Chirurgie – Vers un bloc opératoire augmenté : plus digital, plus féminin, plus vert

Publié le 02 juin 2022

Par Christophe Duhayer, Président de Johnson & Johnson MedTech en France, en charge du développement du secteur des dispositifs médicaux  pour les professionnels de santé

Souvent perçu comme « le cœur » du système hospitalier, le bloc opératoire sous l’effet de la digitalisation de la chirurgie, de la féminisation de la profession et du mouvement de décarbonation de la santé, fait sa mue.

Une triple (r)évolution – progressive mais sure – qui le place au cœur des transitions numérique, sociétale et environnementale et en fait par là-même un bloc opératoire « augmenté » selon les propos du Pr Eric Vibert, pour le bien des patients. Et c’est bien là l’essentiel. En entrant dans cette nouvelle ère, la chirurgie et son bloc opératoire offrent la promesse d’une qualité de soins accrue et d’une santé plus durable.

Transition digitale et diminution du risque opératoire

Robotique de nouvelle génération, imagerie et visualisation avancées, réalité virtuelle, intelligence artificielle comme outil de détection et de prédiction… les solutions numériques font désormais partie du vocabulaire des chirurgiens. Certains hôpitaux dits « intelligents » déploient déjà des solutions d’imagerie avancées pour préparer des clones numériques pré-chirurgicaux de patients : grâce à des images virtuelles en 3D, les chirurgiens peuvent planifier la meilleure approche chirurgicale possible, détecter les variations anatomiques, anticiper les risques pendant l’intervention et affiner les choix thérapeutiques.

De telles techniques, permettant une homogénéisation des résultats et une réduction de la variabilité, seront la norme dans les blocs opératoires d’ici une dizaine d’années, améliorant ainsi la qualité des interventions. Cette révolution technologique aurait également le mérite, parmi d’autres raisons, de faciliter l’accès du bloc opératoire à des femmes chirurgiennes.

Un bloc qui se féminise

Bastion historiquement masculin, la chirurgie sous l’impulsion des « internes en chignon » ainsi qualifiées dans les années 70, se féminise lentement mais sûrement. Ainsi, les femmes représentent aujourd’hui 30% des effectifs totaux des spécialistes chirurgicaux (8,7% en 2005) avec des chiffres qui se rapprochent de la parité pour certaines spécialités comme la chirurgie pédiatrique (51%), l’ophtalmologie (45%) et la gynécologie-obstétrique (46%). (1) Une féminisation indéniable bien qu’on soit encore loin des chiffres observés en médecine générale, où 47% sont des femmes (soit + 9 points depuis 2007) et même 61% pour les moins de 40 ans. D’une manière générale, j’observe d’ailleurs que plus on s’éloigne du bloc, plus le taux de féminisation des professionnels de santé s’accroît ; ce qui tend heureusement à diminuer avec l’avènement des jeunes générations de chirurgiens.

La transition digitale ne serait pas étrangère à cette reconfiguration permise dans un contexte de mutations sociales, où la dimension stéréotypée du chirurgien impassible, stoïque, résistant physiquement et au sommet d’un huis clos très hiérarchisé – le bloc – est en train de vaciller. Car si la révolution numérique a permis de dynamiser les blocs opératoires et plus généralement la pratique médicale tout en améliorant la précision du geste et le contrôle de la réalisation de l’acte interventionnel, elle offre également aux chirurgiennes et aux chirurgiens un confort physique réel, facilitant notamment certaines postures et levant ainsi l’un des freins à la féminisation du bloc.

Et c’est une bonne nouvelle car la France qui vieillit a besoin de toutes les compétences pour assurer une continuité des soins. Autre bonne nouvelle – pas des moindres : la prise de conscience des acteurs de santé, soucieux de réduire leur impact environnemental, qui s’engagent dans une véritable transition écologique de leur secteur.

Décarboner l’hôpital : un impératif pour les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé

Entre urgence climatique, santé planétaire et santé humaine, le lien est évident. Dans ce contexte, la décarbonation de la santé constitue un véritable enjeu de santé publique que pointe The Shift Project, attirant l’attention sur l’importance des émissions de gaz à effet de serre (GES) produits par le secteur de la santé, établies à 8% du total national.

A ce titre, les acteurs de santé, industriels inclus, ont un rôle d’exemplarité à mener. A commencer par l’hôpital dont le bloc opératoire représente 20 à 30% des déchets. Une opération équivaudrait à plus de déchets qu’une famille de quatre personnes en une semaine, alerte la SFAR (Société Française d’Anesthésie et de Réanimation). Une anesthésie générale produirait plus de GES qu’un Paris-Lyon en voiture selon une étude publiée par The Lancet.

Certains CHU pionniers ont pris conscience de cette urgence et ont entamé leur transition vers le « green bloc ». Revalorisation des déchets du bloc plutôt qu’incinération, réduction des gaz anesthésiants, de la consommation d’eau à l’entrée des blocs, équipements plus économes en énergie sont les premières pistes étudiées.

Nous, industriels de la santé, avons notre rôle à jouer en travaillant par exemple sur des projets de recyclage des dispositifs médicaux et plus globalement sur l’optimisation de nos chaines d’approvisionnement.

Concilier développement durable, qualité de vie des soignants au bloc opératoire et qualité des soins, c’est tout l’enjeu de cette troisième transition dont les effets directs sur la santé sont plus difficilement mesurables à court terme. Elle devrait cependant bénéficier des transitions digitale et féminine du bloc opératoire qui sont d’ores et déjà favorables pour les patients… En somme, agir en faveur de la triple transition du bloc opératoire, « l’augmenter » avec le numérique, des compétences féminines et un environnement plus sain, c’est agir pour une santé plus durable.

(1) Atlas de la démographie médicale 2018 du conseil national de l’ordre des médecins

(2) Rapport One Health Cham 2021