. Aux yeux des autorités, l’intérêt du nucléaire est de constituer une source d’énergie pilotable pouvant être installée près des lieux de consommation, ce qui n’est pas le cas du solaire et de l’éolien. En effet, outre une production par nature intermittente, l’essentiel des ressources en rayonnement solaire et en vent se trouvent à l’ouest du pays tandis que l’essentiel de la demande se situe à l’est[48].

On comprend donc pourquoi Pékin ne s’aligne pas sur la position européenne d’un abandon progressif du charbon. Comme l’explique Li Shuo, spécialiste de la Chine au sein de l’Asia Society Policy Institute, « Pékin a une approche hyperréaliste des négociations. Si quelque chose n’est pas rentable ou efficace tout de suite, les Chinois ne le prennent pas en considération dans l’équation, c’est le cas avec le captage et le stockage du carbone ». Il ajoute que la Chine étant devenue un grand producteur d’énergies renouvelables, elle a été d’accord, dès de début de la COP28, avec l’objectif de tripler la production de ce type d’énergies d’ici 2030[49].

En adoptant ce type de position sur le charbon et sur les autres combustibles fossiles, Pékin tient également à apparaître comme le porte-parole du « Sud global ». La Chine refuse ainsi tout objectif climatique qui mettrait tous les pays sur le même plan. C’est ce qu’exprime la déclaration du ministère de l’Écologie chinois du 27 octobre 2023 : « Sur la base des conditions nationales, des capacités, des stades de développement et des dotations en ressources de chaque pays, nous devons coordonner la sécurité des chaînes énergétiques, alimentaires, industrielles et d’approvisionnement, promouvoir une transition verte juste et éviter de fixer un objectif unique »[50].

La Chine étant devenue depuis plus d’une décennie la deuxième économie du monde, on pourrait penser qu’elle accepterait de participer au financement du fonds d’adaptation et de celui pour les pertes et dommages. Tel n’est pas le cas comme on a pu le constater lors de la COP27. Bien plus, en septembre 2023, à l’occasion du sommet du G77 à La Havane, Li Xi, l’envoyé spécial de Xi Jinping et par ailleurs chef de la Commission centrale pour l’inspection de la discipline, a déclaré lors de son allocution que la Chine « fera toujours partie du monde en développement et sera toujours membre du sud global ». Si une Chine riche devait continuer à se présenter comme un pays en « développement », alors le terme développement ne devrait plus être compris dans son sens économique mais signifierait alors « non occidental » pour ne pas dire « anti occidental ». L’objectif de ce tour de passe-passe sémantique, digne d’un roman de George Orwell, est de rassembler les pays en développement autour de la vision chinoise de la gouvernance globale. C’est ce qu’exprime un document publié le 13 septembre 2023 par le ministère chinois des Affaires étrangères intitulé « Proposition de la République populaire de Chine sur la réforme et le développement de la gouvernance globale ». Connectant les différentes initiatives de Xi Jinping (Nouvelles routes de la soie, Initiative de développement global, Initiative de sécurité globale, Initiative de civilisation globale) ce texte présente le plan chinois concernant tous les sujets – de la lutte contre le changement climatique à la régulation du cyberespace sur lesquels Pékin a l’intention d’imprimer sa marque – afin de créer « un meilleur futur pour l’humanité »[51]. Un meilleur futur où les « valeurs universelles » prônées par l’Occident seraient considérées comme une forme de racisme[52].

On se rappellera que lors de la COP26 (Glasgow) c’est l’Inde et non la Chine qui avait demandé que, dans l’article 20, l’expression « élimination progressive (phaseout) du charbon non compensé » soit remplacée par « réduction progressive (phasedown) ». Comme l’avait expliqué Bhupebder Yadav, le ministre de l’Environnement indien : « Les pays en développement ont droit à une utilisation responsable des combustibles fossiles » ajoutant « Nous sommes en train de devenir la voix des pays en développement »[53]. Malgré un rapprochement sino-américain acté quelques jours plus tôt dans une déclaration commune, la Chine ne s’était alors pas opposée à l’Inde par peur de perdre son influence auprès de certains pays en développement (et par incapacité à se passer du charbon).

Fidèle à cette perspective, Narenda Modi a proposé que les pays en développement reçoivent leur « juste part » du budget carbone restant avant que le réchauffement climatique dépasse le plafond de 1,5°C. Quant à Lula da Silva, champion (autoproclamé) de la défense de l’environnement, il a déclaré que les engagements du Brésil « sont bien plus ambitieux que ceux des pays qui polluent l’atmosphère depuis le début de l’industrialisation[54] », omettant de préciser que son gouvernement s’apprêtait à mettre aux enchères 602 concessions d’exploitation pétrolière, dont 21 dans le bassin du fleuve Amazone[55]. En janvier 2024, le Brésil, neuvième producteur de pétrole au monde, a rejoint l’OPEP+.

Conclusion

Au terme de cette COP28, de (très) prudents espoirs sont permis. Tout d’abord, la COP28 n’a pas été la Bérézina climatique annoncée par certains. Il s’agit même d’un succès diplomatique qui peut s’expliquer par plusieurs raisons. D’une part, les Émirats arabes unis développent depuis de nombreuses années une stratégie de « soft power » qui leur interdit d’apparaître arcboutés sur la défense des intérêts à court terme du secteur pétrolier. Comme nous l’évoquions plus haut, il s’agit d’une évolution très positive. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les CDN plus que prudentes, pour ne pas dire insignifiantes, en termes d’engagement de certaines monarchies du Golfe au moment de la COP de Paris. D’autre part, les responsables émiratis n’ignorent pas que leur pays se situe dans une zone particulièrement exposée aux effets du changement climatique. Ainsi, dans le scénario « business as usual » du GIEC, les températures maximales au Moyen-Orient pourraient atteindre 46° Celsius en 2050 et 50° à la fin du siècle. Les habitants se retrouveraient alors confrontés à un stress thermique incompatible avec la vie humaine[56]. Enfin, les responsables émiratis souhaitent sans doute utiliser leur rente pétrolière pour acquérir une position de premier plan dans le domaine des énergies renouvelables et ainsi, d’un même mouvement, diversifier leur appareil productif, accroître la profondeur sectorielle de leurs économies et, par là même, renforcer leur position au sein de l’économie mondiale. L’exemple de Masdar, cité plus haut, corrobore cette hypothèse.

Ensuite, la diplomatie climatique apparaît de plus en plus comme un vecteur d’influence à l’échelle internationale. Les enjeux géopolitiques, économiques, institutionnels… dont le changement climatique est porteur sont susceptibles de conduire à des réaffectations de puissance dans de nombreux domaines : ressources naturelles, technologies, investissements… Et cela d’autant plus que la période contemporaine se caractérise par une montée des tensions entre les États-Unis et la Chine ainsi qu’entre le Nord et le Sud (global ?). Dans ces conditions, on comprend pourquoi ni Washington ni Pékin ne souhaite abandonner une once d’influence dans un domaine aussi transversal. C’est d’ailleurs l’un des points positifs de l’accord de Paris (et du Protocole de Kyoto) d’organiser, tout en n’étant pas contraignants, des rendez-vous annuels (les COP) où sont analysées les positions et les décisions des uns et des autres. Certes, la lutte contre le changement climatique nécessite de la coopération mais, paradoxalement, la compétition entre les deux premières économies mondiales pourrait également favoriser la transition énergétique planétaire, chacun investissant massivement dans des technologies bas carbone et visant à étendre son influence en les proposant aux pays moins avancés.

Enfin, les sommes mises en jeux dans les technologies bas carbone sont à ce point considérables qu’il est difficile d’imaginer un retour en arrière. La mondialisation, dont certains effets négatifs ne sont plus à rappeler, a au moins l’avantage d’obliger les industriels à concevoir des produits conformes aux normes de la zone économique la plus exigeante. La montée en puissance d’un capitalisme « vert » pourrait ainsi, pour reprendre une expression de Joseph Stiglitz, donner à la mondialisation les moyens de « tenir ses promesses [57] »… ou du moins certaines d’entre elles.

La COP28 marque aussi une victoire, ou du moins une avancée, « culturelle » comme le prouve par exemple le peu d’influence qu’a eu la réaction de l’OPEP. La plupart des pays jouent le jeu, 94% des 195 parties ayant envoyé leur CDN à l’ONU[58]. Les prochaines CDN devront être présentées au plus tard en 2025.

L’avenir est donc ouvert. Certes les énergies fossiles ne disparaîtront pas du mix énergétique mondial de sitôt. Et le plastique a encore de très beaux jours devant lui. Mais il est incontestable qu’un mouvement de fond est en marche à propos duquel on pense à la célèbre phrase de Churchill : « Ce n’est pas la fin, ni même le commencement de la fin, mais c’est peut-être la fin du commencement ».


Sources

[1] La toute première photographie de la Terre entière prise par un être humain, probablement par Bill Anders, date de trois jours plus tôt, le 21 décembre 1968, à 31 500 km de distance. Voir Andy Saunders, Apollo remastered. L’odyssée photographique, Vanves, Éditions du Chêne, 2022.

[2] Outcome of the first global stocktake URL :

https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma2023_L17_adv.pdf

[3] PNUE, Emission gap report 2023, p. xvi-xxiii. URL : https://www.unep.org/emissions-gap-report-2023

[4] Matthieu Goar, « Climat : les efforts des États très insuffisants », Le Monde, 15 novembre 2023, p. 16.

[5] Matthieu Goar, « L’ombre de l’accord de Paris plane sur Dubaï », Le Monde, 29 novembre 2023, p. 8.

[6] « Le “Pacte de Glasgow” : un exemple de coopération post-hégémonique ? », Choiseul Magazine, 16 mars 2022 (18 p.) URL : https://www.choiseul-magazine.fr/2022/03/16/le-pacte-de-glasgow-un-exemple-de-cooperation-post-hegemonique/

[7] Isabelle Hanne et Mathilde Roche, « COP 28. Sultan al-Jaber, une présidence étrange par essence », Libération, 30 novembre 2023, p. 2-4.

[8] Perrine Mouterde, « Tripler les énergies renouvelables d’ici à 2030, un objectif atteignable », Le Monde, 22 novembre 2023, p. 14.

[9] Sébastien Treyer, « De la COP27 à la COP28 : les énergies fossiles enfin sur la sellette? », Diplomatie. Les grands dossiers n°76, « Géopolitique du changement climatiques », octobre-novembre 2023, p. 82.

[10] Decision -/CP.28 -/CMA.5 Operationalization of the new funding arrangements, including a fund, for responding to loss and damage referred to in paragraphs 2–3 of decisions 2/CP.27 and 2/CMA.4

[11] Anne Feitz, « Fonds pertes et dommages : la COP28 s’ouvre sur une avancée majeure », Les Échos, 1er – 2 décembre 2023, p. 6.

[12] Anne Feitz, « Les Émirats lancent un fonds privé géant de 30 milliards de dollars », Les Échos, 4 décembre 2023, p. 6.

[13] Nicolas Berrod, « L’Opep met le feu à la COP28 », Le Parisien Dimanche, 10 décembre 2023, p. 6.

[14] Jean-Paul Maréchal, « Négociations climatiques : quels indicateurs pour quelle éthique ? », Négociations, n° 24, 2/2015, p. 25-38.

[15] Jean-Paul Maréchal, « Le “Pacte de Glasgow” : un exemple de coopération post-hégémonique ? », Choiseul Magazine, 16 mars 2022. URL : https://www.choiseul-magazine.fr/2022/03/16/le-pacte-de-glasgow-un-exemple-de-cooperation-post-hegemonique/

[16] « Saudi Energy Minister Won’t Agree to Fossil Fuel Phase Down». URL :

https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-12-04/cop28-saudi-energy-minister-says-won-t-agree-to-fossil-fuel-phase-down?leadSource=uverify%20wall

[17] Jean-Paul Maréchal, « L’Accord de Paris : un tournant décisif dans la lutte contre le changement climatique ? », Géoéconomie, n° 78, 2016, p. 113-128.

[18] Matthieu Goar, « Le trouble jeu diplomatique des Émirats arabes unis, pays hôte », Le Monde, 29 novembre 2023, p. 9.

[19] Idem.

[20] Matthieu Goar, « COP28 : l’heure de vérité pour les États », Le Monde, 29 novembre 2023, p. 6.

[21] Isabelle Hanne et Mathilde Roche, « COP 28. Sultan al-Jaber, une présidence étrange par essence », op. cit., p. 2.

[22] Romane Roussel et Jules Grandin, « Une électricité mondiale encore très carbonée », Les Échos, 4 décembre 2023, p. 15.

[23] Perrine Mouterde, « COP28 : les chefs d’État divisés sur les fossiles », Le Monde, 3-4 décembre 2023, p. 6.

[24] Matthieu Goar, « John Kerry défend une sortie des fossiles, mais sous conditions », Le Monde, 9 décembre 2023, p. 8.

[25] Virginie Malingre et al., « Europe : la mécanique du Pacte vert se grippe », Le Monde, 30 septembre 2023, p. 4.

[26] European Commission, GHG Emissions of all the World 2023. URL : file:///C:/Users/Administrateur/Downloads/GHG_emissions_of_all_world_countries_booklet_2023report.pdf

[27] Frédéric Lemaître, Corine Lesnes et Piotr Smolar, « A San Francisco, Biden et Xi renouent un prudent dialogue », Le Monde, 17 novembre 2023, p. 4.

[28] US Department of State, « Sunnylands Statement on Enhancing Cooperation to Address the Climate Crisis », 14  novembre 2023. URL : https://www.state.gov/sunnylands-statement-on-enhancing-cooperation-to-address-the-climate-crisis/

[29] John Kerry, « Climat : “Les États-Unis doivent être leaders” » (propos recueillis par Audrey Garric et Arnaud Leparmentier), Le Monde, 14-15 mars 2021, p. 7.

[30] Jean-Paul Maréchal, « La politique climatique américaine : sécuriser, réindustrialiser, décarboner », Choiseul Magazine, 10 mai 2023. URL : https://www.choiseul-magazine.fr/2023/05/10/la-politique-climatique-americaine-securiser-reindustrialiser-decarboner/

[31] « John Kerry: Energy transition is the ‘new industrial revolution’ », Financial Times, 29 septembre 2023. URL : https://www.ft.com/content/38a18257-47d1-44fb-ac30-fcc9598854a3

[32] Agence internationale de l’énergie, Oil 2023. Analysis and forecast to 2028, p. 116. URL : https://iea.blob.core.windows.net/assets/6ff5beb7-a9f9-489f-9d71-fd221b88c66e/Oil2023.pdf

[33] Agence internationale de l’énergie, Gas Market Report, Q1-2023. including Gas Market Highlights 2022, p. 64. URL : https://iea.blob.core.windows.net/assets/c6ca64dc-240d-4a7c-b327-e1799201b98f/GasMarketReportQ12023.pdf

[34] « A world turned upside down » in Special Report, « Carbon-dioxid removal », The Economist, 25 novembre 2023, p. 4.

[35] « Green Texas », The Economist, 14 mars 2020, p. 32-33.

[36] Jean-Paul Maréchal, « La politique climatique américaine : sécuriser, réindustrialiser, décarboner », op. cit.

[37] Arnaud Leparmentier, « Les États-Unis veulent associer les pétroliers à la bataille du climat », Le Monde, 29 novembre 2023, p. 8.

[38] Darren Woods, « UN climate talks have focused on renewable energy for too long », Financial Times, 2 décembre 2023. URL : https://www.ft.com/content/2217ab4a-2cae-4f4b-9ae0-124f209705da

[39] Perrine Mouterde, « Le captage et stockage du carbone, enjeu-clé des négociations à la COP28 », Le Monde, 9 décembre 2023, p. 8.

[40] Arnaud Leparmentier, « Les États-Unis veulent associer les pétroliers à la bataille du climat », op. cit.

[41] Jean-Paul Maréchal, « Le “Pacte de Glasgow” : un exemple de coopération post-hégémonique ? », Choiseul Magazine, op.cit. et  « La COP27 ou le climat au défi du clivage Nord/Sud », Choiseul Magazine, 25 janvier 2023. URL : https://www.choiseul-magazine.fr/2023/01/25/la-cop27-ou-le-climat-au-defi-du-clivage-nord-sud/

[42] « Will China save the planet or destroy it ? », The Economist, 2 décembre 2023, p. 52.

[43] « Shaking the money tree. To meet its ambitious growth target, China turns to stimulus », The Economist, 12 mars 2022, p. 44-45.

[44] Matthieu Goar, « Les émissions de CO2 continuent à progresser », Le Monde, 6 décembre 2023, p. 7.

[45] « Will China save the planet or destroy it ? », The Economist, op.cit., p. 51.

[46] Idem, p. 51.

[47] « Going fission (and fusion) », The Economist, 2 décembre 2023, p. 52-53.

[48] « Will China save the planet or destroy it ? », The Economist, op.cit., p. 52.

[49] Matthieu Goar, « COP28 : la Chine, acteur-clé d’un éventuel accord global sur la sortie des énergies fossiles », lemonde.fr, 10 décembre 2023. URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/10/cop28-la-chine-acteur-cle-d-un-eventuel-accord-global-sur-la-sortie-des-energies-fossiles_6205038_3244.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default

[50] Frédéric Lemaître, « COP28 : la Chine refuse de se laisser dicter calendrier et objectifs », Le Monde, 30 novembre 2023, p. 10.

[51] « China, leader of the global south ? », The Economist, 23 septembre 2023, p. 50.

[52] « The message to the global south », The Economist, 8 juillet 2023, p. 38.

[53] Joêl Cossardeaux et Muryel Jacque, « COP26 : des promesses et des impasses », Les Échos, 15 novembre 2021, p. 5.

[54] Perrine Mouterde, « COP28 : les chefs d’État divisés sur les fossiles », op.cit.

[55] Matthieu Goar, « COP28 : au cœur de la machine diplomatique », Le Monde, 12 décembre 2023, p. 6.

[56] Virginie Sauner, « Moyen-Orient : le changement climatique comme amplificateur de tensions et de conflits », Diplomatie. Les grands dossiers n°76, « Géopolitique du changement climatiques », octobre-novembre 2023, p. 64-65.

[57] Joseph E . Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard, Paris, 2006, p. 43-44.

[58] Matthieu Goar, « COP28 : la portée de l’accord en débat », Le Monde, 15 décembre 2023, p. 7.