Agriculture : le regard précieux d’Anne-Cécile Suzanne

Publié le 24 avril 2024

« Sauver la ferme était une chose. Devenir agricultrice en était une autre »

Rien ne la prédestinait à devenir agricultrice. Fille d’un père agriculteur et d’une mère médecin hospitalier, Anne-Cécile Suzanne enchaîne les années d’études : classe préparatoire, école de commerce, Sciences Po et échange à Boston alimentent le CV de celle pour qui travailler la terre n’a jamais été une option envisagée. A 20 ans, alors qu’elle doit affronter le deuil de son père, elle décide de ne pas abandonner l’exploitation en péril ; tout sauf perdre un peu plus de celui qu’elle aime.

L’autobiographie d’Anne-Cécile Suzanne, c’est l’anatomie d’une lutte : celle de son père qui doit affronter la maladie ; celle de sa famille, ensuite, qui doit faire front ; et bien sûr la sienne, tandis qu’elle se décide à reprendre l’exploitation familiale. Car il faut se battre pour faire face aux dettes, gérer les difficultés de trésorerie, encaisser le labeur et la douleur physique, se faire une place dans un milieu d’hommes et trouver les soutiens pour tenir bon dans le temps long. Alternant les allers-retours entre son exploitation du Perche et les cours rue Saint-Guillaume, la jeune femme parvient à maintenir la ferme à flots et valide son master à Sciences Po.

Les sillons que l’on trace est aussi un vibrant plaidoyer en faveur de notre agriculture, un hommage aux femmes et aux hommes qui la font vivre. Désormais habituée des plateaux télé et des tribunes médiatiques, l’agricultrice décrypte le quotidien des exploitations, remet en question les inepties, s’éloigne du buzz pour parler vrai. L’étudiante de 20 ans aurait sans nul doute était effarée de se voir ainsi mise en lumière, alors que « quand on est agriculteur (…) on ne se la ramène pas. Contredire, affirmer, argumenter, ça a quelque chose de pédant, c’est parler pour ne rien faire à la fin, c’est penser dans le vent et ça, ça ne sert à rien. » Aujourd’hui, la trentenaire ne laisse plus passer les raisonnements en cul-de-sac. « Demander à l’agriculteur de respecter l’environnement sans lui permettre de gagner sa vie, c’est brasser de l’air. »

Des instants de vie, du concret, du réel avec ses joies et ses peines, voilà ce que nous offre Anne-Cécile Suzanne dans son ouvrage qui rassemble émotions et analyses. Un regard précieux et sans filtre sur les difficultés du métier mais aussi sur le potentiel de cette agriculture pourvoyeuse de multiples solutions pour l’alimentation, l’environnement et le développement rural. Une voix qui s’élève pour une agriculture respectueuse des hommes et des animaux et une conviction que nous partage celle qui trace son sillon : « Cela ne se fera pas sans rémunération, considération, ni sans passion. Cela ne se fera pas sans nous, chacun d’entre nous. »

Pour aller plus loin :

Les sillons que l'on trace | hachette.fr Les sillons que l’on trace  – Anne-Cécile Suzanne (Fayard)