L’hydrogène, est l’élément chimique à la fois le plus simple (un proton et un électron), l’atome le plus léger et univalent. Mais c’est également le plus abondant dans l’Univers représentant 75% de la masse baryonique et plus de 90% du nombre d’atomes.
Le réchauffement climatique et le nécessaire recours aux énergies renouvelables, dont certaines ne sont qu’intermittentes, ont redonné à l’hydrogène, du fait de ses spécificités, un nouvel intérêt comme ressource alternative pour produire de l’électricité et stocker de l’énergie.
Historiquement, l’hydrogène, qualifié d’air inflammable, a été pour la première fois isolé en 1766 par H.Cavendish, et doit son nom à Lavoisier.
L’hydrogène étant onze fois plus léger que l’air, les premières velléités de mobilité liées à l’utilisation de l’hydrogène ont concerné les aéronefs. Contrairement aux montgolfières dont la sustentation était assurée par l’air chaud, l’hydrogène fut utilisé dans les charlières (ballons à gaz de J.Charles).
En 1838, Schönbein découvre le principe de la pile à combustible, et en 1839, Grove conçoit la première pile à hydrogène.
Un coup fatal fut porté à l’utilisation de l’hydrogène dans les aéronefs le 6 mai 1937, lorsque le Zeppelin Hindenburg explosa lors de son atterrissage dans le New Jersey faisant 36 victimes.
Quant à la pile à combustible, c’est grâce à son utilisation dans les véhicules spatiaux de la NASA à partir de 1960, puis aux chocs pétroliers, qu’elle a retrouvé une actualité.
D’ores et déjà présent dans plusieurs secteurs d’activité, l’hydrogène est l’objet de plusieurs applications dans le domaine de la pétrochimie, des engrais, des transports, dans la production d’électricité, ou dans des systèmes de cogénération (production concomitante de deux formes d’énergie, électricité et chaleur utile, sur un même site) pour un usage industrielle ou domestique.
Notre propos se limitera à l’utilisation de l’hydrogène pour servir la mobilité du futur.
UN VECTEUR ENERGETIQUE PROMETTEUR FACE AUX ENJEUX DE LA MOBILITE
Les trois enjeux de l’écomobilité
Au niveau mondial le secteur des transports est confronté à 3 enjeux majeurs.
Tout d’abord, une forte croissance démographique qui devrait porter la population mondiale en 2050 à 9 milliards d’individus. L’origine de cette croissance sera urbaine pour plus de 95%.
Ensuite, une augmentation sensible de la demande énergétique liée à l’émergence de nouvelles puissances économiques.
Enfin, un développement croissant du nombre de véhicules automobiles en circulation, avec un parc mondial qui devrait d’ores et déjà atteindre 1.2 milliard en 2020 (soit une croissance de 50% en seulement 10ans).
Face à une telle situation, qui entraînerait ipso facto une considérable augmentation de la consommation de carburants fossiles si le mix énergétique demeurait inchangé, les gouvernants et les institutions internationales ont pris des dispositions contraignantes pour réduire l’impact environnemental de l’utilisation de l’énergie, des émissions de gaz à effet de serre, et des émissions de rejets polluants.
Une réglementation de plus en plus contraignante
Responsable de 23% des émissions de CO2, de 58% des émissions de NOX (polluants atmosphériques constitués d’oxydes d’Azote), et 22% des émissions de PM10 (particules fines résultant de la combustion de combustibles fossiles dans les véhicules) le secteur des transports est très contrôlé.
Au niveau mondial, l’une des mesures les plus emblématiques est l’accord de Paris sur le climat (COP21) conclu le 12 Décembre 2015 et ratifié par près de 200 pays. Sa finalité ultime est de contenir la température de la planète « nettement au -dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels ».
Au niveau Européen, la Commission a fixé un objectif à l’horizon 2020 de réduction de la consommation énergétique de 20%, de diminution de l’émission des gaz à effet de serre de 20%, et un mix d’utilisation d’énergies renouvelables de 20%. Dans sa directive 2009/28/CE, l’objectif pour la France est de 23% d’énergie produite à partir de sources renouvelables.
Depuis le 1er Septembre 2014(pour l’homologation des nouveaux types de véhicules), les normes Euro 6 régissent les émissions de rejets polluants (NOX, monoxyde de carbone, particules etc…) en distinguant les véhicules à moteur diesel de ceux à moteur essence, GPL/GNL.
S’agissant du CO2, L’objectif, fixé aux constructeurs en 2009 par la Commission Européenne, est d’atteindre en 2020 une moyenne des émissions de leurs modèles de 95g de CO2 par km pour les voitures particulières et de 147g pour les utilitaires légers.
Dans sa proposition législative, publiée le 8 Novembre 2017, sur les émissions de CO2 des véhicules particuliers et utilitaires légers, la Commission fixe, pour 2030, un objectif de réduction de 30% des émissions moyennes de ces véhicules par rapport aux émissions générées en 2021.
La dépendance énergétique et ses conséquences économiques
S’ajoutent à ce constat climatique et aux enjeux sanitaires liés à la qualité de l’air, des enjeux économiques pour la plupart des pays de l’UE qui sont dépendants de l’importation de carburants fossiles.
En France, le déficit structurel du commerce extérieur perdure depuis de nombreuses années, et les importations de matières énergétiques constituent la première cause de ce déficit. En 2019, le déficit du commerce extérieur s’est élevé à 59 milliards € et la facture énergétique pèse pour 44,8 milliards €.
Dans ce contexte, il faudra nécessairement recourir à des énergies renouvelables pour des raisons climatiques, sanitaires, économiques et réglementaires.
Les principaux atouts de l’hydrogène pour une mobilité durable.
L’avantage technologique de l’hydrogène dans l’utilisation conventionnelle d’un véhicule résulte de l’absence de rejets polluants à l’échappement. L’hydrogène est aussi une source de stockage et de restitution de l’énergie dans les concepts V2H « vehicle to home » (la voiture connectée à l’habitat) et V2G « vehicle to grid » (la voiture connectée au réseau électrique).
L’hydrogène peut être utilisé comme un moyen de stockage de l’énergie pour les énergies renouvelables et intermittentes lorsque leur production n’est pas consommée.
Utilisé dans une pile comme combustible, l’hydrogène permet de produire de l’énergie et d’alimenter des véhicules « zéro émission » comme les véhicules électriques tout hydrogène ou d’augmenter l’autonomie des véhicules électriques ou hybrides (la pile à combustible recharge la batterie pour en prolonger l’autonomie). Son principe de fonctionnement, qui repose sur l’électrolyse inversée, est simple. Le véhicule est propulsé par l’électricité produite à bord du véhicule à partir de l’oxygène de l’air et de l’hydrogène comprimé stocké dans le réservoir. Le véhicule ne rejette dans l’atmosphère que de l’eau.
Les constructeurs envisagent l’hydrogène comme un vecteur d’énergie alternative et s’orientent vers une utilisation via la pile à combustible. En raison d’une médiocre densité volumique, (sa masse volumique est de 42 kg/m3), il est nécessaire de comprimer l’hydrogène à 700 bars, pour permettre de stocker 5kg d’hydrogène dans un réservoir de 125 litres. Cette compression du gaz consomme cependant 15% de l’énergie contenue au départ. Le rendement de la pile à combustible pour transformer de l’hydrogène en électricité est quant à lui de 50%.
Il est technologiquement possible de liquéfier l’hydrogène pour alimenter directement le moteur à combustion interne du véhicule. La liquéfaction de l’hydrogène s’effectue à -253 ° C ce qui réduit la dimension du réservoir à 75 litres pour une quantité identique de 5kg d’hydrogène. Cette liquéfaction consomme toutefois 35% de l’énergie contenue au départ. Le rendement du moteur n’est lui que de 25%.
Les bénéfices de l’utilisation de l’hydrogène dans un véhicule résultent de son excellente densité massique (son ratio masse/énergie est de 33kWh/Kg contre 12kWh/kg pour l’essence) et de l’absence totale d’émissions de CO2 et de rejets polluants à l’échappement.
Les principaux avantages du véhicule à hydrogène sont aussi liés à ses bonnes performances en termes d’autonomie (plus de 500km avec 5Kg d’hydrogène), de temps de ravitaillement (de l’ordre de 3 à 5 minutes). Sa puissance (plus de150 chevaux) sa vitesse (près de 180km/h) et ses accélérations (0 à 100 km/h en un peu plus de 9 secondes) sont très comparables à celles d’un véhicule traditionnel. Il procure des sensations de conduite agréables notamment à grâce à son silence de fonctionnement. Enfin, il peut démarrer dans des conditions climatiques extrêmes (- 30 ° C).
UNE PRODUCTION ENERGIVORE ET COUTEUSE. UNE DISTRIBUTION EMBRYONNAIRE ET PROBLEMATIQUE
Le coût élevé de l’hydrogène ressortit essentiellement aux spécificités de sa production, à son utilisation via une pile à combustible, et à ses coûts de stockage et de distribution.
Des coûts de production élevés
L’hydrogène n’étant pas une matière primaire, n’est donc pas une source d’énergie mais un vecteur énergétique qu’il faut préalablement extraire de l’eau ou du méthane ce qui consomme de l’énergie. Plus de 95% de la production d’hydrogène s’effectue actuellement le plus souvent au moyen d’un vaporeformage de gaz naturel (essentiellement composé de méthane). Cette solution demeure la moins coûteuse mais son prix de revient reste 3 fois supérieur à celui du gaz naturel. Par ailleurs, elle n’est pas neutre sur le plan environnemental dans la mesure où elle génère des NOX, du monoxyde de carbone et du dioxyde de carbone.
Tout comme pour l’électricité, l’impact environnemental de l’hydrogène doit être évalué du puits à la roue et pas seulement en mesurant les émissions en sortie de pot d’échappement du véhicule. S’agissant de l’hydrogène, il faudrait exclure le reformage d’hydrocarbures, voire l’énergie électrique d’origine nucléaire, pour ne le produire qu’à partir d’énergies renouvelables (éolienne photovoltaïque, hydraulique, biomasse) en pratiquant une électrolyse de l’eau. Le coût est alors 4 fois plus onéreux (sans compter le coût de l’électricité utilisé et celui de distribution de l’hydrogène). Le recours à une électrolyse à très haute température pourrait améliorer le rendement.
Tout comme pour le stockage, les conditions actuelles de fabrication de l’hydrogène pénalisent son rendement énergétique. Il n’est que de 45 % pour le vaporeformage, et de 25 à 30% pour l’électrolyse de l’eau.
D’autres solutions sont actuellement à l’étude pour produire de « l’hydrogène vert », la décomposition thermochimique, les microbes photosynthétiques, la photo-électrolyse de l’eau.
Le stockage de l’hydrogène sous forme solide (stockage par hydrures) est également à l’étude (l’hydrogène est conservé à l’intérieur d’un matériau, entre autres des alliages à base de magnésium). La capacité de stockage est alors portée à 123kg/m3.
Néanmoins, toutes ces nouvelles recherches n’auront d’impact que dans plusieurs années.
La pile à combustible : des composants issus de matériaux rares et chers
S’agissant à présent de la pile à combustible, son coût demeure très élevé. Ses composants sont onéreux, entre autres le rhodium, le platine (catalyseur), et d’autres éléments fluorés incorporés dans les membranes etc…
Des innovations, au niveau des matériaux rares et coûteux de la pile à combustible, sont indispensables pour rendre cette technologie plus compétitive (la nano- structuration pourrait à la fois améliorer le stockage de l’hydrogène et abaisser le coût de la pile à combustible)
L’autre problème majeur pour le développement des véhicules à hydrogène demeure celui de la distribution de l’hydrogène.
La problématique d’une distribution complexe et coûteuse
L’utilisateur de ce type de véhicule sera très attentif au développement d’un réseau de distribution capillaire.
L’Agence Internationale de l’Energie avait chiffré à 2000 milliards de dollars l’édification d’un tel réseau de distribution au niveau mondial.
En France, le seul coût d’installation d’une station distribuant 200 kg d’hydrogène par jour ressort à 2 millions d’euros.
La très faible densité volumique de l’hydrogène nécessite la mise en place d’un réseau spécialisé d’hydrogène gazeux, voire l’injection d’hydrogène dans les réseaux de gaz (« power to gas »), ou le transport d’hydrogène liquéfié par camion. Le développement récent d’un nouveau véhicule de livraison permet le transport de l’hydrogène sous forme de gaz comprimé à 500 bars. Dans tous ces cas, les normes de sécurité doivent être respectées et rendent complexe et coûteux le transport de ce gaz léger, fuyant, et inflammable. On notera cependant que l’énergie explosive de l’hydrogène (2.02 kgTNT/m3) est beaucoup plus faible que celle des vapeurs d’essence (44.22 kgTNT/m3).
Dans le plan Mobilité Hydrogène France, il est prévu l’implantation de 600 stations à l’horizon 2030. La France, contrairement à l’Allemagne ou au Japon, a déterminé un maillage territorial fondé sur une logique de « clusters ». En 2020 il existe 34 stations opérationnelles, et 9 projets devraient voir le jour d’ici 2021. Quant à l’Allemagne elle compte à ce jour 75 stations opérationnelles, mais le plan annoncé début Juin 2020 devrait conduire à une forte accélération du développement des stations de distribution.
L’hydrogène : une filière prometteuse mais encore empreinte d’incertitude
La filière hydrogène est encore empreinte d’incertitudes, mais le secteur de «l’automobilité » paraît le plus prometteur. Une seule technologie ne s’imposera pas, plusieurs motorisations et donc différentes énergies coexisteront encore de nombreuses années.
Le véhicule à hydrogène a sa place, qu’il s’agisse d’une berline familiale, ou d’un utilitaire léger, d’un poids lourd ou encore d’un véhicule de transport en commun. En un premier temps, son usage sous forme de flottes de véhicules paraît le mieux adapté.
L’hydrogène « vert », issue d’énergies renouvelables, est l’une des solutions les plus efficientes pour stocker l’électricité. A titre d’exemple, 50m2 de panneaux solaires permettent de produire annuellement une quantité d’hydrogène suffisante pour rouler 13 000km.
Le gouvernement Français n’a pas manqué de relever en 2015 que la filière hydrogène-énergie devait faire l’objet d’un encadrement et d’un accompagnement pour monter en puissance. Il est proposé de soutenir des technologies de rupture (stockage par hydrures, électrolyse haute température) et d’identifier des solutions pour réduire les coûts de production de l’hydrogène et de la pile à combustible. Enfin, il est proposé d’investir dans des solutions innovantes de distribution de l’hydrogène pour des dispositifs stationnaires ou mobiles afin d’assurer sa distribution efficace et sécurisée. La France va consacrer également 1,5milliard € de financement public sur une période de trois ans pour développer d’ici 2035 un avion fonctionnant à l’hydrogène.
Quant à ‘Allemagne, elle vient d’annoncer début Juin 2020, qu’elle voulait augmenter ses capacités de production « d’hydrogène vert » pour les porter à près de 5 Gigawatts en 2030 et 10 Gigawatts d’ici 2040. A cette fin, le gouvernement Allemand prévoit de débloquer un budget de 9 milliards € dont 7 milliards consacrés au développement du marché intérieur et 2 milliards destinés à la conclusion de partenariats internationaux. Ce programme d’investissement s’inscrit dans le plan de 130 milliards € mis en œuvre pour relancer l’économie allemande affectée par la pandémie de corona virus. L’objectif du gouvernement est de faire de l’Allemagne le premier producteur et le premier fournisseur d’hydrogène au monde en se focalisant sur « l’hydrogène vert » produit à partir d’énergies propres et renouvelables (principalement éolienne et solaire). Selon le ministre de l’économie, Peter Altmaier, cette stratégie devrait permettre à l’Allemagne d’être à la fois compétitive et d’atteindre ses objectifs climatiques.
Le décollage d’une technologie innovante requiert un soutien de la puissance publique. La France est bien armée pour développer cette filière, elle dispose des compétences requises et compte de grands industriels prêts à s’investir dans la filière hydrogène.
La transition énergétique dans le domaine de la mobilité va requérir une approche intégrée impliquant tous les acteurs, et au sein de laquelle, les gouvernants devront mettre en œuvre une réglementation cohérente et prévisible. Enfin, rien ne se fera durablement sans un changement des comportements de mobilité ce qui sous-entend une profonde implication du consommateur et du citoyen dans la conduite de ce changement majeur.