François Gemenne : « La ville a de nombreux leviers à actionner dans la lutte contre le changement climatique »

Publié le 14 mars 2023
François Gemenne lors du dîner Ville de Demain - Institut Choiseul

François Gemenne est chercheur au FNRS et membre du GIEC. À l’occasion d’un événement Choiseul Ville de demain, il a évoqué le rôle de la ville dans les grands défis environnementaux et la résilience urbaine face aux migrations climatiques.

L’écologie est parfois prise en étau entre les cadres internationaux et nationaux. Quel rôle peut jouer l’échelon de la ville face à la crise climatique ?

Très souvent, on a l’impression que l’écologie se retrouve en effet bloquée entre le global et l’individuel. Ces deux dimensions semblent parfois se renvoyer la balle et la responsabilité de l’une à l’autre. La société attend énormément des COP et des sommets internationaux. Certains gouvernements donnent à penser que l’écologie repose au contraire sur la responsabilité des individus. On en oublie qu’il existe toute une série d’échelons intermédiaires, à commencer évidement par la ville. L’échelon urbain a de nombreux leviers à actionner dans la lutte contre le changement climatique : ce sont souvent les villes qui sont responsables des politiques de logement ou de politiques de transport, qui sont de grandes sources d’émissions. C’est également au niveau de la ville que les principaux mécanismes de résilience se mettent en place, notamment via la cohésion sociale. De grands enjeux se jouent au niveau des villes, à la fois en termes de leviers pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre ; et d’adaptation aux impacts du changement climatique.

Quelles sont les conséquences migratoires du réchauffement climatique ? Quelles perspectives sur le long terme ?

Nous avons souvent tendance à imaginer les questions de migrations et de déplacements liés aux changement climatique comme une problématique future, un risque qui se matérialiserait si ne nous parvenons pas à réduire suffisamment nos émissions de gaz a effet de serre. La réalité, c’est que ces migrations se produisent déjà. En 2021, 24 millions de personnes ont été déplacées à la suite de catastrophes climatiques brutales. Il faut y ajouter toutes les personnes qui se sont déplacées à cause de dégradations plus longes de leur environnement, comme la hausse des niveaux des mers ou la dégradation des sols. La destination première de ces migrants, ce sont souvent les villes, notamment parce qu’il est plus simple d’y retrouver un emploi et de compléter les revenus des familles. Pour de nombreuses familles des pays du Sud qui vivent en région rurale, la migration vers la ville est une forme d’assurance contre les risques climatiques. Cela pose des défis considérables pour les villes, à la fois dans les pays industrialisés, mais aussi dans les villes des pays du Sud qui font face aujourd’hui à un flux massif de migrants venus des compagnes. Ces évolutions posent des questions de cohésion sociale, d’accès aux services, au marché de l’emploi et d’articulation entre les politiques migratoires et les politiques climatiques.

Dans ce contexte, comment se manifeste la résilience des villes face aux enjeux climatiques et migratoires qui les redessinent ?

Les villes doivent faire face aujourd’hui à ces deux défis que sont les impacts du changement climatique eux-mêmes, mais également les impacts humains du changement climatique, et notamment les problématiques de migration. Il y a un véritable enjeu pour les villes à articuler différentes politiques, des politiques d’aménagement urbain, des politiques d’intégration et des politiques climatiques. Or, ces politiques sont très souvent conçues comme des silos imperméables les uns aux autres. Il faut absolument faire éclater ces silos et avoir des politiques articulées les unes avec les autres. L’élément essentiel de la résilience des villes passe également par le renforcement de la cohésion sociale.

 

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