Choose France : des promesses de business mais moins de souveraineté ?

L’Élysée semble satisfait des résultats de la 8e édition du sommet Choose France du 19 mai dernier à Versailles, avec 40,8 milliards d’euros d’investissement annoncés. Pourtant, malgré ce chiffre record, des questions se posent concernant une perte potentielle de souveraineté.

Rendez-vous annuel célébrant l’attractivité de la France, ChooseFrance est l’enfant chéri d’Emmanuel Macron. Lors de la 8e éditionqui a eu lieu le 19 mai dernier, le président français a reçu à Versailles le gratin du monde des affaires internationales : autour de lui, les représentants de quelque 200 entreprises qui comptent et les investisseurs désirant s’implanter dans l’Hexagone. Les chiffres sont là pour attester de la réussite de cette opération séduction : pour la cinquième année consécutive, « la France reste le pays le plus attractif pour les investissements étrangers » devant le Royaume-Uni et l’Allemagne, souligne l’Élysée. Avec 40,8 milliards d’investissements promis lors de ce sommet, Emmanuel Macron peut bomber le torse. Il semble incarner la locomotive dont l’Union européenne a besoin face aux ogres américains et asiatiques. Mais les milliards ne font pas tout.

Des investissements oui, mais des investissements étrangers

Lors du sommet Choose France, de nombreux secteurs d’activité étaient représentés afin d’attirer les investisseurs étrangers : la mobilité, l’agroalimentaire, la formation professionnelle, l’énergie – avec l’hydrogène par exemple –, les banques en ligne, l’industrie textile, le tourisme et les divertissements… mais surtout les nouvelles technologies avec l’intelligence artificielle et l’établissement de datas centers sur le sol français et européen. Ces derniers attirent le plus de convoitises alors que se dessine clairement une cartographie industrielle du secteur : l’Asie et les États-Unis mènent la danse tandis que l’Europe doit se dépêcher pour réussir à monter dans ce train en marche. Sous peine de décrochage.

« France, terre de créativité », tel était le motto de ce nouveau sommet où la République a mis les petits plats dans les grands, où Emmanuel Macron s’est entouré de symboles de la France qui conquiert le monde, comme le judoka Teddy Riner, cinq fois médailles d’or aux Jeux olympiques et onze fois champion du monde. Derrière ce vernis, les faits font en réalité craindre une perte de souveraineté. Le cas des data centers est le plus symptomatique. Certes, des entreprises étrangères ont annoncé leur volonté d’investir dans ce secteur, attirées par une électricité 100% décarbonée grâce à la spécificité nucléaire tricolore. Mais in fine, ces nouvelles installations ne seront pas entre les mains d’acteurs européens. Dans le prolongement des promesses du Sommet sur l’intelligence artificielle en février dernier, plusieurs contrats ont été détaillés. Selon Les Échos, la France devrait par exemple voir arriver sur son sol les entreprises américaines Prologis (6,4 milliards d’euros) pour la construction de quatre data centers et Digital Realty(2,3 milliards) pour deux data centers à Marseille et en région parisienne, ou la canadienne Brookfield (10 milliards d’euros) pour un data center près de Cambrai. Même les Émiratis sont de la partie, avec un projet mené par le fonds d’investissement MGX pour la construction d’un campus dédié à l’IA.

Les milliards sont donc là – les promesses de création d’emplois aussi –, mais l’écueil est évident : la feuille de route choisie par l’Élysée n’accorde aucune préférence aux entreprises européennes pour ces futures implantations en France. Pourtant, la nationalité de ces nouveaux acteurs aurait dû être un critère de choix, afin que l’Europe préserve sa souveraineté industrielle. Surtout pour le développement de ces nouvelles technologies qui constitueront les piliers de « l’économie de demain ».

Une situation en trompe-l’œil

Se posent aussi d’autres questions. Quid de la propriété intellectuelle ? Quid du savoir-faire d’excellence qui animent certaines entreprises françaises et européennes ? Quel avenir pour le soutien à l’innovation de ces dernières ? Comment rendre les subventions publiques efficaces, au profit des entreprises du Vieux continent ? À ces interrogations, la stratégie de l’État français n’apporte pas vraiment de réponse. Car d’autres chiffres battent en brèche l’optimisme dont fait preuve le locataire de l’Élysée, avec par exemple la baisse notable – selon le cabinet d’audit EY – des investissements étrangers en France, au plus bas en 2024, à l’inverse des États-Unis par exemple. « Il y a une forme de déni au sein de l’exécutif sur la réalité de la crise industrielle en France, remarqueOlivier Lluansi, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et ancien délégué interministériel au programme Territoires d’industrie. L’industrie recule de nouveau dans le pays depuis 2024 et on a le sentiment que le gouvernement n’en prend pas la mesure. » Même son de cloche pour Denis Ferrand, directeur de l’institut Rexecode, qui ne cache pas son scepticisme : « La situation tend à se dégrader, car les facteurs relatifs à la localisation de l’investissement en France, notamment le poids de la fiscalité des entreprises, ne sont pas bien orientés. La politique d’attractivité revendiquée en France ces dernières années s’apparente plus à un dispositif de rattrapage qu’à l’affirmation d’un leadership. » Ces critiques sur l’incohérence des choix politiques ont été également entendues lors de la 9e édition de salon Vivatech (11-14 juin dernier) lors duquel des partenariats ont été signés… avec des acteurs non-européens comme les Américains Nvidia et Mistral. Ici, la France a encore misé sur l’intelligence générative et prédictive venue d’Outre-Atlantique au lieu de soutenir les concepteurs – français entre autres – et des technologies indispensables à l’image des semi-conducteurs.

Pourtant, la France compte dans ses rangs des entreprises qui pourraient affirmer ce fameux « leadership » tricolore dans le domaine des nouvelles technologies. Parmi elles, beaucoup réclament par exemple que les politiques publiques et les fonds nationaux soient mieux fléchés, afin de leur permettre d’exister sur la scène internationale. Dans le domaine des semi-conducteurs justement, l’Europe doit déjà rattraper un retard conséquent : essentiels pour l’avènement de cette fameuse « économie de demain », ces composants symbolisent à eux seuls une perte de souveraineté annoncée. L’Europe peine à les concevoir et n’arrive toujours pas à les produire. Pourtant, elle compte en son sein des entreprises de pointe, comme la Française SiPearl qui a conçu le premier microprocesseur de calcul intensif européen. Selon son PDG et fondateur Philippe Notton, « l’Europe doit se montrer plus active et continuer l’inflexion vers un financement européen en faveur des entreprises européennes au profit de la souveraineté européenne. Les concurrents américains, chinois et japonais sont très protecteurs. À nous de montrer que nous pouvons établir des règles du jeu similaires ». Le cas de SiPearl est intéressant en ce sens que l’entreprise a fait le choix de se concentrer sur la conception – elle est « fabless », comme le géant américain NVIDIA – et commence désormais la phase de production avec un partenaire taïwanais. Un choix payant, première pierre d’un édifice souverain qui nécessite du temps pour s’ériger.

En attendant, la faiblesse européenne fait les affaires de ses concurrents. Selon une étude menée par le cabinet d’études économiques Asterès publiée en avril dernier, l’Europe reste encore totalement dépendante des États-Unis, en ce qui concerne les data centers et les logiciels. Et cette dépendance a un coût : 264 milliards d’euros par an. Les investissements annoncés lors de Choose France 2025 sont loin de rétablir l’équilibre en faveur des économies européennes. D’autant que tous les milliards promis n’arrivent pas à destination, certaines mauvaises langues se demandent où ils atterrissent réellement au bout du compte. « Les annonces ne se concrétisent pas toujours et ne portent que sur les projets d’investisseurs étrangers, alors qu’il est au moins aussi important de garder en France les investissements des entreprises françaises », précise l’étude d’Asterès. Malgré le satisfecit de l’Élysée, les pouvoirs publics vont devoir revoir leur copie afin de garder la création de richesses sur le continent et non alimenter nos concurrents. Car la souveraineté française et européenne n’a pas de prix.