Bertrand Laurioz, PDG du Groupe Dékuple: « Métavers : il est urgent d’apprendre ! »

Par Bertrand Laurioz, Président directeur général du Groupe Dékuple 

Quelle que soit la place qui sera la sienne à l’avenir, nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer le métavers. Que ce soit pour des raisons de souveraineté, de protection de nos données, ou pour la compétitivité des entreprises françaises, il est urgent de se familiariser avec cette innovation qui peut métamorphoser les usages numériques des prochaines années. Qu’attendons-nous ?

Tandis que la majorité des entreprises ont désormais amorcé leur transformation numérique, un nouveau paradigme pourrait changer la donne. Le métavers, cet espace collectif virtuel, partagé et persistant dans le temps, fait de plus en plus parler de lui dans les médias. À les lire, le métavers serait ainsi amené à changer inévitablement nos habitudes de consommation numérique. Quel crédit pouvons-nous raisonnablement donner à cette affirmation ?

Nous pouvons dire qu’aucune prédiction sérieuse sur les usages futurs du métavers ne donne de réponse définitive. Il est possible que l’engouement envers cette nouvelle technologie retombe aussi rapidement qu’il ait émergé. Ce serait alors la preuve que de nombreux acteurs et observateurs ont vécu dans une bulle ces derniers mois. Mais il est également probable que les investissements ou des effets d’entrainement rendent le métavers rapidement incontournable.

Je défends l’idée que, peu importe le scénario, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur le phénomène. L’apprentissage, voire la maîtrise de cet outil, doit occuper l’esprit des décideurs et cadres qui souhaitent anticiper l’avenir. Les récentes expériences de groupes internationaux aussi différents que Carrefour, avec ses entretiens d’embauche sur le métavers et ses achats de terrains sur Sandbox, ou Decathlon, qui a nommé un « chief metaverse officer », ou les nombreuses marques de luxe qui proposent désormais leurs produits sur différents espaces, vont dans ce sens. Même si ces annonces ressemblent beaucoup à ce stade à des « coups de communication », cela lance dans ces entreprises une compréhension du phénomène.

Le métavers ne doit pas être vu comme une innovation réservée aux geeks, mais comme une possibilité de développement pour les entreprises. En ce sens, les membres des Comex ou Codir se doivent d’apprendre à l’utiliser et à l’appréhender pour être à même de répondre aux futurs enjeux de leur entreprise.

Le premier enjeu est celui de la souveraineté et notre capacité (française et européenne) à faire émerger les champions du numérique de demain. Souvenons-nous à cet égard des nombreuses entreprises ayant tout simplement disparu ou perdu beaucoup de parts de marché pour avoir raté le virage du digital. L’erreur serait de croire que la seule réponse à la question de la souveraineté serait la restriction législative, fusse-t-elle efficace à l’échelle européenne. La force des entreprises américaines a été au contraire de bénéficier d’un environnement législatif favorable leur ayant permis de se développer très rapidement, pour prendre leurs concurrents de vitesse. Il faut trouver le bon équilibre législatif entre protection des citoyens et incitations à entreprendre.

D’autant que les GAFAM sont en embuscade et chercheront à tout prix à conserver leurs positions dominantes qui pourraient être remises en cause par la généralisation des métavers. Le plan d’investissement de plus de 10 Mds de dollars annoncés par Meta (Facebook) pour se positionner comme leader sur ce marché devrait nous inciter à ne pas rester sur le côté à regarder passer le train.

Être actif plutôt que passif en somme, en anticipant les changements futurs, et en développant les compétences en interne, ne serait-ce que pour comprendre les changements en cours, qu’ils soient technologiques ou ancrés dans les business models. Car, et c’est une autre bonne raison de se pencher sérieusement sur le métavers, il vient avec son lot d’éléments technologiques du moment : il est probable que le principe de la blockchain régule un certain nombre d’échanges, que ce soit au niveau des cryptomonnaies ou des NFT.

Avoir une compréhension des changements à l’œuvre sur le métavers ouvre alors une porte sur toutes ces transformations, des plus fondamentales aux plus anecdotiques. Si ce n’est pas le métavers qui bouleversera l’avenir, l’une des technologies qui l’accompagne, notamment le principe même de la blockchain, pourrait le faire. Les compétences investies dans la compréhension du métavers seront alors bien utiles pour appréhender un nouvel environnement compétitif.

Des questions subsistent sur le visage que prendra le métavers dans les années à venir. Parmi elles, la question de la puissance de calcul et de l’achat d’équipement pour que le métavers soit réellement viable et en haute résolution, est réelle. Lié à cette première interrogation, le problème de l’empreinte écologique que pourrait représenter une généralisation du métavers doit être envisagé dès maintenant, pour éviter d’avoir à redresser la barre en cours de route.

Enfin, le questionnement relatif au nombre de plateformes différentes est de loin la plus incertaine et la plus cruciale : combien de métavers différents vont finir par exister lorsque le marché aura atteint une certaine maturité ? Ces plateformes seront-elles interopérables ? Une plateforme finira-t-elle par agréger l’ensemble ? Toutes ces questions en suspens nous invitent à apprendre et à investir pour ne pas rester sur le bord du chemin.

Souhaitons-nous reproduire les erreurs et l’attentisme des années 90 et 2000 qui nous valent aujourd’hui de n’avoir aucune entreprise française ou européenne avec la stature des géants américains ou chinois ?