Thomes Bajas (Tilt Energy) : « La flexibilité électrique, une technologie pour trancher le nœud gordien de l’indépendance énergétique »
La souveraineté énergétique ne se décrète pas, elle s’orchestre. À l’heure où la France et l’Europe basculent vers un système électrique largement alimenté par des énergies renouvelables, l’enjeu n’est plus seulement de produire sur notre sol sans dépendance aux importations d’hydrocarbures, mais d’être capables d’intégrer, de piloter et de valoriser cette production intermittente. Et si la clé se situait du côté de la demande ?
Chaque kilowattheure renouvelable produit en Europe est un pas vers l’indépendance. Mais sans flexibilité, une partie de cette électricité est gaspillée : on écrête les surplus solaires et éoliens faute d’avoir adapté la consommation.
Or chaque kilowattheure effacé dans un moment de forte demande, ou déplacé vers une heure de forte production décarbonée, évite le recours à une centrale fossile. La flexibilité est donc une arme de souveraineté qui renforce notre autonomie collective en permettant de substituer plus de nos ressources renouvelables aux hydrocarbures importés.
La flexibilité, accélérateur clé de l’électrification
La mobilité électrique, le chauffage (et la climatisation !) par pompe à chaleur, la production de chaleur par résistance pour l’industrie ou les data centers ne pourront se déployer massivement que si leur consommation peut être pilotée.
La flexibilité est une condition à l’électrification : en la rendant d’abord possible à court terme (c’est-à-dire avec des délais de raccordement rapide), et ensuite compétitive (on réduit de beaucoup sa facture énergétique en consommant au moment les moins chers de la journée et en rendant service au gestionnaire du réseau électrique).
Elle permet aussi de simplifier la vie du gestionnaire du réseau de transport d’électricité en lui donnant plus de moyens d’équilibrer production et consommation au quotidien et réduisant ainsi ses coûts opérationnels et d’investissement dans les infrastructures de transport. Alors oui, la flexibilité électrique rentabilise la transition énergétique.
Une souveraineté qui ne se joue pas qu’au niveau des actifs tangibles
Elle repose sur une couche invisible : les données de consommation, les algorithmes prédictifs et les systèmes de pilotage. Être souverain, c’est disposer de modèles de prévision propriétaires et performants.
C’est aussi savoir connecter et piloter en temps réel des millions d’actifs : bornes de recharge, batteries, pompes à chaleur, systèmes de climatisation. Dans un monde où chaque bâtiment devient un acteur énergétique, ne pas maîtriser cette brique numérique et matérielle reviendrait à perdre le contrôle stratégique de notre système électrique.
L’innovation dans ce domaine est donc un impératif. Sans plateformes locales capables d’orchestrer les flexibilités, l’Europe serait contrainte d’importer ses solutions logicielles et de confier à d’autres continents le pouvoir de décaler nos consommations électriques, d’orienter nos flux, et in fine de garantir notre sécurité d’approvisionnement.
Une telle dépendance serait inacceptable : la maîtrise des algorithmes et des connexions aux actifs constitue d’ores et déjà un enjeu aussi critique que la maîtrise de nos centrales de production.
La souveraineté énergétique de demain se joue dans cette capacité à faire de chaque kilowattheure produit et consommé une ressource optimisée.
Elle suppose de considérer nos bâtiments et nos infrastructures non plus comme de simples consommateurs ou producteurs, mais comme des acteurs stratégiques du système électrique. C’est la condition pour accueillir davantage de renouvelables, accélérer l’électrification, stabiliser les prix et renforcer notre indépendance.
En somme, la souveraineté du XXIᵉ siècle ne se mesurera pas seulement aux mégawatts installés, mais à notre aptitude à connecter, prévoir et piloter nos usages. La flexibilité, rendue possible par la connexion aux équipements, la donnée et l’IA, devient l’épine dorsale d’un système électrique résilient, décarboné et véritablement souverain.