Éric Cohen, fondateur et PDG du groupe Keyrus: « Keyrus s’est développé comme un organisme vivant, avec la donnée comme levier de transformation, l’humain comme moteur »

C’est une intuition qui a poussé ce diplômé de Dauphine en gestion, entrepreneur depuis le début des années 1990, à fonder Keyrus en 1996 (introduit en Bourse en 2000) : la donnée, a-t-il justement pensé, deviendra un levier central de transformation pour les entreprises. Trente ans plus tard, Éric Cohen dirige un groupe international présent dans près de 30 pays, spécialisé dans le conseil, la data, l’IA et la transformation numérique. Raison suffisante pour qu’il nous livre quelques-uns de ses secrets : les ressorts d’une internationalisation réussie, les usages concrets (et souvent éloignés des fantasmes) de l’IA et les profondes mutations du conseil technologique…

Vous avez réussi à construire un champion français du conseil et de la tech. Quelles sont les intuitions qui vous ont guidé et quelles étaient vos ambitions quand vous avez créé Keyrus ?

J’ai créé Progiware en 1996, devenu Keyrus en 2000 après le rachat d’une agence Web, pour constituer la première Web Intelligence Agency, il y a bientôt 30 ans. C’était au tout début de la montée en puissance de l’Internet et de la donnée, à une époque où les usages de la data étaient balbutiants et l’IA à peu près absente du paysage.

Ma conviction a été très tôt que la donnée et sa valorisation seraient au cœur des grandes transformations à venir. Je voyais en effet que les entreprises qui utilisaient les premières solutions d’exploitation des données prenaient une longueur d’avance sur leurs concurrents. La business intelligence à la fin des années 1990, avec des outils comme Business Objects, a été un « game changer » pour le reporting et la prise de décision en entreprise.

J’ai ensuite entrevu très tôt que l’IA serait le catalyseur de la valeur des données et le vecteur d’une révolution peut-être encore plus impactante que celle de l’Internet. Mon intuition initiale et mon ambition entrepreneuriale étaient qu’il existait un fort potentiel de croissance à l’échelle internationale pour un acteur qui serait le partenaire de référence des organisations  désireuses de transformer la donnée en levier de performance et d’innovation. Car la donnée est vivante, elle parle à ceux qui savent l’écouter !

Que dites-vous de votre entreprise pour la présenter à ceux qui ne la connaissent pas ? Qu’est-ce qui la distingue de ses concurrents ?

Keyrus est un acteur du conseil et de la tech, spécialisé dans la data et l’IA, le digital et la transformation des organisations. Sa mission est d’aider les entreprises et les acteurs publics à tirer le meilleur parti de leurs données et à leur donner du sens. C’est la signature de Keyrus, « Make data matter ».

Ce qui distingue l’agence de ses concurrents, c’est un positionnement hybride et agile, à la croisée, rarement réussie, de trois expertises majeures. D’abord une maîtrise pointue de la donnée : de l’ingénierie à l’analyse avancée – IA, machine learning, data science –, nous avons une forte capacité à transformer l’information en leviers concrets de performance.

Puis une approche business centrée sur la création de valeur : nous ne nous limitons pas à la technique. Nous travaillons main dans la main avec les directions métiers pour connecter la technologie aux enjeux stratégiques et opérationnels.

Enfin une culture d’innovation et d’adaptabilité : grâce à notre structure à taille humaine et à une présence internationale, nous restons agiles, capables de nous adapter aux besoins spécifiques de nos clients, avec un esprit entrepreneurial et une capacité d’exécution rapide.

Autrement dit, Keyrus se démarque par sa capacité à combiner la puissance de la data, la pertinence métier et l’innovation numérique dans des solutions concrètes, durables et sur mesure.

Keyrus est aujourd’hui présent dans une trentaine de pays. C’est un exemple trop rare d’ETI qui a réussi son internationalisation.

Quels ont été les facteurs de réussite de cette internationalisation, quels ont été les obstacles rencontrés ?

L’international n’a jamais été un objectif chiffré pour Keyrus, mais une aspiration portée par la rencontre des talents, des contextes et des opportunités. De la Belgique au Brésil, chaque implantation a trouvé son équilibre entre enracinement local et vision globale.

Keyrus s’est développé comme un organisme vivant, entre croissance organique et acquisitions ciblées, avec un fil rouge constant, la donnée comme levier de transformation, l’humain comme moteur.

Son succès repose sur une alchimie subtile : une vision stratégique constante, une gouvernance souple mais exigeante, une culture de la responsabilisation et la capacité à allier excellence technologique et écoute métier. Le parcours international de Keyrus n’a pas été linéaire. Mais les défis – culturels, économiques, opérationnels – ont forgé une entreprise plus mature, plus agile, plus lucide.

Quels seront selon vous les principaux impacts de l’IA à court et moyen terme ?

Au-delà des fantasmes et des peurs souvent véhiculés autour de l’intelligence artificielle, ses impacts les plus tangibles, à court et moyen terme, relèvent d’une transformation en profondeur mais progressive de nos manières de travailler, de décider, d’interagir.

Dans un premier temps, l’IA agit comme un accélérateur de performance. Elle automatise les tâches répétitives, fluidifie les processus internes, améliore la qualité des décisions en exploitant mieux les données. Les organisations gagnent en efficacité, en réactivité, mais aussi en capacité d’offrir des expériences plus personnalisées à leurs clients ou usagers.

À moyen terme, les effets deviennent plus structurants. L’intelligence artificielle commence à recomposer les contours des métiers, à déplacer les frontières entre ce qui relève de l’humain et ce qui peut être assisté, voire automatisé. De nouveaux rôles émergent, d’autres se réinventent. Parallèlement, des modèles économiques inédits voient le jour, ils intègrent l’IA comme moteur de valeur, parfois comme produit en soi. Cette mutation soulève des enjeux majeurs de formation, de gouvernance et d’éthique.

Car plus l’IA s’invite dans les décisions, plus la question de la responsabilité, de la transparence et de l’équité devient centrale. L’impact de l’IA ne sera pas seulement technique ou économique, il sera aussi culturel, social et politique. Elle redéfinit notre rapport au travail, à la connaissance, au pouvoir.

Mais loin de remplacer l’humain, l’intelligence artificielle élargit son champ d’action. Elle libère du temps, ouvre de nouvelles perspectives tout en nous rappelant que c’est bien l’intention, le cadre et la vision portés par l’humain qui feront toute la différence.

Quel sera l’avenir de Keyrus ?

Il ne se situe pas dans l’adoption des dernières technologies d’IA. Il se joue dans notre capacité à réinventer le modèle même de conseil et services technologiques aux entreprises.

Un modèle qui ne se contentera plus de livrer des projets ou des plates-formes, mais qui devra combiner intelligemment trois dimensions fondamentales : l’usage, avec des solutions centrées sur l’utilisateur, ses parcours, ses décisions, ses intuitions. Le socle technologique : des architectures robustes, scalables, gouvernées, mais fluides, évolutives, interconnectées. Et surtout, l’humain : formé, augmenté, impliqué dans la boucle. Car l’IA ne remplace pas l’intelligence collective : elle amplifie.

Dans un marché où l’innovation va plus vite que jamais, où les modèles établis sont remis en cause à grande vitesse, la transformation ne peut être lente ni linéaire. Elle doit être portée par une ambition claire, mais aussi par une vitesse d’exécution stratégique qui intégrera une dimension de recrutements de talents clés et de forte croissance externe sur les marchés les plus dynamiques.