Troisième musée le plus visité en France en 2018 avec plus de 3,6 millions de visiteurs, le Centre Pompidou est devenu une véritable institution à rayonnement international. Mais alors que Beaubourg a fêté son quarante-quatrième anniversaire le 31 janvier dernier, la nouvelle de la fermeture du Centre pour rénovation entre 2023 et 2027 conjuguée à la crise de la COVID-19, ont un goût amer pour les adorateurs du musée. En effet, le secteur est très impacté par la pandémie mondiale et la réouverture des lieux de culture est toujours aussi incertaine. C’est pourquoi, nous nous sommes entretenus avec Julie Narbey, Directrice générale du Centre Pompidou, pour connaitre sa vision de l’offre culturelle actuelle et les mesures prises par le Centre Pompidou pour affronter et s’adapter à cette crise de la COVID-19.
En 2020, ce sont plus de 20 millions d’euros qui ont été perdus par moindres recettes de billetterie, privatisations d’espaces, mécénats, recettes du Georges et des boutiques. La fréquentation au total a chuté de 80 % entre 2019 et 2020.
- Comment vivez-vous la crise sanitaire ? Quelles mesures d’adaptation avez-vous prises ? Qu’est-ce que la crise a dit, selon vous, du rôle social des musées ?
C’est une situation terrible pour un lieu culturel d’être fermé au public. Montrer les œuvres de notre collection, accueillir le public dans les expositions, au spectacle, au cinéma, à la bibliothèque, créer du lien, c’est le cœur de notre mission. Même si certaines activités non télétravaillables peuvent avoir lieu sur site (restauration d’œuvres, préparation d’expositions…), la plupart des équipes sont chez elle.
Cette deuxième période de fermeture génère beaucoup de tristesse voire d’incompréhension car nous avons beaucoup travaillé sur les protocoles d’accueil du public en rendant la réservation obligatoire et en limitant les jauges notamment.
Malgré la fermeture, nous restons cependant très actifs et créatifs pour préparer la suite en espérant une réouverture prochaine des musées. Nous avons mis à profit ce temps suspendu pour réfléchir sur la façon de mieux accueillir les visiteurs, de faire de la médiation et bien sûr de développer les pratiques numériques.
Par ailleurs, cette crise a révélé une grande envie de culture et un souhait que les institutions culturelles soient des institutions engagées. Pour le Centre Pompidou, cet engagement sur les grands enjeux sociétaux fait partie de notre ADN. Nous avons poussé la réflexion cette année sur ce qu’on a appelé nos lignes d’engagement pour approfondir et mieux mettre en valeur nos actions et l’engagement des artistes à nos côtés dans 4 domaines : répondre à l’urgence environnementale, agir pour la cohésion sociale et le partage des savoirs, lutter contre le racisme et les discriminations et promouvoir l’égalité et le respect entre les genres.
- La puissance du digital dans l’offre culturelle s’est confirmée. N’y a-t-il pas un risque de virtualiser la culture ? Comment comptez-vous vous saisir des opportunités de la dématérialisation tout en faisant vivre la culture in situ ?
Le Centre Pompidou bénéficie de ressources numériques d’une immense richesse et nous avons pu les mettre très rapidement à disposition du public dès le premier confinement en créant une plateforme de contenus puis en révélant notre nouveau site internet en novembre. Vous pouvez donc passer des heures aujourd’hui à visiter les expositions que vous avez ratées, guidés par les commissaires, à écouter des podcasts ou des interviews d’architectes, de cinéastes, d’artistes ou encore à vous connecter aux MOOC sur l’histoire de l’art moderne et contemporain que le Centre a produits ces 3 dernières années.
Les connections numériques ont évidemment beaucoup augmenté et on s’en réjouit mais rien ne remplacera jamais le rapport direct à l’œuvre que l’on a dans un musée. Cette expérience de la beauté, on ne la trouvera pas face à un écran. Le numérique est un formidable outil qui vient compléter l’expérience de visite mais qui ne viendra pas la remplacer. Nous ne sommes pas inquiets. Lorsque nous avons ouvert l’exposition Matisse fin octobre, malgré les conditions sanitaires strictes, tous les créneaux ont été pleins en quelques heures et ce sera à nouveau le cas à la réouverture.
- Comme tous les musées qui ont dû fermer leurs portes puis filtrer les visiteurs, le Centre Pompidou a subi des pertes financières importantes. Comment surmonter cette difficulté ? Quelles sont vos grandes pistes de financement à l’avenir, notamment les ressources propres ?
Les pertes sont énormes pour 2020 et le seront encore pour 2021 car le tourisme international et même français ne va pas redémarrer rapidement. En 2020, ce sont plus de 20 millions d’euros qui ont été perdus par moindres recettes de billetterie, privatisations d’espaces, mécénats, recettes du Georges et des boutiques. La fréquentation au total a chuté de 80 % entre 2019 et 2020.
Paradoxalement, ce sont les plus gros musées qui avaient les taux d’autofinancement les plus élevés qui souffrent le plus car ce sont justement les ressources propres hors subvention qui se sont effondrées.
Cela dit, alors que de nombreux musées dans le monde, aux États-Unis en particulier, sont obligés de licencier voire de mettre la clé sous la porte, nous avons la chance d’être soutenus financièrement par le ministère de la Culture.
Une fois la crise sanitaire passée, nous espérons que le public reviendra nombreux au Centre Pompidou, la période ayant révélé une grande envie de culture. Nous allons également, pour développer nos ressources, réfléchir à des offres de mécénat plus tournées vers la RSE pour créer des partenariats innovants avec les entreprises qui souhaiteront s’engager à nos côtés.
Par ailleurs, nos Centre Pompidou à l’étranger (Shanghai, Malaga et Bruxelles) ont été des partenaires fidèles dans la tempête. Nous réfléchissons donc à de nouvelles formes de collaborations internationales pour les années à venir.
- Vous vous attachez à faire du Centre Pompidou une institution à rayonnement international. Comment vous démarquez-vous des autres grands musées internationaux ?
Le Centre Pompidou a fait un choix singulier parmi les grands musées d’art moderne et contemporain dans le monde en ouvrant des implantations temporaires en partenariat avec des institutions locales. Ainsi a été ouvert en 2015, le centre Pompidou Malaga en Andalousie, en 2018 a eu lieu la préfiguration de Kanal/Centre Pompidou à Bruxelles et en novembre 2019 a été inauguré le Centre Pompidou West Bund Museum à Shanghai, en présence du Président de la République.
Ces projets sont un puissant vecteur de rayonnement du Centre, de nos collections d’art moderne et contemporain, de notre modèle pluridisciplinaire et des expertises de nos équipes. C’est aussi un moyen pour nous d’entrer en dialogue avec des scènes artistiques locales et de découvrir des nouveaux artistes pour enrichir les collections.
Depuis l’ouverture de Shanghai, nous avons des demandes nouvelles tous les mois malgré la situation sanitaire ! Il faudra faire des choix pour l’avenir…