L’Afrique, nouvel eldorado pour les entrepreneurs du XXIe siècle ?

Loin de certaines considérations préconçues à son égard, l’Afrique ne cesse d’affirmer ses qualités en matière entrepreneuriale. Si les difficultés rencontrées sur le terrain demeurent nombreuses, la dynamique incarnée par une nouvelle génération d’entrepreneurs africains ouvre des perspectives inédites pour l’économie du continent. Par Hervé Diaz, Président de l’Ecole de Commerce de Lyon.

Invariablement, les analyses financières et économiques s’accordent depuis le milieu des années 2010 pour identifier l’Afrique parmi les continents les plus attractifs dans le domaine de l’entrepreneuriat. C’est le cas d’une cartographie publiée dès juin 2015 par Approved Index, un groupe d’affaires britannique, qui consacre alors l’Ouganda au rang de pays le plus « entreprenant » du monde – en se basant sur la part de personnes actives détenant une société qu’elles ont créée (28 % en Ouganda contre moins de 5 % au Royaume-Uni). De même, le Global Entrepreneurship Monitor classe en 2021 trois pays africains (Angola, Burkina Faso et Togo) parmi les dix nations pour lesquelles le pourcentage d’adultes engagés dans la création d’une nouvelle entreprise est le plus élevé dans le monde.

Comme tout un symbole, deux des huit sommets mondiaux de l’entrepreneuriat se sont tenus en Afrique (Marrakech et Nairobi) ces dix dernières années. Au Kenya, précisément, le président américain Barack Obama s’était exprimé devant un parterre d’entrepreneurs et d’investisseurs du continent, déclarant que « l’entrepreneuriat crée de nouveaux emplois et de nouvelles entreprises, de nouvelles façons de fournir des services de base, de nouvelles façons de voir le monde : il est l’étincelle de la prospérité ». Tout porte à croire que ce message est pleinement vécu et intégré de l’autre côté de la Méditerranée.

Un marché dynamique, terre d’opportunités

Plusieurs caractéristiques du marché africain permettent d’éclairer ce phénomène. La première d’entre elles renvoie à sa moyenne d’âge. Le continent accueille en effet la population la plus jeune de la planète, avec 60 % de citoyens situés sous la barre des 25 ans d’après ONU Habitat. En 2016, la tranche d’âge des 15-24 ans comptait 226 millions d’individus ; en 2055, elle pourrait en représenter près de 500 millions. À coup sûr, l’Afrique pourra s’appuyer sur la fougue créatrice de sa jeunesse.

À cela s’ajoute l’émergence progressive d’une classe moyenne, plus consommatrice et créatrice de richesse que des foyers moins aisés. Le marché que pèse la consommation des ménages africains est passé de moins de 200 milliards de dollars en 1980 à plus de 600 milliards en 2020. Mais les disparités sont nombreuses : en 2018, la part de la population nationale constituant la classe moyenne s’établit à 89,5 % en Tunisie, contre 4,8 % seulement au Liberia selon les données recueillies par le Dr Wajdi Ben Rejeb. Le tout alors que le continent connaît une urbanisation galopante, propice aux économies de service et à la hausse de la consommation. Entre 2010 et 2025, la croissance de certaines zones urbaines est estimée par ONU Habitat à près de 80 %, comme à Dar es Salam (Tanzanie), Nairobi (Kenya) ou encore Kinshasa (République démocratique du Congo).

Enfin, il importe de noter la progression des technologies dites d’information et de communication (TIC). En 2018, sur les 1,2 milliard d’habitants que recense le continent, 34 % utilisent Internet (+ 20 % par rapport à l’année précédente) et 82 % ont accès à des connections mobiles (+ 4 %) d’après le Digital Report de We Are Social et Hootsuite. Cet essor technologique est clairement synonyme de nouvelles opportunités en termes de création d’emplois et de développement entrepreneurial. C’est ce contexte si singulier qui rend possible la consolidation d’écosystèmes dynamiques et attractifs pour les jeunes générations.

Des start-up à l’assaut du continent

La croissance des start-up africaines est impressionnante à plus d’un titre. Plus de 560 millions de dollars d’investissement ont été levés en 2017, soit une hausse de 53 % par rapport à l’année précédente. De plus, les incubateurs d’entreprises ne cessent d’essaimer : limités à une dizaine en 2000, on en dénombre près de 500 vingt ans plus tard. Il est cependant intéressant de noter que trois pays se détachent en la matière. L’Afrique du Sud d’abord (167,9 millions de dollars d’investissement), le Kenya ensuite (147 millions de dollars) et le Nigeria enfin (114,6 millions de dollars), selon les données communiquées par Partech Ventures. À titre de comparaison, le quatrième pays africain de ce classement, l’Égypte, est relégué loin derrière (36,9 millions de dollars).

Les créations d’activité y sont intimement liées aux secteurs innovants. L’Afrique est à n’en pas douter une terre d’innovation technologique, puisque 40 % des start-up naissantes appartiennent en 2018 au domaine de la fintech. Un exemple notable est celui de Icow, une application qui utilise les données d’agriculteurs pour leur partager des conseils sur l’élevage, la nutrition animale, l’efficacité de la production laitière – le tout simplement par SMS. À noter également que le « mobile money » a été inventé au Kenya, où les transactions effectuées via le système de financement M-Pesa représentent 49 % du PIB national.

En outre, l’Afrique est leader sur le créneau de l’entrepreneuriat féminin. D’après le Women’s Entrepreneurship Report, 27 % des femmes créent une société en Afrique – soit le taux le plus haut à l’échelle mondiale – et elles représentent 58 % de la population travaillant à son compte. Pourtant, 70 % d’entre elles rencontrent davantage de difficultés d’accès aux investissements.

Un environnement difficile, vecteur de solutions innovantes

Entreprendre en Afrique s’apparente parfois à un parcours du combattant. Et le premier frein est d’abord culturel. La principale difficulté rencontrée concerne la capacité à associer des investisseurs étrangers aux projets imaginés. Or, pour qu’un changement structurel s’opère réellement, les initiatives isolées ne suffisent pas et doivent être accompagnées d’investissements conséquents. Les banques ne sont pas suffisamment incitées à octroyer des crédits professionnels, étant donné le manque de visibilité dont souffrent certains marchés.

Au bout du chemin, le risque est que les jeunes entrepreneurs décident d’abandonner leur projet ou de partir à l’étranger. A contrario, ces difficultés raffermissent la détermination des candidats à l’entrepreneuriat et peuvent devenir une source, malgré elle, d’innovations de rupture.

Face à ces obstacles, des solutions existent. Le dispositif « Boost Africa », mis en place par la Banque africaine de développement et la Banque européenne d’investissement, est l’une des stratégies phares déployées pour financer la force entrepreneuriale de Rabat à Johannesburg. La clé, souvent, passe par des logiques de formation. C’est pourquoi les établissements d’enseignement supérieur, africains bien sûr mais aussi étrangers – et français ! –, doivent prendre leur part dans l’accompagnement des futurs leaders économiques du continent. Afrique, terre d’innovation et de créativité : ce n’est plus une promesse, mais une réalité à laquelle concourent des milliers d’entrepreneurs plus déterminés que jamais.