Le train de l’IA sifflera trois fois (mais on entend déjà le deuxième coup de sifflet)

Publié le 18 octobre 2023
Illustration Intelligence artificielle

OpenAI, avec son fameux ChatGPT, est maintenant bien connu, de même que le Bard de Google, mais qui connait Anthropic, Hugging Face, Inflection, Cohere ou Light tricks ? Il s’agit pourtant de quelques unes des start-ups d’intelligence artificielle générative dont la valeur d’entreprise dépasse le Milliard de dollars en cette fin 2023. Des 15 licornes créées jusqu’à présent, une seule l’a été par des Français… qui ont déménagé à New York en 2017 pour lever des fonds. Pourtant, depuis France IA en 2017, l’engagement public a été constant. Avons-nous encore raté le train ? Si la France était probablement en grève lors du passage de l’« Ordinateur 1985 », du « Smartphone 1995 », du « Web2 2005 », du « Licornes numériques 2010 », du « Cloud 2015 » ou encore du « Biotech 2019 »…), qui nous empêche encore de sauter dans « l’IA 2024 » ?

Disons d’emblée que nous sommes toujours sur le quai, encombrés de bagages et ne sachant ou aller, au deuxième coup de sifflet. Nos chercheurs avaient bien vu venir les algorithmes d’IA générative – disons que le projet Bloom, soutenu par le CNRS, a même pu faire jeu égal avec les modèles américains – mais comme toujours dans la tech, la puissance de la technologie le cède au marketing. Le point fort de ChatGPT, c’est évidemment cette forme inédite et simple qu’est un produit marketing de bonne facture, qui installe un nouvel usage, peut-être générateur de suffisamment de valeur pour devenir aussi addictif que les moteurs de recherche actuels. Ce produit marketing a attiré suffisamment d’utilisateurs et d’intérêt : il dispose dorénavant de moyens financiers absolument colossaux. Pour monter dans le train, le prix du ticket est dorénavant de plusieurs milliards de dollars. En septembre 2023, Amazon a décidé d’investir 4 milliards de dollars dans Anthropic, la société qui a créé un puissant chatbot appelé Claude. Après les 10 milliards de Microsoft dans OpenAI, Apple, Meta, Baidu planifient tous des investissements massifs. Face à ces montants, les 500 millions d’euros annoncés par Emmanuel Macron à Vivatech en juin 2023, quoique salutaires, pèseront peu.

Un écosystème technologique français qui peut se singulariser

Que reste-t-il donc aux voyageurs de la classe économique ? La priorité est d’échapper à un psychodrame stratégique et médiatique, rejoué depuis 30 ans : celui de la disruption des entreprises françaises par les géants de la tech et les start-ups de « barbares ». Dans la banque, l’assurance, la santé, l’énergie, les services, les comités de direction doivent mettre en place des stratégies pour intégrer cette nouvelle forme d’automatisation qu’est l’IA. L’industrie du conseil et de la tech y aidera. L’impact de la « destruction créatrice » chère à Schumpeter sur l’emploi commence déjà à se poser, mais nul doute que l’essentiel des entreprises françaises parviennent à bénéficier de ces technologies, si elles y travaillent, comme elle l’ont fait par le passé.

Quant à notre écosystème technologique de l’intelligence artificielle, s’il n’a peut-être déjà plus la capacité à être consolidateur , il peut singulariser son offre, identifier des usages sur des verticales métiers, travailler à une consolidation européenne, veiller à ce que le private equity soit capable de financer plusieurs tours, s’inscrire dans la chaîne de valeur comme intégrateur, fournisseur ou développeur d’infrastructures et bénéficier d’une prime due au respect des législations locales. Si le marché du cloud ou de la cybersécurité sont dominés par les mastodontes américains, OVHCloud, Scaleway, CloudTemple, Orange Business services ou Numspot parviennent à apporter de la valeur. Encore faut-il construire des produits générateurs d’usage et savoir les vendre avec habileté, principale mission trop souvent méprisée au profit des prouesses technologiques qui impressionnent les happy few. Quant aux usages, il est essentiel que les entreprises et les gouvernants clarifient leur approche. Alors que l’appropriation des technologies peut générer des gains de productivité, les entreprises comme les universités ont tendance à interdire l’utilisation de ChatGPT. La conséquence ? 68% des Français s’en servent en cachette de leur manager.

Un moment géostratégique majeur

Attention au troisième coup de sifflet… A la fin du western éponyme, en plein midi, vient le moment de la bataille finale entre le shérif et les assassins. Certes, à court terme, la mode de l’AI devrait faiblir, comme pour toutes technologie qui génère des attentes excessives. Mais le troisième coup de sifflet de l’intelligence artificielle peut être un moment géostratégique majeur, que l’on envisage les dangers comme les gains en termes de santé, de savoir ou de puissance. Le numérique a déjà fragmenté nos démocraties en petits groupes sociaux qui ne se connaissent plus, il les a rendues perméables aux influences étrangères et transnationales. L’IA va passer à l’échelle ces deux tendances. L’incapacité des modèles à distinguer le vrai du faux et leur tendance à générer des contenus hallucinés va renforcer les phénomènes de fake news et de post-vérité actuels. L’utilisation de l’IA dans un cadre de cyberdéfense et de robotisation militaire peut modifier les équilibres de puissances. Nous devons absolument participer à ces évolutions pour les comprendre, les déployer pour bénéficier de leur apport et réguler rapidement leurs potentiels effets négatifs sans nuire à nos capacités d’innovation.