Depuis le début de la crise, Mehdi Tazi s’affaire, aux côtés des pouvoirs publics marocains, à mettre en place des mesures d’accompagnement efficaces pour les entreprises et la population. Alors que la campagne de vaccination a débuté depuis quelques jours dans le pays, nous nous sommes entretenus avec le Vice-Président Général de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) sur les conséquences économiques de la pandémie mondiale et les solutions mises en place pour y faire face.
56% et 55% des entreprises sondées ont vu leur chiffre d’affaires baisser de plus de 50%
- Le Maroc a été très touché par la crise du COVID19. Pouvez-vous nous décrire l’impact de cette crise sur l’économie du Royaume, en particulier sur le milieu des affaires ?
La crise induite par la pandémie a frappé de plein fouet presque tous les secteurs d’activité au Maroc. C’est ce qui est ressorti des enquêtes du Baromètre de la CGEM qui vise à apprécier trimestriellement l’impact de la crise sur la performance des entreprises dans la conjoncture actuelle.
Ainsi, l’analyse de l’évolution de l’activité économique montre que, pendant les mois d’avril et de mai, respectivement 56% et 55% des entreprises sondées ont vu leur chiffre d’affaires baisser de plus de 50%. En juin, juillet, août et septembre, respectivement 44%, 37%, 38% et 35% des répondants ont connu une baisse du chiffre d’affaires de plus de 50%.
Sur le plan social, les résultats de l’enquête montrent que, malgré l’ampleur de la crise, 68% des entreprises répondantes ont maintenu la totalité de leurs salariés. C’est une conséquence positive de l’indemnité liée au chômage partiel que le gouvernement a déployé pendant cette période.
Pour ce qui est du financement, le Maroc a également mis en place des mécanismes de crédits garantis par l’État pour soulager la trésorerie des entreprises. 24% des entreprises sondées ont bénéficié de ces produits.
S’agissant des délais de paiement, ils se sont malheureusement rallongés en 2020. Les résultats de l’enquête indiquent une hausse du délai supplémentaire moyen pour atteindre 53 jours.
- Plus de 15.000 entreprises marocaines ont bénéficié d’une assistance financière afin de limiter les conséquences de cette crise sur leur activité. Comment se matérialise cette mesure et y a-t-il d’autres procédures d’accompagnement mises en place afin d’aider les entreprises à faire face à crise induite par la pandémie ?
En effet, depuis la détection du premier cas de Covid au Maroc, les pouvoirs publics, le secteur privé et les partenaires sociaux ont fait preuve d’une mobilisation, d’une cohésion et d’une solidarité sans précédent en contribuant, chacun dans son rôle, à la gestion de la crise.
Un Comité de Veille économique (CVE), au sein duquel la CGEM siège, a été mis en place dans un premier temps. Pour soutenir les entreprises, surtout les TPME, à traverser cette crise inédite et la période de confinement, ce comité a mis en place une panoplie de mesures dont le report des échéances bancaires, fiscales et sociales et les crédits “Damane Oxygène” et “Damane Relance”. Ce produit de financement pour la relance permet aux entreprises de bénéficier d’un crédit automatique, garanti par l’État, d’un montant d’un mois à un mois et demi de chiffre d’affaires dépendamment du secteur d’activité de l’entreprise (services ou industrie), et à un taux capé à 3,5% sur 7 ans avec un report de 2 ans pour le remboursement du capital.
Depuis sa mise en place par la Caisse Centrale de Garantie (CCG), le mécanisme “Damane Relance” a profité à 15.183 entreprises, pour un total de 22,4 milliards de dirhams. Le produit “Damane Oxygène” a, quant à lui, bénéficié à 45.000 entreprises avec un volume de crédits de 17 milliards de dirhams.
Plusieurs contrats-programmes ont été instaurés en soutien à des secteurs en difficulté, notamment le tourisme qui emploie plus 500.000 personnes, et les secteurs de l’événementiel, des traiteurs et des parcs d’attraction.
Par ailleurs, nous sommes actuellement en attente du déploiement dans les prochains jours du Fonds Mohammed VI pour l’investissement annoncé par Sa Majesté que Dieu l’Assiste. Ce fonds, doté de 45 milliards de dirhams, servira des fonds propres ou quasi-fonds propres aux entreprises. Il s’agit là d’un mécanisme de financement alternatif à la dette bancaire, proche du modèle déployé en France par la BPI.
- La CGEM a beaucoup milité pour la relance de l’économie après la crise sanitaire, quelles sont les perspectives pour le Maroc en 2021 ?
Depuis le début de la pandémie, nos industries ont été capables de se réinventer rapidement pour accompagner notre pays à traverser cette période délicate, en réorientant leurs activités vers la fabrication de produits nécessaires à la gestion de la crise sanitaire malgré les difficultés existantes.
Selon le baromètre précité, une nette amélioration de la perception de l’évolution de l’activité pour 2021 a été observée. Cette amélioration doit, à mon sens, être attribuée à la bonne gestion de la crise sanitaire et économique, et à la perspective de sortie de crise qui se dresse à l’horizon, avec l’arrivée du vaccin.
Dernièrement, le Ministère de l’Industrie, du Commerce et de l’Économie Verte et Numérique a lancé une Banque de Projets industriels, accompagnés d’études de marchés et de mécanismes d’accompagnement des entrepreneurs désirant investir (financements, accompagnement à la formation, à l’identification de sites industriels, etc.). Les projets ciblent des marchés existants, qui ne sont pas servis par des industries marocaines. Cette initiative a été accueillie par les chefs d’entreprises avec beaucoup d’enthousiasme. Il s’agit d’une démarche rassurante pour les entrepreneurs et ce, à double titre : Elle précise les besoins du marché en donnant de la visibilité sur les opportunités existantes et offre une démarche structurée par filière allant jusqu’au financement partiel de ces projets.
- Vous connaissez très bien le secteur de l’assurance aussi bien au Maroc qu’à l’échelle du continent africain. Comment voyez-vous ce secteur clé rebondir ?
Le secteur des assurances a été impacté à plusieurs titres par cette crise :
“Négativement” d’abord par la baisse des primes liée à la baisse de la matière assurable (moins d’investissements, moins de moyens chez les assurés pour couvrir certains risques moins prioritaires, etc.), par le rallongement des délais de paiement et par le la chute des marchés financiers de façon générale qui ont fait fondre les placements affectés aux opérations d’assurance.
Mais aussi “Positivement” par la baisse de la sinistralité observée sur certaines branches. Il y a eu moins de sinistres en automobile, en accident du travail ou en incendie industriel du fait du confinement, mais aussi, bien que ce soit moins intuitif, une baisse de la sinistralité en assurance maladie : il y a eu moins de virus à soigner (autres que la Covid), moins d’hospitalisations, moins de soins programmés, etc.
Aujourd’hui les choses semblent revenir à la normale ; à la fois sur l’évolution des primes, sur la remontée des marchés financiers, et sur la reprise de la sinistralité.
Sur une autre note, cette période a aussi forcé les compagnies d’assurance à se digitaliser plus vite qu’elles n’en avaient l’intention. Ce métier se prête mieux que d’autres à une dématérialisation des flux et des processus — à la souscription comme à l’indemnisation. J’espère que cette tendance perdurera au-delà de la période Covid.
- Le Maroc est aujourd’hui très présent en Afrique sub-saharienne. Quelles sont les ambitions associées à ce déploiement à votre Sud ? Quels en sont les premiers résultats que ce soit en termes économiques qu’en termes économiques ?
Le Maroc a été précurseur de la coopération intra-africaine; en témoignent l’importance des investissements nationaux dans les investissements directs africains, ainsi que la présence d’une dizaine de grandes entreprises marocaines un peu partout en Afrique, qui accélèrent l’intégration économique du continent. Le Roi Mohammed VI que Dieu l’Assiste a multiplié les tournées africaines, accompagné de ces grandes firmes marocaines, acteurs du savoir-faire du Royaume mis au service de ses pairs africains.
Le résultat est visible en quelques années : le Maroc est passé premier investisseur en Afrique francophone ; il a noué de solides relations et établi des accords avec une vingtaine de pays du continent, lesquels incluent, entre autres, le transfert de compétences et de savoir-faire. Cette influence économique et diplomatique grandissante sur le continent s’est confirmée par le retour du Maroc au sein de l’Union africaine. Cette dynamique est aujourd’hui également partagée par des PME, startups et autres acteurs de la scène du secteur privé marocain, qui gravitent autour de ces champions, et participent à la promotion de l’expertise marocaine qui se diversifie et s’enrichit.
La stratégie économique développée par le Maroc ambitionne d’ériger notre pays en hub régional, au service du codéveloppement dans les différents secteurs à forte valeur ajoutée pour notre avenir commun. Les secteurs prioritaires incluent la sécurité alimentaire, les infrastructures, la bancarisation et l’inclusion financière, les énergies renouvelables, l’économie verte…
Nous ambitionnons aussi de voir les apports de la ZLECAF au continent. Sur le plan macroéconomique, la mise en œuvre de cet accord viendra corriger la faiblesse des échanges entre pays du même continent, qui sont aujourd’hui les plus faibles au niveau mondial. Les échanges intra-africains ne représentent aujourd’hui que 16% des échanges globaux de ces pays. Cette faiblesse est le résultat des barrières tarifaires et non tarifaires entre les pays du continent ainsi qu’à la faiblesse des infrastructures permettant une fluidité des échanges. Alors que le Maroc est très actif sur le continent, à travers ses entreprises, ses banques et ses industries, ses exportations vers les pays africains ne représentent que 3,2% du total de ses exportations vers le reste du monde. Pareil au niveau des importations, où la part des achats venant d’Afrique représente à peine 2,5% du total de nos importations.
Enfin je dirais que les entreprises marocaines ciblant l’Afrique subsaharienne ont de belles perspectives de développement devant elles et sont fortement soutenues par la dynamique nationale d’exportation et d’ouverture. Il leur appartient d’en tirer le meilleur, au bénéfice de l’économie nationale et du développement du continent africain de manière globale.