A [c]qui[s] de droit…

À l’heure où les tractations politiques vont bon train, prenons garde à ce que la démocratie ne devienne un artefact que d’aucuns qualifieraient de « schmilblick », selon l’expression inventée de toutes pièces et à toutes fins utiles par l’humoriste Pierre Dac et dont Coluche a fait un sketch culte.

Le politique à l’épreuve de la confiance

Descendants de Périclès, nous le sommes tous lorsqu’il s’agit d’édifier le vivre-ensemble sur une « société de confiance » (loi n° 2018-727 du 10 août 2018): une pensée libre, formée à la méritocratie républicaine, une parole affranchie au fil du débat public, un universalisme intégrant le pluralisme -autant d’atouts pour repenser collectivement les fondements du politique.

Cela passe également par des « forêts de symboles » -comme l’écrivait Baudelaire- à l’instar de la Pnyx, choisie par le Président de la République pour raviver le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple » dont il est question à l’article 2 de notre Constitution.

Les mots aussi ont du pouvoir et la Vème République a été abreuvée de slogans politiques: si « rien n’est permanent, sauf le changement » -comme l’évoquait Héraclite- « force (in)tranquille » est de constater qu’une renaissance est « en marche » pour « imagin[er] la France d’après » -« la France ensemble »…

La démocratie à l’épreuve du vivre-ensemble

Dès lors que notre devise républicaine constitue un triptyque, l’on ne saurait jurer par la liberté et l’égalité sans leur associer la fraternité, désormais érigée en principe à valeur constitutionnelle (décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018).

La fraternité transcende toute logique binaire de polarisation à l’extrême. Elle constitue un « plébiscite de tous les jours », comme le disait Ernest Renan de la nation. Elle est une troisième voi[e/x]: celle d’une démocratie désenchaînée, délivrée, décloisonnée, au plus près des territoires -des plus ruraux aux plus urbains- où la jeunesse se réjouit d’être entendue, où nos aînés sont sereins d’être écoutés, où le dialogue social est au cœur de la gouvernance de l’entreprise, où les partenaires de justice disent le droit ensemble, où élus locaux et représentants nationaux font vivre ce que l’Association des Maires de France dénomme « la République du quotidien »…

La fraternité se conçoit de façon dynamique, comme un nouveau départ -une « invitation au voyage », un engagement vers une démocratie réinventée, réinvestie, réenchantée, bref, volontariste, créatrice et enthousiaste !

La gouvernance à l’épreuve du droit

Notre « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (article 1er de la Constitution) doit rester « unie dans la diversité » (in varietate concordia, selon la devise de l’Union européenne): aussi localisé soit-il, le marché de Rungis est « d’intérêt national », tandis qu’à l’heure de la transition énergétique, les mines de cobalt du Kolwezi mettent en jeu « des intérêts du commerce international » (article 1504 du Code de procédure civile).

De l’éco-logie à l’éco-nomie, le raisonnement (logos) et le droit (nomos) s’articulent autour de l’oikos: notre « maison commune » s’étend du cocon familial aux « choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous » (article 714 du Code civil).

L’intérêt général gagnerait à être repensé comme une priorisation d’intérêts publics. Ni dans l’opposition à tout prix, ni dans la juxtaposition à tout-va mais dans la fraternité à tout le moins: à nous tous de décider, ensemble, du contrat sociétal que nous voulons.

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Avocate auprès d’institutions internationales, intervenant sur les enjeux de gouvernance, Carine Doganis, diplômée de la Section Service Public de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, est docteur en droit et en science politique.