Maîtriser l’ensemble de sa chaîne de valeur, de la conception du produit à sa livraison, en passant par sa fabrication, permet à une entreprise d’optimiser les coûts, les délais et la qualité du produit fini, et de renforcer ainsi la position qu’elle occupe sur le marché. De l’industrie lourde à la distribution, du BTP à l’agroalimentaire, cette logique concerne des secteurs très différents.
Cela sonne comme une évidence : la maitrise de toutes les étapes conduisant de la matière première d’un produit, à sa commercialisation voire à sa maintenance, en passant par ses transformations successives, constitue une sorte de graal recherché, ou jalousement gardé, par les entreprises des différents secteurs. Contrôler toutes ces activités interdépendantes, par des alliances ad hoc ou par l’internalisation des capacités, crée de la valeur. L’intégration peut en effet aider une entreprise à réduire ses coûts de production, ses coûts intermédiaires (logistique) et ses coûts de transaction, mais également à mieux contrôler la qualité de ses produits tout au long de sa chaîne d’approvisionnement. Elle lui permet ainsi d’optimiser l’affectation des ressources, comme l’efficacité du processus de production. Autrement dit, de produire mieux et au meilleur coût, pour la plus grande satisfaction du client.
Optimiser les coûts, les délais et la qualité
L’exemple des compagnies pétrolières illustre bien ce type de business model sur un plan vertical : en effet, elles prospectent les champs pétrolifères, puis les exploitent à partir de leurs propres plates-formes, raffinent ensuite le pétrole, et enfin distribuent les carburants dans des stations-services à leur enseigne. Cette stratégie d’intégration permet par exemple à TotalEnergies de sécuriser ses approvisionnements et de réaliser des économies d’échelle sur les coûts de production et les dépenses de R&D, dans une industrie où les investissements sont colossaux, seulement abordables par des entreprises suffisamment solides et puissantes. Cette intégration est dictée par l’interdépendance technique entre les différentes activités concernées (exploration, production, raffinage, distribution), et constitue aussi un levier d’innovation, notamment dans une logique de « mix » énergétique. Il s’agit aussi de s’assurer des réserves et des débouchés, et de répartir les risques.
Pour les entreprises du BTP, l’intégration interdisciplinaire de différents métiers permet également d’optimiser les coûts, les délais et la qualité du produit fini, tout en facilitant le dialogue avec le donneur d’ordre. C’est un atout déterminant pour relever de façon optimale le défi des projets complexes, et tout particulièrement des contrats de conception-réalisation, un outil de commande publique de plus en plus utilisé pour les grands projets d’infrastructures.
C’est ce genre d’approche qui permet à des majors comme Eiffage d’entreprendre des chantiers complexes en contrat de partenariat public-privé comme le TGV Bretagne Pays de Loire, voire en concession comme la nouvelle autoroute A79. Les concessions d’autoroutes représentent d’ailleurs la forme la plus poussée de l’intégration verticale dans le BTP, puisque les entreprises assument sur plusieurs décennies le poids financier des investissements, la conception, la réalisation, l’exploitation, la maintenance et la mise à niveau.
Selon les projets, Eiffage, qui regroupe les métiers du génie civil, du métal, de la route et du rail, associe ainsi au sein d’un groupement tout ou partie de ses différentes branches, ainsi que des partenaires et sous-traitants spécialisés. Les majors du BTP développent en effet un écosystème de co-traitance et de sous-traitance : tout un collectif qu’il s’agit d’animer et de coordonner, un ensemble d’expertises qu’il faut fédérer et synchroniser, pour que chacun apporte le meilleur de sa valeur ajoutée sur un projet donné. C’est le cas par exemple du groupement qui a remporté le lot 1 de la ligne 16 – le plus important du Grand Paris Express – mené par Eiffage Génie Civil et intégrant Eiffage Rail, TSO et TSO Caténaires, ainsi que les sous-traitants Eiffage Fondations, Icop et Capocci, et les ingénieries partenaires Sweco et Antea.
Différentes logiques d’intégration
Dans certains cas, l’intégration de la chaîne de valeur se fait par l’amont, en produisant soi-même les différents composants entrant dans la fabrication d’un produit, voire en contrôlant son approvisionnement en matières premières. C’est par exemple le cas de Swatch, qui couvre tous les segments de marché de l’horlogerie, et a racheté, au fil des années, les différents fournisseurs des composants entrant dans la fabrication de ses montres.
Pour réduire ses coûts et maîtriser la qualité de ses produits, Ikea a, lui aussi, clairement misé sur l’intégration verticale de sa chaîne de valeur. Approvisionnement, design, assemblage, distribution et logistique, marketing… Seule la fabrication proprement dite est sous-traitée. Le géant suédois du meuble a même acheté une forêt en Roumanie en 2015, notamment pour se garantir un accès à long terme à du bois géré de manière durable.
Dans l’agroalimentaire, on constate des logiques similaires, comme avec le groupe coopératif Tereos, 3e sucrier mondial, mais selon une configuration originale : ce sont les fournisseurs de la matière première eux-mêmes, les planteurs de betteraves, qui sont à l’origine de la coopérative et en constituent toujours le Conseil de surveillance. Aujourd’hui, Tereos est présent sur toute la chaîne de valeur, du champ au consommateur : production agricole, transformation (avec des sites industriels et de R&D), distribution et logistique export.
L’intégration peut également porter sur le transport, la distribution, la réception, le stockage ou la manutention. Wall-Mart, par exemple, a réussi à devenir leader de la grande distribution aux Etats-Unis, en développant une grande maîtrise de sa logistique et de sa supply chain, qui lui permet de livrer plus rapidement ses produits et à un moindre coût par rapport à ses concurrents. Une stratégie que reproduit aujourd’hui à l’ère digitale le géant de la vente en ligne Amazon.
La maîtrise de l’ensemble de la fabrication peut également permettre de créer de la valeur. Afin de garantir la qualité des produits finis, bénéficier d’un savoir-faire artisanal et du label « made in France », l’entreprise Louis Vuitton s’appuie ainsi sur six ateliers de production en France pour son activité maroquinerie, sans rien déléguer à des sous-traitants externes.
Concevoir, réaliser et livrer
Dans le cas du BTP, outre la maîtrise de l’interdisciplinarité, c’est la capacité pour un constructeur d’intégrer la conception, l’ingénierie, les études, qui crée l’avantage concurrentiel. C’est d’ailleurs ce qui est attendu par la Société du Grand Paris pour les contrats de conception-réalisation des lots de la ligne 15 du Grand Paris Express, qui seront attribués en 2023 : la capacité à penser ce qui sera réalisé, si possible en apportant des solutions innovantes ; une vision d’ensemble ; la maîtrise des coûts, des risques, des délais et de la qualité du produit fini ; une expérience éprouvée de la coordination et de la co-activité sur les chantiers ; une fluidité des relations et un dialogue facilité…
Pour les pétroliers, champions de l’intégration verticale, le défi est différent. Ils doivent aujourd’hui se diversifier pour faire face à l’injonction croissante à développer des énergies décarbonées. C’est pour cette raison que TotalEnergies a mis la main sur Direct Energie, le principal fournisseur alternatif d’électricité et de gaz en France, concurrent d’EDF et d’Engie. Face à la pression croissante sur les énergies fossiles, les majors pétrolières cherchent à investir dans le secteur de l’électricité, à la fois dans la production et la commercialisation. Car de la même manière qu’elles sont présentes, pour le pétrole, de la plateforme en mer jusqu’à la station-service, elles veulent aujourd’hui reproduire ce modèle sur le gaz et l’électricité, et aller jusqu’au client final. Et ce, en intégrant les énergies renouvelables (solaire et éolien), dans lesquelles elles investissent également pour aller, selon le slogan du britannique BP, « au-delà du pétrole ».
Dans un tout autre domaine, celui l’industrie du divertissement, Netflix est aussi l’un des exemples modernes les plus significatifs d’intégration verticale. Alors que son cœur de métier consiste à distribuer sur sa plateforme payante des films et des séries produits par d’autres, le géant américain a décidé de créer son propre studio de contenus et n’en finit pas depuis d’élargir ses offres de séries et de films originaux, distribués en exclusivité sur sa plateforme.