Bestine Kazadi : « Dans un monde en quête de souveraineté énergétique et technologique, ignorer l’Afrique – et la RDC – serait une erreur majeure »
Entretien avec Bestine Kazadi, ministre déléguée chargée de la Coopération internationale et de la Francophonie de la République Démocratique du Congo
La ministre déléguée Bestine Kazadi plaide pour des partenariats économiques plus justes entre l’Afrique et l’Europe. Cette figure engagée de la société civile congolaise, récemment élue au Comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF) entend notamment mettre son mandat au service d’une cause qui la mobilise de longue date : l’inclusion économique et politique des femmes et des jeunes.
Quelles sont vos priorités en tant que ministre déléguée chargée de la Coopération internationale et de la Francophonie pour les prochaines années ?
Mon portefeuille gouvernemental poursuit la réalisation de trois objectifs majeurs, la recherche et la mobilisation de ressources extérieures grâce à l’émergence de la coopération économique, la promotion de la francophonie et le nouveau partenariat pour les investissements et l’amélioration de l’outil diplomatique.
Pour atteindre ces objectifs, mes priorités consistent à faire de la coopération un levier de souveraineté et de transformation économique pour la RDC, en privilégiant les investissements porteurs de partenariats mutuellement avantageux, tant au sein de l’espace francophone que dans d’autres espaces linguistiques.
En outre, la RDC aspire à bâtir une Francophonie économique fondée sur une nouvelle approche : celle d’une « communauté francophone d’affaires », axée à la fois sur les échanges commerciaux et sur le transfert de connaissances et de technologies, dans une logique de partenariat équitable.
Notre action vise également à rapprocher les institutions francophones des réalités de nos populations. Le programme D-Clic, par exemple, ouvre à la formation numérique de centaines de jeunes Congolais. À quoi s’ajoutent d’autres dispositifs mis en œuvre par l’OIF, en faveur des droits humains, de l’égalité entre les femmes et les hommes, et de la promotion de la diversité culturelle.
Une Francophonie économique fondée sur une nouvelle approche : celle d’une « communauté francophone d’affaires », axée à la fois sur les échanges commerciaux et sur le transfert de connaissances et de technologies, dans une logique de partenariat équitable.
En quoi la transformation de l’ordre mondial actuel impacte-t-elle les relations entre l’Afrique et les pays francophones ?
La mondialisation se redéfinit. L’Afrique détient une opportunité historique de passer d’observatrice à actrice dans un nouvel ordre mondial. Ce qui impose aussi de repenser ses relations avec l’espace francophone pour répondre aux aspirations profondes des peuples.
De nouvelles puissances – Chine, Inde, Turquie, Russie – transforment les dynamiques africaines avec des approches jugées plus pragmatiques. Si l’Europe francophone souhaite préserver un lien fort avec l’Afrique, elle doit dépasser la logique d’aide et entrer dans une démarche de co-développement : investissements directs, partenariats industriels durables, renforcement des chaînes de valeur locales, transfert de savoirs.
La RDC incarne pleinement ces mutations. Dotée d’un potentiel stratégique majeur, elle refuse désormais l’alignement automatique et entend jouer un rôle dans les décisions géopolitiques mondiales. Pays-solution face aux défis écologiques, technologiques et énergétiques, elle plaide pour des partenariats équitables, fondés sur le respect mutuel.
Avec 70 % des minerais critiques mondiaux, une capacité d’absorption de 1,5 milliard de tonnes de CO₂ par an et des projets comme le corridor du Lobito ou les Zones économiques spéciales, la RDC est au cœur des transitions du xxie siècle. Elle ne demande pas une place symbolique, mais la reconnaissance de son rôle stratégique.
Dans un monde en quête de souveraineté énergétique et technologique, ignorer l’Afrique – et la RDC – serait une erreur majeure. La Francophonie a les moyens de devenir un pont culturel et économique entre continents. Son avenir se joue en Afrique. Le nouvel ordre mondial est une chance. Dans cette course aux alliances, qui hésite, perd.
La jeunesse représente une part majeure de la population congolaise. Quelles initiatives francophones soutenez-vous pour renforcer la formation, l’employabilité et l’innovation chez les jeunes ?
Avec une population estimée à environ 100 millions d’habitants, dont 65 % âgés de moins de 25 ans, la jeunesse congolaise représente le principal moteur de transformation de la RDC. À travers la Francophonie, nous souhaitons porter le potentiel créatif et entrepreneurial de cette jeunesse sur la scène internationale.
À l’occasion du Salon d’innovation FrancoTech, organisé en marge du 19ᵉ Sommet de la Francophonie à Paris et à Villers-Cotterêts en octobre 2024, nous avons accompagné plusieurs jeunes innovateurs et entrepreneurs congolais venus présenter leurs projets. Trois d’entre eux ont été nominés et récompensés par des trophées dans les domaines de la santé, des médias et du numérique.
Au-delà de la portée symbolique de ces distinctions, elles ont confirmé l’existence d’un écosystème congolais dynamique, soutenu par une politique gouvernementale qui valorise la recherche scientifique, l’innovation numérique et le développement des start-up.
Nous plaidons pour une Francophonie résolument tournée vers l’avenir qui investisse dans les jeunes talents, soutienne les projets ambitieux, facilite l’accès au financement et crée divers ponts entre nos jeunesses francophones et les marchés internationaux.
Vous avez récemment été élue au Comité exécutif de la CAF et avez présidé l’AS Vita Club. Comment le sport et la culture vont-ils servir de leviers pour la diplomatie francophone et le rayonnement de la RDC ?
Au-delà de son poids économique – près de 5 % du PIB mondial – le sport est un puissant ambassadeur des nations. Il renforce la visibilité et l’image des pays à l’international, tout en véhiculant des valeurs universelles de paix, de fraternité et de solidarité. Vecteur de cohésion sociale, d’esprit d’équipe et de dépassement de soi, il fédère les peuples et offre un levier d’ascension sociale et d’espoir, notamment pour les plus démunis. À travers le sport, ce sont des valeurs de travail, d’effort et de compétitivité positive qui se transmettent. En tant qu’ancienne présidente de l’AS Vita Club et membre du comité exécutif de la CAF, j’ai pu mesurer toute la force du sport comme outil de soft power citoyen. Il est important que l’espace francophone soit un outil où le sport et la culture puissent servir de véritables instruments diplomatiques. Pour exemple, les Jeux de la Francophonie organisés à Kinshasa en 2023 en ont offert une opportunité concrète : 37 délégations nationales, 3 500 participants, 2 000 compétiteurs et 600 journalistes accrédités. Cet événement a donné l’occasion à des milliers de jeunes talents dynamiques de se rencontrer et de partager leurs projets dans un esprit d’innovation et de créativité, sous de nombreux drapeaux multicolores au bénéfice du rayonnement de la RDC.
Il est également essentiel de capitaliser sur ces événements sportifs afin de les ériger en véritables catalyseurs de développements économiques locaux pour stimuler plusieurs secteurs comme les infrastructures, le tourisme et toutes les industries annexes en vue de créer de nouveaux emplois.
Voici la vision que je défends, celle d’une diplomatie économique, culturelle et sportive porteuse de paix, d’inclusion, au service d’un développement durable pour nos communautés.
L’Afrique détient une opportunité historique de passer d’observatrice à actrice dans un nouvel ordre mondial.
Votre parcours mêle engagement civil, politique et culturel. En quoi cette diversité d’expériences nourrit-elle votre action en faveur de la Francophonie et du partenariat international ?
Mon engagement et ma trajectoire professionnelle se sont construits à l’intersection du monde associatif, de la culture, du sport et des institutions. Cette diversité d’expériences m’a conféré une sensibilité particulière aux dynamiques locales, au potentiel encore trop souvent sous-exploité des femmes, ainsi qu’à la nécessité d’adopter des approches réellement inclusives.
Aujourd’hui, je m’efforce de traduire cet engagement en actions concrètes, à travers les programmes de coopération que nous pilotons, en veillant à ce que chaque projet intègre une dimension de genre et de développement durable. Le leadership féminin n’est pas une option : c’est un impératif pour toute société qui se veut inclusive et égalitaire.
La Francophonie constitue un levier majeur pour faire progresser le leadership des femmes, à condition de renforcer son action de terrain. En Afrique centrale, cela passe par le soutien à la formation, à l’entrepreneuriat, à l’accès aux financements pour les femmes, mais aussi par une meilleure valorisation des parcours féminins dans les instances de décision. C’est un combat que je mène de longue date.