Les élections de 2024 ne seront probablement pas artificielles (peut-être pas intelligentes non plus)

Publié le 26 janvier 2024

Américains, Brésiliens, Britanniques, Européens, Indiens, Indonésiens, Mexicains, Pakistanais, Russes, Taiwanais… Plus 4 milliards de personnes sont appelées à voter en 2024, soit près de la moitié de l’humanité. Ces élections, plus ou mois libres, se tiendront dans une nouvelle forme d’espace public, progressivement modifié par l’intelligence artificielle. Faut-il s’attendre en 2024 à la fameuse vague de désinformation qui nous est promise ?

Les trois avantages de l’IA

Chacun peut en effet imaginer que l’IA permet de créer à petit coût une grande quantité d’écrits, d’images et de vidéos, haineux, moqueurs ou élogieux suivant l’objectif, plus ou moins fondés sur des faits. Deuxième avantage, la technologie accroit les chances de créer des contenus engageants et viraux, en imitant les formes de ce qui « buzze » déjà. Et puis – c’est le troisième avantage – ces contenus peuvent être personnalisés en fonction des émotions, expressions et usages de chaque cible. Tout ceci n’est pas de la science fiction. Disons immédiatement que certains acteurs de la désinformation  mettent déjà à profit ces avantages comparatifs depuis de nombreux mois : faux enregistrement sonore décrédibilisant un candidat slovaque, rumeur d’explosion au Pentagone relayée par des canaux russes, vidéo « deepfake » d’un présentateur américain servant des intérêts chinois… Il y a fort à parier que les mots « désinformation » et « intelligence artificielle » feront partie des associations de mots les plus utilisées dans les médias en 2024.

2024, le nouveau 1984 ?

Mais au-delà de l’aspect spectaculaire et de l’effet de mode, les élections de 2024 ne devraient en réalité pas être plus artificielles qu’habituellement. En effet, si l’IA risque bien d’accroître la quantité de fausses informations, elle ne résout pas le problème de la diffusion aux individus, qui reste limitée, notamment au regard d’autres mécanismes de construction des opinions, comme les échanges directs entre personnes, la réflexion personnelle, la consommation de médias traditionnels. De nombreuses démocraties ont la chance de bénéficier d’une presse suffisamment structurée, professionnelle et diversifiée pour établir un consensus sur les faits. Plusieurs plateformes sociales, notamment Google et Meta, se sont équipées d’elles-mêmes ou via les réglementations pour maîtriser davantage la diffusion des contenus de désinformation.

Bref, certes, il faut s’attendre à un accroissement de la désinformation et les diffuseurs de fake news seront plus présents que jamais. Mais en se tenant prêtes,  les démocraties devraient parvenir à digérer l’excédent produit par l’intelligence artificielle : défendre une presse capable de travailler avec déontologie ; développer les capacités de veille, de déconstruction et d’affaiblissement des contenus de désinformation ; inciter les plateformes sociales à réguler leurs propres espaces afin qu’ils demeurent, quand c’est encore le cas, diffuseurs de savoir et d’informations qualitatives et plaisantes. La technologie ne doit pas servir d’excuse. Avec un peu d’attention et de détermination, 2024 ne sera pas le 1984 que certains nous promettent.

Les intertitres sont de la rédaction. Cette tribune est à retrouver dans le deuxième numéro de Choiseul Magazine, disponible en kiosque depuis le 25 janvier 2024.