L’accord de partenariat entre l’Europe et le Japon – Michel Gardel

Publié le 10 août 2020

L’accord de partenariat économique entre l’Union Européenne et le Japon est entré en vigueur le 1er Février 2019. Après des négociations officielles commencées en Mars 2013 et 18 rounds d’intenses discussions, il a été signé par le Président de la Commission Européenne JC Junker et le Premier Ministre Japonais Shinzo Abe le 17 Juillet 2018, et ratifié, à une forte majorité, par le Parlement Européen le 12 Décembre 2018 (474 voix « pour » et 152 « contre »). Qualifié « d’accord non mixte », le texte de cet accord n’aura pas eu à passer par les fourches caudines des parlements nationaux et régionaux pour entrer en vigueur (rappelons-nous de la contestation du CETA par la Wallonie !).

Pour leur part, les deux chambres de la Diète Japonaise ont ratifié l’accord de partenariat économique le 29 Novembre et le 8 Décembre 2018.

Il y a lieu de noter qu’un accord de partenariat stratégique a également été conclu entre l’UE et le Japon constituant le tout premier accord-cadre bilatéral entre l’Europe et le Japon.
L’accord de partenariat économique, seul objet de cet article, a été conclu dans un contexte très particulier. La finalisation des négociations est intervenue au moment du BREXIT, des tensions en matière de commerce international et des mesures protectionnistes initiées par le Président Donald Trump. Il n’est que de citer à cet égard, le retrait des USA du partenariat Trans Pacifique (TPP), la renégociation de l’ALENA (accord rebaptisé USMCA), la suspension du TTIP (accord UE/USA) et les nombreuses majorations de droits de douanes imposées par les USA à la Chine voire à un moindre niveau à l’UE, ainsi que les mesures de rétorsion prises par la Chine vis-à-vis des Etats Unis.
L’accord de partenariat économique conclu entre l’UE et le Japon conduit à la création de l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde englobant 635 millions de personnes et représentant près de 30 % du PIB mondial.
Nous nous efforcerons d’analyser les enjeux économiques et politiques de cet accord, puis d’en présenter les principales dispositions.

Les enjeux politiques et économiques de l’accord de partenariat économique UE Japon.

L’ouverture des échanges pour mieux « façonner la mondialisation »

Sur le plan politique, il est indéniable que cet accord envoie un signal fort en direction des Etats Unis en faisant valoir que la coopération constitue le meilleur moyen de faire face aux défis internationaux.
En facilitant le développement des relations économiques entre l’Europe et le Japon, alors que les USA ne sont pas parvenus à conclure un tel accord avec le Japon et se sont retirés du TPP, l’UE a clairement remporté un premier succès stratégique sur la scène internationale en portant un second coup d’arrêt au tropisme américain vers l’Asie.
Au-delà de la stimulation de l’économie européenne, l’accord renforce aussi le rôle de l’Europe dans la définition des normes technologiques et des règles mondiales conformément à nos valeurs.
Le choix du Japon n’est pas neutre, il partage les mêmes valeurs démocratiques, la même volonté de mettre en place des règles qui participent à la protection de nos sociétés. Il se préoccupe de l’environnement applique des normes sanitaires et de qualité des produits élevées, et assure une grande protection des consommateurs.
Le Japon soutient le multilatéralisme et fait preuve avec l’UE d’une réelle détermination pour faire face aux défis mondiaux, notamment environnementaux.
La Commission Européenne n’a pas manqué de faire valoir qu’elle souhaitait envoyer un signal fort au reste du monde en soulignant que deux grandes économies résistaient au protectionnisme, et qu’elle considérait « l’ouverture des échanges comme l’un des outils les plus efficaces pour façonner la mondialisation»

Le Japon est la 4ème économie mondiale et le 6ème partenaire commercial de l’UE dans le monde.

Sur le plan économique, le Japon est un partenaire de premier plan. Avec 130 millions d’habitants et un PIB de 5063 milliards $, le Japon est la 4ème puissance économique mondiale, derrière les USA, l’UE, et la Chine.

Le Japon est déjà le 6ème partenaire commercial de l’UE. La valeur des exportations de marchandises de l’UE vers le Japon s’élevait à près de 60 milliards € et la valeur des exportations de services de l’UE vers le Japon représentait 29 milliards €.

Il y a lieu de noter que plus de 600 000 emplois dans l’UE sont directement liés aux exportations vers le Japon, les entreprises Japonaises implantées en Europe représentant quant à elles plus de 550 000 emplois.

Les entreprises européennes exportant vers le Japon sont au nombre de 78 000 et sont constituées pour l’essentiel (80%) de petites et moyennes entreprises.
Avant la mise en place de l’accord, le montant des droits de douanes acquittés par les entreprises européennes exportant au Japon s’élevait à 1 milliard € et ceux des entreprises japonaises exportant en Europe de 1.6 milliard €.

«Un accord ambitieux, équilibré et novateur, défendant nos intérêts et nos valeurs »

Quelles sont à présent les conséquences pour l’UE des grandes lignes de cet accord de partenariat économique conclu avec le Japon ?
Des bénéfices économiques tangibles

Certes, cet accord ne va pas supprimer immédiatement l’intégralité des droits de douane existant entre le l’UE et le Japon, mais il en supprimera la plus grande partie (90% des produits exportés par l’UE vers le Japon). Les 10% restants seront éliminés progressivement selon un échéancier allant jusqu’à 20ans pour le Japon et 16 ans pour l’UE. S’agissant des importations européennes en provenance du Japon, 76% sont libéralisées.

L’accord va également éliminer un certain nombre de barrières non tarifaires. C’est le cas notamment des exportations de véhicules automobiles, avec un alignement complet du Japon sur les standards internationaux.

L’accord permet d’ouvrir le marché Japonais aux principaux produits agricoles européens et d’augmenter les perspectives d’exportations dans de nombreux secteurs d’activité.
Ainsi, les exportations de denrées alimentaires transformées tels que la viande et les produits laitiers de l’UE vers le Japon devrait croître de 170 à 180% soit une augmentation de 10 milliards € supplémentaires.

Le marché agricole japonais offre de réelles opportunités en particulier pour les exportateurs français, mais il recèle également de nombreuses subtilités qui peuvent être difficiles à surmonter. On notera à cet égard l’intéressante étude réalisée par Business France, en partenariat avec le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. Cette étude porte sur les spécificités des systèmes d’importation et de distribution japonais avec un focus sur les principales filières alimentaires. Il y est également fait mention des grands principes qui régissent les exportations au Japon, comme notamment le « concept d’exclusivité morale » mais aussi l’importance d’un partenariat qui s’inscrit dans la durée et la nécessaire vision à long terme qui préside à la négociation de tels accords.
L’augmentation prévue des exportations de produits chimiques de l’UE pourrait atteindre jusqu’à 22%, soit 3 milliards € supplémentaires.

S’agissant des denrées alimentaires, les droits de douane de 30% sont supprimés sur de nombreux fromages. Les exportations de vins actuellement taxées à 15% seront exonérées.
La viande bovine jusque-là taxée à 38,5%, a fait objet de longues et âpres négociations, tout comme la viande porcine, chacune d’elles bénéficiera d’une réglementation plus favorable permettant d’accroître significativement les exportations européennes autrefois singulièrement entravées. (Les droits de douane sur la viande bovine devraient être progressivement abaissés pour atteindre 9% d’ici à quinze ans).

En ce qui concerne les produits industriels, les droits de douane sont supprimés dans des secteurs où l’UE est très compétitive, notamment les cosmétiques, les produits chimiques, le textile et l’habillement.

L’émergence de nouvelles perspectives favorables

L’ouverture du marché Japonais offre de réelles perspectives aux exportateurs en particulier dans le secteur des dispositifs médicaux et des produits pharmaceutiques, dans celui des matériels de transport et des véhicules à moteur, et dans l’agroalimentaire.
Le marché des services est également positivement impacté par l’accord. On notera notamment l’ouverture des marchés financiers, du commerce électronique, des télécommunications et des transports.

S’agissant des marchés publics, l’accord garantit l’accès des entreprises européennes aux grands marchés publics d’une cinquantaine de grandes villes Japonaises (de plus de 300 000 habitants). Cette clause est importante pour éliminer les obstacles pour accéder aux marchés publics notamment dans le secteur ferroviaire.
L’accord permet aussi de garantir la protection au Japon de plus de 200 produits jouissant d’un statut spécial sous l’appellation IG (Indication Géographique). Le statut spécial de ces produits garantit aux consommateurs qu’ils proviennent d’un lieu déterminé et qu’ils sont conformes à une qualité ou à une réputation leur conférant un avantage concurrentiel.

La réduction des obstacles non tarifaires

Les normes ou les mesures non tarifaires seront soit purement et simplement éliminées ou diminuées puis progressivement éliminées.
L’accord permettra à cet égard de clarifier les règles applicables en s’efforçant de les rendre transparentes et équitables. La référence aux normes internationales devrait garantir l’équité des conditions de concurrence. L’adhésion du Japon aux normes internationales automobiles est ainsi garantie dans l’accord de partenariat (Notons cependant qu’elle s’accompagne d’une suppression progressive, sur 7 ans, des droits de douane de 10% sur les Véhicules Particuliers importés du Japon)
Un chapitre spécial dédié aux petites et moyennes entreprises permet de prendre en considération les obstacles mêmes mineurs qui peuvent engendrer des effets très pénalisants pour ces petites entités.

La sauvegarde des intérêts de l’Union Européenne et le respect de ses valeurs.

L’accord veille à la protection des secteurs économiques sensibles, en prévoyant spécifiquement des périodes de transition suffisantes avant l’ouverture de certains marchés.
Les services publics sont préservés en ce que les européens décideront eux-mêmes la manière dont ils veulent les utiliser.
Le principe de précaution est également garanti par l’accord.

L’UE préserve par ailleurs le droit d’appliquer ses propres normes à tous les biens et services vendus en Europe.
L’UE pourra également continuer à fixer des normes plus sévères en matière de sécurité des produits ou de sécurité alimentaire. Il en sera de même pour des normes de protection du travail ou des normes environnementales.

S’agissant enfin des investissements, l’accord s’en tient à des principes généraux en soutenant la promotion des investissements entre l’Europe et le Japon, mais il est clair que cet accord de partenariat économique est plus centré sur les échanges commerciaux que sur les investissements. En ce qui concerne la protection des investissements l’accord ne contient pas de clause d’arbitrage clairement définie en cas de litige.

Si l’on se réfère à présent à la protection des normes et valeurs de l’UE, on notera le caractère novateur de l’accord qui comporte des engagements jamais contenus dans un accord commercial en matière de protection de l’environnement, de développement durable et de réglementation du travail. C’est le premier accord commercial international qui mentionne expressément l’engagement de lutter contre le réchauffement climatique et qui soutient l’accord de Paris sur le climat.

L’UE a également demandé au Japon de s’engager à ratifier les conventions de l’Organisation Internationale du Travail qu’il n’avait pas encore ratifiées.
Autre caractère novateur de l’accord, l’UE et le Japon sont convenus de favoriser les initiatives en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises. Les labels écologiques, le commerce équitable, et l’économie circulaire y sont également promus.

Enfin, sur le délicat dossier de la protection des données, l’UE et le Japon ont conclu, le 17 Juillet 2018, un accord qui complète l’accord de partenariat économique permettant de reconnaître comme « équivalents » leurs systèmes de protection des données. Cet accord sur « l’adéquation réciproque » permettra la création du plus grand espace sécurisé de circulation des données au monde.

….Et la Commission Européenne, de conclure en la personne de J.C .Junker et de la Commissaire chargée du commerce Cecilia Malmström : « cet accord est ambitieux, équilibré, novateur, et défend nos intérêts et nos valeurs ».

Un accord prometteur, mais aussi lacunaire sur certains points

Cet accord de partenariat économique, représentant près de 30% du PIB mondial et plus de 36% du commerce mondial, crée l’une des plus grandes zones de libre-échange au monde et est indiscutablement porteur d’opportunités pour les exportateurs européens. Si l’on se réfère à l’estimation de la Commission Européenne l’augmentation des exportations européennes vers le Japon devrait être de 16 à 24% et l’impact sur le PIB européen de 0.8 point de croissance (une étude commanditée par le gouvernement allemand est cependant moins optimiste avec une hausse de seulement 0.04% pour l’Europe contre 0.6 point pour le Japon).

Ce partenariat peut constituer par ailleurs un élément très favorable pour l’élaboration de normes au niveau mondial. Les normes technologiques européennes pourraient être singulièrement renforcées et faire opter des pays tiers en leur faveur.

Enfin dernier avantage majeur, cet accord renforce, à bien des égards, la position de l’Europe vis-à-vis notamment des Etats Unis tant sur le plan de la libéralisation des échanges que de la protection de l’environnement.

Le renforcement de la position de l’Europe en Asie contrecarre également les velléités hégémoniques de la Chine sur le plan géopolitique.
Certes, d’aucuns reprocheront à l’accord d’être incomplet dans la mesure où l’élimination des droits de douane ne couvre pas la totalité des produits et qu’elle ne s’applique pas immédiatement mais s’étale dans le temps. D’autres ajouteront que l’accord n’est pas équilibré, comme ils l’avaient déjà dit pour la Corée, puisque l’on ouvre un marché européen fort de 500 millions d’habitants à un pays qui n’en compte que 130 millions. Ils soulignent que la libéralisation des importations automobiles nipponnes favoriserait à terme leurs véhicules haut de gamme.
L’accord apparaît aussi lacunaire sur la politique d’investissement qui sera mise en œuvre par le Japon vis-à-vis des investissements européens. Il n’instaure pas non plus une clause d’arbitrage pour les litiges « Investisseur-Etat ».

Sur la libéralisation des services certains s’inquiètent de constater que le principe « des listes positives » prônée par l’OMC n’est pas appliqué au profit du système « des listes négatives » retenu par l’accord, ce qui leur apparaît moins sûr au niveau de la protection des services publics.
Certaines critiques émergent aussi pour souligner le caractère non contraignant de l’accord, qui n’est pas assorti de sanctions en cas de non-respect des normes sociales et environnementales.
Enfin certaines ONG n’ont pas manqué de dénoncer une certaine complaisance européenne sur les sujets environnementaux (surpêche, chasse à la baleine, exploitation de la forêt etc…)

Au global, on peut toutefois se féliciter qu’un tel accord redonne une place de choix à l’UE dans le commerce international et une voix plus forte sur le plan géopolitique pour faire valoir ses normes technologiques et ses valeurs.