Après une levée de fonds de plus de 370 millions d’euros, Antoine Hubert, semble en passe de réussir son pari : remettre les insectes au centre de la chaîne alimentaire des animaux domestiques et d’élevage, à travers un projet écologique et local. Ainsi, l’entreprise française construit près d’Amiens la plus grande ferme verticale d’insecte au monde baptisée « La Fermilière ». Un projet titanesque qui a pour objectif de devenir une norme sur le marché de l’alimentation animale. À l’heure où l’industrie agro-alimentaire cherche à se redéfinir, nous nous sommes entretenus avec le fondateur d’Ÿnsect sur sa vision de la filière, le modèle innovant proposé par sa société et ses objectifs de développement.
Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons construit un modèle 4.0 respectueux de nos environnements et multipliable à l’envie afin de produire localement et dans le monde entier.
- Vous avez fondé Ÿnsect pour répondre au défi que posera l’augmentation croissante des besoins alimentaires. Vous produisez ainsi des protéines issues d’insectes, qui constituent une alternative moins coûteuse en surfaces agricoles et en ressources et plus respectueuse de la biodiversité. Quelles données prospectives sur l’évolution des besoins alimentaires vous ont-elles motivés à vous engager dans cette voie ? Comment voyez-vous la place d’Ÿnsect et du secteur de la transformation d’insectes à horizon 2050 ?
L’accroissement démographique et l’amélioration du niveau de vie ont fortement impacté la demande alimentaire mondiale entrainant des besoins en protéines considérables, que ce soit pour la consommation humaine mais également pour l’alimentation animale (poissons, volailles, bétail). Ainsi, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) considère que la consommation de protéines animales augmentera de 52% entre 2007 et 2030. Or, cette forte croissance représente un risque élevé pour les écosystèmes mondiaux déjà très fragilisés par l’intensification des besoins en eau et en terres qui génèrent toujours plus d’émissions de gaz à effet de serre. Il y a donc urgence à repenser à la fois notre alimentation mais également la façon dont nous nourrissons les animaux et les plantes.
A l’origine d’Ynsect, il y a un engagement associatif, celui de militants, travaillant à reconnecter les urbains à la terre, à une alimentation plus durable et locale. Ces débats et nos recherches en faveur du mieux manger nous ont amené à nous intéresser à l’insecte comme aliments d’abord puis comme ingrédient.
Aujourd’hui Ÿnsect est une entreprise innovante qui a gardé cette ambition de contribuer à nourrir la planète mais en respectant environnement et ressources. Ainsi, Ynsect a créé un système breveté de culture de scarabées Molitor afin de produire et distribuer une gamme premium de protéines et d’engrais. Ces ingrédients naturels et durables apparaissent comme des solutions alternatives aux fertilisants chimiques ainsi qu’aux protéines animales utilisées en pisciculture, en alimentation des animaux d’élevage et de compagnie.
Le concept n’est pas nouveau : les insectes sont naturellement présents dans l’alimentation des poissons, oiseaux et animaux sauvages et sont par ailleurs élevés depuis des millénaires. Notre objectif et de remettre l’insecte à sa place, à la base de la chaîne et notre ambition, de démontrer qu’il est possible de créer une nouvelle filière tout en préservant les ressources : nous produisons 1kg de protéine d’insectes avec 98% de moins de terre que toute autre production agricole.
Nous sommes en train de construire la la ferme d’insecte ayant le plus d’impact au monde que ce soit environnementalement, économiquement ou nutritionnellement. Située à Poulainville près d’Amiens, il s’agit d’un projet carbone négatif : une première mondiale. À l’aube de ce projet nous préparons déjà le futur : d’ici une dizaine d’années, une dizaine de fermes verticales verront le jour dans le reste du monde pour répondre efficacement et localement aux enjeux alimentaires de demain.
- Ÿnsect a la particularité d’être une entreprise agro-alimentaire basée sur une innovation très poussée et très intégrée : automatisation des chaînes, intelligence artificielle, fermes verticales, données, nombreux brevets… L’innovation était-elle un pré-requis nécessaire pour vous lancer ainsi dans un secteur en pleine émergence ?
Les élevages d’insectes existent depuis toujours : les vers à soie par exemple. Mais ceux-ci reposaient sur des opérations manuelles qui rendaient difficile la production compatible avec les besoins en volumes, compétitivité et qualité des filières alimentaires européennes. Nous avons racheté un élevage traditionnel en 2014 et travaillé avec son ancien propriétaire, nos chercheurs et nos ingénieurs pour automatiser toutes les tâches afin de gagner en productivité. Chaque geste a été étudié afin de les optimiser. L’IA et la data nous permettent de suivre nos insectes afin de nous adapter à chaque instant à leurs besoins. Nous avons à ce jour 240 brevets déposés dans le monde issus de 30 familles de brevets soit près de 40% des brevets du secteur au niveau mondial. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons construit un modèle 4.0 respectueux de nos environnements et multipliable à l’envie afin de produire localement et dans le monde entier.
- La transformation d’insectes pour des fins alimentaires est un nouveau marché à part entière. Comment voyez-vous la filière se structurer autour de vous à l’échelle française ?
Face aux défis qui sont les nôtres : accroissement de la population, changements climatiques, érosion de la biodiversité, nous devons agir. Nous sommes convaincus que l’insecte sera une solution. Aujourd’hui plus de la moitié de la planète en consomme déjà. En Europe, cette évolution prendra surement plus de temps mais nous y arriverons. Les insectes présentent des propriétés intéressantes: ainsi par exemple, des études ont montré que l’insertion dans l’alimentation de protéines de notre scarabée contribuait à réduire le cholestérol de près de 70%. Le secteur de la nutrition sportive est également intéressant : notre insecte étant composé à 72% de protéines, il pourrait être une alternative intéressante. Nous sommes au commencement de cette industrie, nous découvrons tous les jours de nouveaux marchés, de nouvelles utilisations, de nouvelles propriétés. L’Europe et plus particulièrement la France ont une avance considérable dans le secteur. Nous sommes une filière toute jeune, l’IPIFF, association portant filière européenne des producteurs et transformateurs d’insectes contribue à la structuration nécessaire de la filière.
- Vous venez de réaliser une importante levée de fonds de 372 millions de dollars qui amène votre financement à un total de 425 millions de dollars. Vous préparez l’ouverture de la plus grande ferme verticale au monde, et visez bientôt 200 000 tonnes d’ingrédients produits par an. Quels sont vos objectifs de développement pour la suite ? Vers quels nouveaux secteurs et nouveaux marchés comptez-vous vous tourner ?
L’international ! Notre modèle n’est pas celui de l’export, nous souhaitons produire localement pour répondre aux besoins locaux. Ainsi, en parallèle de nos développements en France, nous prévoyons d’accélérer notre expansion. Nous annoncerons, courant 2021, l’implantation de la ou des prochaines fermes verticales, notamment Amérique du Nord, où nous commençons à commercialiser dès le premier trimestre 2021 dans le marché du pet food américain. L’alimentation humaine, l’alimentation des volailles et des porcs, des nouvelles gammes pour les animaux de compagnie… Les projets ne manquent pas parce qu’au final, quel que soit son régime alimentaire, Ÿnsect touche tous les consommateurs : du poisson ou de la crevette nourris à l’insecte, jusqu’aux épis de blé ou de la vigne cultivés avec le fertilisant naturel à base d’insectes. Notre entreprise s’inscrit dans une forme d’universalité en permettant à chacun de s’asseoir autour de la table tout en partageant des produits sains, sûrs et durables.
- La production de protéines répond aussi à un besoin de souveraineté et de sécurité alimentaires. Quels atouts la France possède-t-elle dans ce domaine ? Une filière européenne pourrait-elle se constituer ? Quelles cartes y a-t-il à jouer dans l’alimentation mondiale de demain et l’agroalimentaire de l’avenir ?
La Covid19 a démontré, s’il en était besoin, la forte dépendance de la France et de l’Europe sur des sujets essentiels tels que la santé et l’alimentation, et, notre pays est une grande puissance agricole. Préserver et renforcer notre souveraineté alimentaire doit être une priorité. Le Gouvernement l’a rappelé à plusieurs reprises et travaille au sein de l’Europe en mettant en place des plans ambitieux comme par exemple le Green Deal, the Farm to Fork Strategy, le Plan Protéines, nous y contribuons notamment au sein de l’IPIFF.