Yuka, une indépendance au service des consommateurs – Julie Chapon

Publié le 21 décembre 2020

Alors que les français appellent à plus de transparence sur la constitution des produits alimentaires, l’application d’information nutritionnelle et écologique Yuka affiche des chiffres toujours plus impressionnants : 3.5 millions d’utilisations, 5 millions de produits scannés tous les jours, une présence dans 11 pays et surtout un impact concret sur la production agroalimentaire. À l’occasion de la publication de son livre Le guide de l’alimentation saine, nous avons posé quelques questions à Julie Chapon, co-fondatrice de Yuka, pour comprendre un peu plus le système de notation et la clé du succès de l’application.

  • Lancée en janvier 2017, votre application Yuka a rencontré un énorme succès avec plus de 3.5 millions d’utilisations par jour dans 11 pays. Comment expliquez-vous cet engouement alors que d’autres avant vous avaient échoué ?

L’application est aujourd’hui disponible dans 11 pays (France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Espagne, Italie, Grande-Bretagne, Irlande, Etats-Unis, Canada et Australie) et compte 20 millions d’inscrits. 5 millions de produits sont scannés tous les jours.

Je pense que c’est principalement parce que Yuka est arrivé au bon moment. Suite aux nombreux scandales alimentaires de ces dernières années (lasagnes à la viande de cheval, laits infantiles contaminés à la salmonelle, les œufs aux fipronil etc.), les consommateurs ont développé une certaine méfiance à l’égard de l’industrie agro-alimentaire. Et notre application est venue répondre à leur besoin de transparence en leur apportant un outil qui leur permet d’y voir plus clair et de choisir des produits en toute conscience, de manière éclairée.

Par ailleurs, Yuka est un outil simple d’utilisation et avec un beau design. L’application simplifie des données complexes à déchiffrer pour un consommateur lambda.

Et enfin, cela peut aussi être expliqué par notre indépendance qui demeure au cœur de notre mission depuis le début. Nous sommes 100% indépendants et ne faisons aucune publicité dans l’application, ne revendons pas les données de nos utilisateurs et surtout ne recevons aucun argent de la part des industriels. Cette indépendance est essentielle pour pouvoir offrir une analyse objective en laquelle nos utilisateurs peuvent avoir confiance.

  • Quels sont vos objectifs à moyen et long terme ?

Notre objectif est le même depuis le début, celui d’aider les consommateurs à décrypter les étiquettes des produits afin de faire les meilleurs choix pour leur santé. Toutefois, nous souhaitons désormais aller plus loin en les aidant également à faire les meilleurs choix pour l’environnement. Pour cela, nous avons prévu d’ici peu (début 2021) de proposer dans l’application une évaluation de l’empreinte environnementale des produits alimentaires sous la forme d’un « Eco-Score » qui prendra en compte plusieurs critères : l’amont agricole, l’origine des ingrédients et l’emballage.

Notre vision est qu’à travers une consommation plus éclairée, les consommateurs aient un levier d’action pour conduire les industriels de l’agroalimentaire et de la cosmétique à améliorer leur offre de produits. Nous souhaitons, à travers cette application, que tous ensemble nous puissions avoir un impact positif sur notre santé et sur l’environnement.

  • Votre but avoué est de transformer le marché et de faire évoluer les modes de production, au point où votre produit perdra toute utilité. Vous considérez-vous comme une entreprise militante ?

Disons que nous nous considérons comme une application « militante de la transparence ».

  • Plus d’un million de produits alimentaires et 500 000 références cosmétiques sont référencés sur Yuka. Comment parvenez-vous à établir le score de ces produits et sur quelles bases se reposent vos évaluations ?

 Notre notation des produits alimentaires est faite de la façon suivante :

1 – La qualité nutritionnelle représente 60% de la note. La méthode de calcul se base sur le système officiel qu’est le « Nutri-Score ». Cette méthode prend en compte les éléments suivants : calories, sucre, sel, graisses saturées, protéines, fibres, fruits et légumes.

2 – Les additifs représentent 30% de la note du produit. Nous nous basons pour cela sur de nombreuses sources ayant étudié la dangerosité des additifs alimentaires.

Notre référentiel pour l’analyse des additifs se base sur l’état de la science à ce jour. Nous prenons en compte :

  • Les rapports d’expertise collective: l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), ou encore le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer).
  • L’ensemble des études scientifiques indépendantes.

Le détail du risque associé à chaque additif, ainsi que les sources scientifiques correspondantes, sont affichées directement dans l’application.

3 – La dimension biologique représente 10% de la note. Les produits considérés comme biologiques sont ceux disposant du label bio français (AB) et/ou du label bio européen (Eurofeuille)

Quant à la notation des cosmétiques, elle se base sur l’analyse de l’ensemble des ingrédients entrant dans la composition du produit.

En se basant sur l’état de la science à ce jour, chaque ingrédient se voit attribuer un niveau de risque (allant de sans risque à risque élevé) en fonction de ses effets potentiels/avérés sur la santé : perturbateur endocrinien, cancérigène, allergène ou encore irritant. Les risques potentiels associés à chaque ingrédient sont affichés dans l’application, avec les sources scientifiques associées. La note dépend du niveau de l’ingrédient avec le plus haut niveau de risque présent dans le produit. Ainsi, si un ingrédient à risque élevé (rouge) est présent dans le produit, la note sera automatiquement dans le rouge (soit en-dessous de 25/100). Si l’ingrédient avec le niveau de risque le plus élevé est un ingrédient à risque modéré (orange), la note du produit sera alors médiocre (en dessous de 50/100). C’est ensuite la présence d’autres ingrédients qui déterminera précisément la note parmi la fourchette définie.

Cette analyse se base sur l’ensemble des travaux scientifiques existants à ce jour pour chacun des ingrédients. Par principe de précaution, dès qu’un ingrédient est sujet à controverse, un malus lui est appliqué.

Yuka s’appuie sur de nombreuses sources pour son évaluation:

  • Avis d’instances officielles telles que l’ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), le CSSC (Comité Scientifique Européen pour la Sécurité des Consommateurs), le CIRC (Centre international de Recherche sur le Cancer) ou encore le CNRS (Centre national de la recherche scientifique).
  • Études scientifiques indépendantes
  • Bases de données scientifiques internationales (SIN List, TEDX List, Skin Deep, etc.)

 

  •  Toujours sur vos références produits, Yuka s’exporte dans de nombreux pays européens et même outre-Atlantique au Canada. Comment actualisez-vous vos références en fonction des régions ? Faites-vous appel aux utilisateurs pour mettre à jour votre liste de produits ?

Avant de lancer Yuka dans un nouveau pays, nous traduisons l’application dans la langue du pays et nous constituons une base de données avec les produits vendus localement. Pour cela, nous intégrons les bases libres et ouvertes et nous travaillons également avec des collaborateurs sur place qui se chargent d’entrer les produits inconnus dans notre base. Par ailleurs, nous faisons aussi appel à des bêta-testeurs pour qu’ils testent l’application en amont afin d’adapter au mieux l’application aux différents pays.

Une fois l’application lancée dans un pays, nous comptons aussi sur la participation de nos utilisateurs qui peuvent renseigner directement à travers l’application les produits non reconnus par Yuka, en ajoutant les photos des produits et de leur composition. De nombreux systèmes de contrôle permettent ensuite de s’assurer de l’exactitude des informations.

  • Les produits bio ont la part belle de nos rayons de supermarché depuis plusieurs années. Cependant, certains produits dits « biologiques » s’avèrent ne pas toujours l’être ou partiellement. Comment déterminer la traçabilité de ces produits et comment Yuka juge-t-il les labels bio des produits ?

Malheureusement nous n’avons pas les ressources pour effectuer des analyses en laboratoire dans le but de vérifier si les produits sont réellement biologiques. Nous sommes obligés de nous fier à la présence du label biologique français et/ou européen pour déterminer si les produits sont bio ou pas.

  •  De nombreux industriels et leurs produits se retrouvent épinglés par votre application, Intermarché s’est d’ailleurs engagé publiquement à modifier 900 produits et à supprimer 142 additifs. Quelles sont vos relations avec ces entreprises et une collaboration plus étroite avec les marques dans la confection de produit plus sain est-elle envisageable ?

Les marques sont nombreuses à nous contacter pour comprendre le fonctionnement de notre application, savoir comment elles pourraient améliorer leurs recettes, quels ingrédients enlever. Elles sont dans une démarche assez constructive et nous demandent même de les aider à progresser, ce que nous faisons en leur offrant la possibilité (gratuite) de tester leurs compositions en cours d’élaboration pour connaitre leurs notes Yuka.

Nous observons d’ailleurs de plus en plus de changements dans les compositions des produits (suppression d’additifs controversés, réduction du taux de sel ou de sucre, etc.). Les industriels ont pris conscience qu’il s’agit d’un mouvement de fond et qu’elles doivent changer. Certaines professions ont toutefois un peu plus de mal à évoluer comme nous avons pu le constater récemment avec la mise en demeure envoyée par la FICT (voir notre communiqué à ce sujet)

De manière générale, il n’y a toutefois aucune autre forme de collaboration avec les industriels. Yuka est une application 100% indépendante : nous ne travaillons avec aucune marque ni aucun fabricant, et nous ne faisons aucune publicité : les évaluations et les recommandations sont faites de façon totalement objective.

  • Avec le confinement, les modes de consommation des Français se sont sensiblement modifiés, notamment par une dépendance forte aux grandes surfaces au détriment des petits commerces et des consommations « de précautions » de produits transformés. Avez-vous discerné un effet notable de ces changements de consommation sur votre application ?

Non, nous n’avons pas identifié ce type de changement car nous ne faisons pas de statistiques dans l’application, nous ne géolocalisons pas nos utilisateurs et n’exploitons aucune de leurs données. Nous ne savons donc pas dans quel type de magasin ils font leurs courses. Ce que nous avons en revanche remarqué, c’est que l’application a été moins utilisée en période de confinement dû aux restrictions de déplacement et au temps limité que les gens peuvent passer au supermarché.

En revanche, nous avions mené une mesure d’impact avant le confinement auprès de 230 000 de nos utilisateurs. Et il était ressorti plusieurs changements de comportements dus à l’utilisation de l’appli, et notamment que Yuka avait replacé l’alimentation au cœur des préoccupations (83% des utilisateurs avaient affirmé acheter moins mais de meilleure qualité, 84% achètent davantage de produits bruts, 57% des utilisateurs déclarent cuisiner davantage). Je pense que ces tendances ont perduré pendant le confinement.

  •  Vous avez récemment publié un livre Le guide de l’alimentation saine dans lequel vous délivrez des conseils pour se tourner vers une alimentation saine. On oppose souvent alimentation saine et -gourmandise ou encore produit bio et accessibilité, est-ce que ce sont de fausses généralités ? Quels sont, selon vous, les fondamentaux à tenir pour une alimentation équilibrée au quotidien ?

Avant même que soit lancée Yuka, j’ai créé en 2016 le blog de Yuka. L’objectif de ce blog, écrit en collaboration avec le nutritionniste Anthony Berthou était de sensibiliser les lecteurs à ce sujet extrêmement complexe qu’est la nutrition. Suite au succès de notre blog, nous avons décidé avec Anthony de lancer notre premier livre Le guide de l’alimentation saine en octobre dernier. Au travers de conseils simples et facilement applicables, on souhaite montrer avec ce livre que mieux manger est vraiment à la portée de tous et qu’il n’est pas forcément nécessaire d’opposer alimentation saine et gourmandise. Nous proposons d’ailleurs dans le livre de savoureuses recettes saines ET gourmandes. On donne aussi des conseils pour bien choisir son fromage ou son chocolat par exemple car ce dernier présente de nombreux bienfaits.

Mieux manger au quotidien est simple mais cela nécessite de connaître les fondamentaux d’une alimentation saine et équilibrée pour ensuite pouvoir facilement adopter les bons réflexes nutritionnels, c’est pourquoi nous les présentons dès le début du livre d’une manière ludique et illustrée. Vous y trouverez également les clés pour bien démarrer, l’assiette idéale des 4 repas quotidiens avec la répartition optimale des aliments au cours de la journée, tous les conseils pour bien choisir ses aliments et 36 recettes gourmandes et saines.

Je conseillerais pour commencer d’éviter les aliments ultra-transformés, d’acheter plus de produits frais, de cuisinier davantage et de privilégier les fruits & légumes locaux et de saison.