L’innovation organisationnelle, technologique et médicale au cœur de la performance du secteur de la santé – Alix Pradère

Publié le 05 novembre 2020

La crise sanitaire nous a ébranlés mais a renforcé au moins une certitude : l’importance de la santé pour nos concitoyens !

Notre système de santé salué pour sa qualité médicale, pour l’universalité de sa prise en charge élevée quels que soient les revenus du patient… reste critiqué pour sa difficulté à s’adapter du point de vue de son organisation et pour son coût élevé. Il mobilise en effet plus de 11% de la richesse nationale (à l’égal de l’Allemagne) avec un coût qui augmente plus vite que le PIB. La question de sa soutenabilité financière est donc régulièrement posée, d’autant que certains indicateurs sanitaires interpellent : taux d’iatrogénie, écart sur l’espérance de vie en bonne santé comparé à des pays comme la Suède, faible développement de la prévention, capacité à prendre en charge les patients dans un parcours sans rupture, partage des informations entre professionnels de santé, présence médicale inégale selon les territoires (désertification ou forte densité médicale selon les zones), …

Innover et développer les coopérations entre les soignants reste une promesse à réaliser

OpusLine, comme beaucoup, a accueilli avec satisfaction la rupture que représente le Ségur de la Santé qui confirme la politique publique en faveur de l’innovation organisationnelle et technologique. Si les revalorisations des rémunérations des professionnels de santé répondent sans doute à une juste revendication, les autres volets restent une promesse car « construire l’hôpital de demain, c’est l’inscrire dans un réseau d’offreurs de soins et le faire vivre dans un territoire » au bénéfice des besoins des populations. Ainsi, investir, ce n’est pas construire de nouveaux hôpitaux – même si l’état de certains bâtiments le réclamerait – c’est accompagner les nouvelles pratiques de soins pour davantage de proximité, d’ambulatoire et d’accompagnement à domicile. Financer, c’est permettre de passer des nombreuses expérimentations en cours à leur déploiement au plus vite à grande échelle avec des nouveaux modèles de prise en charge au parcours avec un financement forfaitaire. Déployer le numérique, c’est soutenir les innovations tant technologiques qu’organisationnelles, sur l’ensemble de la chaîne, depuis la recherche jusqu’à la transformation des prises en charge et l’accompagnement au domicile.

Gagner la bataille du numérique en santé, un bénéfice pour la population et aussi un levier de compétitivité pour la France

Avec un investissement d’1,4 milliard d’euros sur trois ans, le gouvernement confirme l’ambition de sa stratégie numérique en santé pour la France, tant pour apporter à la population un service de santé concret et efficient que pour stimuler l’innovation technologique. Une stratégie qui doit hisser notre pays au niveau des champions du secteur ! Elle se traduit dans le projet « D’État plateforme » grâce à la réalisation de deux plateformes numériques en miroir : le Bouquet de Services pour les Professionnels (BSP) et l’Espace Numérique de Santé (ENS) pour chacun des usagers du système de santé. Cela va structurer l’offre de services numériques en santé et ouvrir un champ d’innovation et de progrès qu’assureurs et industriels, grands ou petits, doivent absolument investir.

Les pouvoirs publics ont notamment réagi à la crise avec des actions qui s’inscrivent dans la continuité des orientations de MaSanté2022 puis qui s’accélèrent et s’amplifient avec la Feuille de Route du Numérique en Santé.

Nous n’y sommes pas encore et le chantier est immense, mais le stop & go, que l’on sait mortifère pour la lisibilité et l’efficacité des réformes en santé, a été évité.

Accélérer l’innovation industrielle afin de retrouver une indépendance industrielle et sanitaire

La pandémie révèle la problématique, identifiée de longue date, de la dépendance de la France et des pays de l’Union Européenne en matière d’approvisionnement de produits de santé (plus de 60% des principes actifs sont fabriqués en Asie) amplifiée par des surconsommations brutales durant cette période. Pour autant, l’enjeu de la sécurité des approvisionnements, et son corollaire des relocalisations, est posé. L’explication au plan industriel est connue : la non-rentabilité de la production nationale de médicaments d’usage courant (antibiotiques…) et de dispositifs médicaux de protection (gants, masques…) fabriqués en Chine à bas prix. Si les mécanismes de relocalisation industrielle restent à inventer, le choix d’en confier la mission au Comité Stratégique De Filières des Industries et Technologies de Santé (CSF ITS Santé), impliquant les industriels, est judicieux. De même que l’effort consenti aux entreprises (allègement de la contribution à l’Objectif National de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), baisse des impôts de production…) afin de leur rendre des marges de manœuvre.

La solution en matière d’indépendance sanitaire n’est évidemment pas uniquement nationale mais européenne. Au-delà des coûts de production, elle exige une approche globale de la compétitivité par l’innovation, depuis la R&D jusqu’à l’accès au marché et tient en un mot : collaboration. Collaboration plus étroite entre acteurs publics et privés, industries, recherche publique, universités, start-ups et régulateurs, serait à encourager afin de densifier le financement de l’innovation, fluidifier les démarches administratives et d’évaluation, numériser et simplifier l’ensemble de la chaîne de décision. L’accélération unique observée sur les recherches liées à la COVID-19 est l’un des signaux encourageants qu’il reste à renforcer et inscrire dans la pratique quotidienne.

Enfin, l’industrie doit, à nos yeux, mener sa transformation digitale sur tous les fronts : évolution du médicament vers des solutions multi-technologiques et dynamiques ; exploitation des données de vie réelle en s’appuyant sur les travaux du Health Data Hub pour démontrer la valeur en continu ; digitalisation des processus ; nécessaire mutation des interactions avec les médecins appelés à se tourner à l’avenir vers davantage de services et de personnalisation, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres secteurs.

Réinventer l’assurance santé comme promoteur et partenaire de solutions numériques en santé

Enfin, la crise sanitaire montre une nouvelle fois combien l’assurance santé peine à valoriser son rôle et à trouver un espace audible. Au-delà du remboursement des soins et de l’indemnisation de l’arrêt de travail, il lui faut explorer de nouvelles activités rentables et renforcer sa valeur ajoutée auprès de ses assurés/entreprises clientes par l’impact de son action dans la vie quotidienne de ces derniers.

Trois priorités s’imposent donc aux assureurs : offrir une qualité de service irréprochable, passer du métier de gestionnaire de risque à celui de fournisseur de solutions de santé du quotidien et enfin migrer leurs stratégies de services vers l’ENS, vecteur d’usage et de visibilité. Les champs connexes de la prévoyance et de la dépendance seront à investir du fait de l’oxygène qu’ils y trouveront. Il leur appartient de devenir enfin des partenaires utiles et efficient des pouvoirs publics autant que des médecins. En jeu reste le renouvellement du modèle complémentaire à la française.

La crise sanitaire a révélé un défaut de vision globale et partagée des acteurs de la santé, autant que la complexité de l’organisation au niveau le plus local. Il s’agit aujourd’hui de saisir cette opportunité pour accélérer, via le numérique, la transformation du secteur de la santé autant en matière d’innovation médicale et technologique qu’organisationnelle. C’est le gage d’un système de santé plus performant, au service des citoyens et de la compétitivité économique de la France.