L’affrontement entre les États-Unis et la Chine pour l’hégémonie mondiale par Eduardo Olier

Publié le 13 juin 2023

Eduardo Olier, professeur honoraire au Centre supérieur de défense nationale à Madrid et auteur de plusieurs ouvrages sur l’économie de la mondialisation, signe un nouveau livre chez L’Harmattan intitulé « Les guerres puniques du XXIème siècle – l’affrontement entre les Etats-Unis et la Chine pour l’hégémonie mondiale ».

Dans une des deux citations ouvrant ce livre, l’auteur fait référence à la phrase de l’évangile de Jean (8 : 32) : « La vérité vous rendra libres. » S’agit-il d’une coïncidence ou non, c’est aussi la devise de la CIA. « And ye shall know the truth and the truth shall set you free. »

C’est donc notre esprit que veut éveiller à la vérité ce livre anticonformiste. L’auteur, Eduardo Olier, connaît l’industrie, la haute fonction publique européenne, l’audit et la finance et est le président de Choiseul-España. Son parcours professionnel multipolaire, complété par de riches activités d’enseignement dans de prestigieux établissements et d’essayiste, lui a donné un regard panoptique capable d’embrasser une situation géostratégique complexe, celui de notre monde aujourd’hui afin d’en déduire celui de demain.

Pour Eduardo Olier, la situation mondiale est principalement caractérisée par l’affrontement actuel et à venir entre les deux hyperpuissances que sont les États-Unis et son challenger, la Chine.

Le présupposé du livre prend appui sur l’article fécond du professeur américain Graham Allison, qui comparait la compétition sino-américaine aux guerres du Péloponnèse (431-404 av. J-C.) commentées par l’historien local Thucydide et qui virent la défaite d’Athènes au profit de Sparte [1].

Pour Allison et ses étudiants qui ont étudiés des cas similaires sur 500 ans, la poursuite d’une puissance montante vers une puissance établie ne peut conduire qu’à la guerre et à la défaite de ladite puissance établie. La longue guerre, dite « punique », Rome contre Carthage en est un autre exemple ; c’est celui que l’auteur prend principalement à son compte comme l’indique le titre.

L’auteur part donc du canevas Péloponnèse/Punique pour dérouler son argumentaire. Il rappelle la teneur et les motifs de ces guerres sans pitié qui ensanglantèrent la Méditerranée antique jusqu’à la disparition d’un des acteurs et le règne du vainqueur.

Olier montre l’évolution des Etats-Unis-Carthage-Athènes d’un côté et l’évolution historique qui fait de la Chine-Rome-Sparte sa concurrente absolue. Il va ainsi de la disparition de l’empire millénaire à l’émergence du maoïsme puis de la « nouvelle » Chine de Deng Xiaoping à Xi Jinping.

Basée sur une très forte érudition, la démonstration de l’auteur cherche à faire apparaître les éléments civilisationnels qui distinguent les deux puissances. Il met en évidence le temps long de la Chine par rapport au temps court – au « coups » – qui distingue le modèle américain. Il défend la thèse que l’action des Etats-Unis, jusqu’à la mise en place d’une mondialisation à outrance porte largement la responsabilité d’un chaos. Il montre enfin que les conditions géostratégiques mondiales conduisent irrémédiablement à une confrontation, y compris peut-être militaire à terme.

Dans un chapitre original, Eduardo Ollier fait l’analyse de la pandémie de Covid-19 du point de vue géostratégique. Dans cette crise, les deux hyperpuissances se sont affrontées en s’accusant mutuellement d’être à l’origine de la propagation du virus, en développant des stratégies différentes et en faisant de la fourniture de vaccins une arme politique.

Dans la dernière partie du livre, l’auteur étudie la situation de l’Europe qu’il voit comme prise entre le marteau américain et l’enclume chinoise. Quel espace politique reste-t-il, entre les deux géants, à une entité mal définie qui tarde à s’organiser ?

Qui plus est, Eduardo Olier voit la guerre en Ukraine comme un affrontement entre Etats-Unis et Russie sur le sol européen ! Cette guerre devrait affaiblir à la fois la Russie et l’Europe et accroître l’influence des deux hyperpuissances. La Russie parce qu’elle s’épuise dans un combat de longue durée aux objectifs de moins en moins clairs. L’Europe parce qu’elle repasse sous pilotage américain avec l’OTAN après des années « de mort cérébrale » (E. Macron) de l’organisation et en raison de la crise financière et énergétique qu’elle a générée et qu’elle sera incapable, de surcroit, de faire face à la future guerre du cyberspace. Pour la Chine l’affaiblissement de la Russie créé par la guerre et la dépendance qu’elle crée au profit chinois aux plans économique et politique sont du pain béni. La Russie, en dépit de son arsenal nucléaire, n’est plus qu’un acteur de seconde zone. Le face à face bilatéral peut commencer.

Le lecteur pourra ne pas suivre forcément Eduardo Olier dans tous ses développements. L’auteur de ces lignes, par exemple, pense que les Etats-Unis sont plus hégémoniques par défaut que par volonté (ses retours brutaux en isolement le confirment) de même qu’il n’adhère pas à la thèse de l’encerclement de la Russie par extension successive de l’OTAN. En revanche, il note qu’Olier propose d’intéressantes lignes d’interprétation du monde et nous offre une prospective basée sur l’analyse du temps long historique que peu ont effectués.

On pourra objecter que comparaison n’est pas raison. Les guerres du Péloponnèse et puniques se sont déroulées dans un temps et des données historiques données. Leurs commentateurs aussi géniaux soient-ils (Thucydide, Polybe…) ont écrit avec le biais de leurs allégeances respectives. Toutefois, les causes historiques de ces guerres méritent d’être méditées. Il n’y a plus désormais aucun doute que les Etats-Unis et la Chine soient plus tard, dans la confrontation. C’est déjà le cas aujourd’hui. Elle n’est pas obligée de s’achever militairement même si la guerre en Ukraine ou la crise de Taïwan peuvent y faire penser. Le remplacement d’une puissance par une autre puissance montante est donc un cas d’école à étudier et dans l’intervalle, la crise risque de se perpétuer. Eduardo Olier met en avant le « piège de Kindelberger » cet analyste repris par Joseph Nye qui disait qu’il y a crise quand « la puissance établie est incapable d’exercer son leadership tandis que la puissance émergente ne veut pas prendre ses responsabilités. » Gramsci disait de son côté : « La crise consiste […] dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître. »

Rien n’est pourtant totalement joué. Nous dirons avec Raymond Aron que « aucun déterminisme ne commande à l’avance une lutte inexpiable entre eux et la victoire totale de l’un ou de l’autre ; aucune réflexion morale n’autorise à attribuer à un tous les mérites, à l’autre tous les démérites. (…) Nous ne connaissons pas le terme final de l’aventure, l’aboutissement du déterminisme [2]. » Aron parlait de la confrontation Est/Ouest. Changez les mentions inutiles…

L’auteur, cependant, ne termine pas par une note totalement pessimiste. Il milite pour le réveil de l’Europe ; pour que cette entité en devenir prenne conscience de ce qu’elle est de ce qu’elle peut faire. « L’Europe, à notre avis, est la clé géopolitique du monde. Espérons qu’une nouvelle classe politique basée sur un leadership fort, le comprendra et mettra l’Europe au service du nouvel ordre mondial du XXIème siècle, basé sur l’harmonie plutôt que sur la confrontation. » Acceptons en l’augure car il est clair que ce que nous ne ferons pas nous-mêmes, d’autre le feront à notre place.


[1] Dimension de la conscience historique, Plon, Paris, 1961-1964, p. 308.

[2] Graham Allison est l’auteur du principal ouvrage de référence sur la crise de Cuba. Pour l’actualité voir : The Thucydide’s trap. Are the US and China headed for War? https://www.theatlantic.com/international/archive/2015/09/united-states-china-war-thucydides-trap/406/756/.