Horizon Europe, un nouveau souffle pour la recherche européenne

Doté d’un budget de 95,5 milliards d’euros, le nouveau programme cadre pour la recherche et l’innovation 2021-2027 de l’Union européenne, Horizon Europe, a officiellement été lancé en février 2021. Retour sur ses nouveautés et leurs implications pour le CNRS.

Après une campagne en faveur d’un programme cadre mieux financé, le budget d’Horizon Europe a finalement été voté le 11 décembre 2020, donnant le feu vert pour un démarrage du programme dans les temps. Son budget de 95,5 milliards d’euros – incluant les 5 milliards du fond de relance économique de 750 milliards voté par l’Union européenne pour faire face à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 – dépasse de 20 % les 79 milliards du programme Horizon 2020. Et cela, sans prendre en compte un possible financement du Royaume-Uni.

Une structure familière

Avec ses trois piliers, Horizon Europe se situe dans la continuité du dernier programme Horizon 2020 en accentuant son côté stratégique. Le premier pilier, « Excellence scientifique », doté d’un budget de 25 milliards d’euros, est consacré à la recherche fondamentale, avec le Conseil européen de la recherche (ERC[1]), les actions Marie SklodowskaCurie[2] et les Très grandes infrastructures de recherche (TGIR)[3]. Le deuxième, « Problématiques mondiales et compétitivité industrielle européenne » a pour objectif de soutenir de grands projets collaboratifs, avec une organisation en « clusters ». Il centralise la plus grosse part des financements avec 53,5 milliards d’euros. Et le troisième, « Europe innovante », doté de 13,6 milliards, est voué au développement de l’innovation et des applications (entreprises, start-ups, etc.).  Sans oublier un pilier transverse, ou « pilier couché », doté de 3,4 milliards d’euros pour attirer des talents, favoriser leur circulation et empêcher un « brain drain » hors de l’Union européenne.

Mais qu’en est-il de l’équilibre entre ces piliers ? « Une grande partie des fonds est regroupée sur le pilier II, avec plus de la moitié des fonds », rapporte Pascal Dayez-Burgeon, responsable du pôle Europe communautaire et directeur du Bureau du CNRS à Bruxelles. « Certains regrettent le budget du pilier I, même s’il a évité de peu un budget encore plus réduit. Quant au pilier III, il n’est peut-être pas au niveau des attentes. »

Plus de 600 projets ERC financés dans les laboratoires du CNRS

L’ERC espérait en effet obtenir un budget supérieur pour devenir encore plus compétitif avec des taux de réussite dépassant les 10 %. Mais avec un budget de 16 milliards, il a évité le pire alors qu’il était l’un des grands perdants des premières négociations du budget. Un soulagement pour la recherche fondamentale européenne au sein de laquelle les chercheurs du CNRS sont particulièrement présents : ils ont remporté le financement de plus de 600 projets ERC[4], avec un taux de succès de 17 %, le premier en Europe. « Cela montre la performance du CNRS tant au niveau de la qualité de ses scientifiques, que la qualité de l’accompagnement des dossiers avec le programme Inciter/Accompagner/Influencer, mis en place en 2020 pour épauler nos chercheurs et chercheuses », rapporte Alain Schuhl, expliquant que l’organisme se doit d’aller encore plus loin en « incitant entre autre tous les nouveaux entrants à postuler dans les 3 à 4 ans après leur arrivée ».

Pilier II : interdisciplinarité et grandes missions

Si le piller I s’adresse à la science fondamentale, le pilier II, organisé en six « clusters » thématiques[5], soutient des projets de recherche appliquée (à TRL[6] entre 4 et 7) collaboratifs, interdisciplinaires et intersectoriels entre organismes de recherche et entreprises en France et à l’étranger. « La majorité des fonds du pilier II est placée sur la santé ; le climat – avec le Green Deal qui constitue au fond la « super mission » du programme ; et le numérique dont les enjeux consistent à mettre en place une Europe numérique capable de se doter de son propre cloud et de contrer l’hégémonie des GAFAM », explique le directeur du Bureau du CNRS à Bruxelles. Et on retrouve également dans ce pilier les 5 grandes missions qui visent à générer des solutions et initiatives autour de grands défis contemporains que sont l’adaptation au changement climatique, la protection des océans, la lutte contre le cancer, les villes neutres en carbone et la santé des sols. « Si l’on compare les objectifs de ce pilier au Contrat d’objectifs et de performance du CNRS et ses 6 grands défis[7], on est au cœur de ces grandes missions. Le CNRS se sent concerné à apporter des réponses et il va falloir s’organiser pour cela », note Alain Schuhl.

EIC, la future banque de la recherche européenne ?

C’est une des principales nouveautés d’Horizon Europe : le Conseil européen de l’innovation (EIC). Intégré au pilier III « Europe Innovante », il a pour but de stimuler la croissance économique de l’Europe, en permettant à des idées visionnaires d’accéder au marché. L’EIC s’adresse à des porteurs de projets industriels pour les inciter à participer au financement et au montage d’entreprises. Il représente cependant « un très grand défi » car la commission « doit se transformer en investisseur, ce qui est une activité nouvelle pour elle et qui nécessite notamment de s’entourer d’équipes compétentes en matière d’investissement en capital », indique Pascal Dayez-Burgeon. Jean-Luc Moullet souligne pour sa part que « cette démarche, qui conjugue subvention et investissement en capital pour accompagner un même projet, est une vraie innovation de la part de la Commission. » Elle traduit la volonté d’accompagner « les projets les plus ambitieux dans le cadre d’une procédure unique », qui combine des outils adaptés aux différentes étapes du cycle de développement des start-up « deep tech » issues des laboratoires publics de recherche. « De fait, nos équipes – au sein de CNRS Innovation, des Services de Partenariat et Valorisation ou de la Direction des relations avec les entreprises – sont pleinement mobilisées, en liaison avec le Bureau de Bruxelles, pour identifier et accompagner dans leur démarche vis-à-vis de l’EIC les meilleures opportunités issues des laboratoires dont le CNRS assure une tutelle », dit-il.

Le Royaume-Uni devient un pays associé

Si le Royaume-Uni aura accès au piliers I et II d’Horizon Europe, il ne pourra pas participer pleinement à l’EIC, malgré le « deal » trouvé le 24 décembre entre les Britanniques et l’Union européenne[8]. Le Royaume-Uni va devenir un pays associé au nouveau programme cadre pour la recherche et l’innovation européen assurant ainsi à ses chercheurs de continuer à participer aux appels à projets. « Si l’UE et le Royaume-Uni n’avaient pas trouvé d’accord, cela aurait mis en péril certaines projets de recherche », souligne Alain Schuhl, ajoutant « dorénavant, le pays financera sa contribution et ne sera plus un bénéficiaire net de l’Europe. » En effet, l’accord établi entre les deux parties stipule que le Royaume-Uni devra participer au budget d’Horizon Europe en payant une somme proportionnelle à son PIB et, si le pays devait recevoir plus d’argent qu’il ne consacre au programme au-delà de 8 % au cours de deux années consécutives, il devra les rembourser. Certains estiment que « le Royaume-Uni pourrait ainsi acquitter une facture allant de 10 à 20 milliards à Horizon Europe », informe Pascal Dayez-Burgeon soulignant qu’avec la participation du Royaume-Uni, « le budget Horizon Europe dépassera au fond les 100 milliards d’euros. »

Une Europe de la recherche « plus stratège »

Horizon Europe est marqué par une « volonté d’être plus stratège » et met à ce titre l’accent sur l’interdisciplinarité et l’intersectorialité tout en préservant la liberté de la recherche, fondée sur la curiosité. Pour y parvenir, le programme encouragera le dialogue et la « co-construction avec les organismes de recherche et les entreprises » et se fixera des « indicateurs d’impacts de résultats ».
C’est notamment pour s’inscrire dans cette logique de co-construction que le CNRS participe au réseau du G6[9] avec les cinq autres principaux organismes de recherche européens, afin de parler directement à la Commission. « Le G6 nous permet de faire entendre notre voix et de défendre les grands défis qui s’imposent au niveau européen, pour défendre la recherche fondamentale et le budget attribué à l’ERC, et aussi pour défendre la structuration des données pour qu’elles soient interopérables avec l’EOSC (European Open Science Cloud) », rapporte Alain Schuhl. L’objectif est donc d’influencer pour être en position d’interagir avec Bruxelles, et c’est dans cet objectif que le CNRS s’est doté d’un groupe de coordination Horizon Europe afin de « coordonner l’ensemble de nos actions et donner des réponses à leurs interrogations ». Le CNRS finalise sa réponse organisationnelle à ces enjeux. C’est l’objectif de la mission qui a été confiée à Christelle Roy, chargée de mission Europe auprès du directeur général délégué à la science au CNRS, qui devrait aboutir au début du printemps prochain.

 


Le CNRS se dote de « groupes miroirs » dédiés à Horizon Europe

Pour rendre le nouveau programme cadre plus visible et accessible auprès de ses chercheurs et également pour dialoguer de manière corporate avec le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) ou encore porter sa voix directement auprès des instances européennes, le CNRS se mobilise pour créer des groupes de travail miroirs. « Ces groupes font miroir aux Groupes Thématiques Nationaux (GTN) mis en place par le MESRI », explique Christelle Roy. Chaque action de chaque pilier disposera de sa structure de coordination, et donc de son propre GTN. Par exemple, trois GTN adressent le piliers I – le GTN ERC ; le GTN Actions Marie Sklodowska-Curie ; et le GTN TGIR. Le pilier II lui regroupe six GTN portant sur les six clusters et cinq GTN portant sur les cinq grandes missions. « Les clusters définis dans le pilier II sont des thématiques scientifiques interdisciplinaires demandant la concertation de plusieurs disciplines pour une appréhension la plus cohérente possible. Lorsque le champ couvert est extrêmement large, nous avons donc décidé au CNRS de créer plusieurs groupes miroirs pour un même cluster qui répondront aux différents GTN Cluster du ministère », informe la chargée de mission Europe. Quant au Pilier III, un groupe miroir est prévu et sera piloté par la Direction générale déléguée à l’innovation du CNRS et plus particulièrement par la Direction des relations avec les entreprises.

L’objectif est de « décliner les enjeux stratégiques du CNRS » et une « position globale à l’Europe ». Chaque responsable de groupes miroirs CNRS sera intégré au GTN du ministère équivalent et pourra ainsi « porter la voix du CNRS au ministère », qui lui-même la portera aux représentants des instances européennes.

Les groupes miroirs sont actuellement en train d’être montés et pour chaque thématique les « entités et les groupes de concertation déjà existants vont être réutilisés quand cela est possible ». C’est le cas par exemple de la cellule « Espace » de l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS pour le GTN du « Cluster Numérique, industrie et espace », ou encore du chargé de mission coordinateur du GDR Océan pour le GTN de la « Mission Santé des océans, mers, eaux côtières et continentales ». Ces groupes miroirs ont pour mission de proposer rapidement une réponse coordonnée des 10 instituts et des 18 délégations régionales du CNRS. « Ils feront aussi le lien avec les unités de recherche et nos scientifiques pour les inciter à postuler aux appels à projets d’Horizon Europe en particulier en proposant des projets collaboratifs », souligne Christelle Roy. Avec des groupes miroirs au fait de chaque nouveauté et projet d’Horizon Europe, le tout par thématique, les instituts pourront « informer et motiver au mieux les chercheurs souhaitant se lancer dans l’aventure européenne. »

Un plan d’actions permettant une meilleure organisation sera proposé dans les prochaines semaines, afin de mieux s’organiser pour atteindre l’un des objectifs du COP du CNRS : augmenter de 25 % les entrées financières provenant de l’Union européenne. « Avec la hausse du budget d’Horizon Europe par rapport au budget d’Horizon 2020, il y aura mécaniquement une augmentation », indique Pascal Dayez-Burgeon. Mais cela n’est pas suffisant, pour y arriver le CNRS se doit « de se doter des moyens de sa politique européenne volontariste », conclut Alain Schuhl.

 


Le CNRS « en ordre de bataille »

Au total, en sept ans, le dernier programme cadre Horizon 2020 aura alloué 79 milliards d’euros à plus de 150 000 scientifiques. Pour le CNRS, les sommes perçues dépassent aujourd’hui 1,1 milliards pour plus de 1600 projets. « Le CNRS bénéficie sans doute d’un effet de masse puisqu’il est le plus grand centre de recherche européen. Mais ces résultats traduisent avant tout l’excellence de ses chercheurs, et leur engagement européen », explique Pascal Dayez-Burgeon, rapportant que l’organisme s’est mis « en ordre de bataille » avec ses instituts qui « incitent et aident tous les porteurs de projets à se lancer dans l’aventure européenne ». Un avis partagé par Alain Schuhl, directeur général délégué à la science au CNRS, qui explique que « Horizon Europe est dans la continuité de ce qui se faisait avant » et préserve la recherche fondamentale, première mission du CNRS, soulignant également l’importance des grandes missions interdisciplinaires d’Horizon Europe « dans lesquels s’inscrivent parfaitement les thématiques mises en avant par le CNRS, notamment dans son COP ».

 


Pays associés

La question du Brexit étant réglée, les discussions sur les termes de collaboration des pays associés à Horizon Europe – dont le Royaume-Uni – vont pouvoir commencer. Le programme 2021-2027 devrait offrir la possibilité à plus de pays de devenir membre associé, un statut qui permet de participer aux projets de recherche européens sous les mêmes conditions que les États membres. Quatorze pays[10] (anciennement associés à Horizon 2020) devraient être associés au nouveau programme. Mais il est désormais question d’ouvrir ces accords à d’autres États, membres de l’OCDE, comme le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, le Canada, voire les États-Unis (sous administration Biden). Désormais, chaque État associé devra verser à Horizon Europe l’équivalent des fonds qu’il aura perçu.

 


Notes
  1. Doté d’un budget de 16 milliards d’euros.
  2. Doté d’un budget de 6,4 milliards d’euros.
  3. Doté d’un budget de 2,4 milliards d’euros.
  4. ERC Starting Grant, Advanced Grant, Consolidateur Grant.
  5. Santé ; Culture, créativité et société inclusive ; Sécurité civile pour la société ; Numérique, industrie et espace ; Climat, énergie et mobilité ; Alimentation, bioéconomie, ressources naturelles, agriculture et environnement.
  6. Technology readiness level, échelle pour mesurer la maturité technologique d’un projet de recherche.
  7. Changement climatique, inégalités éducatives, intelligence artificielle, santé et environnement, territoires du futur, transition énergétique.
  8. Les start-up britanniques auront accès aux subventions et à la marque EIC, mais l’UE ne prendra pas de parts dans les entreprises britanniques ; les participants britanniques pourront en outre être exclus de certains programmes liés à la sécurité, s’ils sont trop proches de questions de Défense par exemple.
  9. Le G6 réunit le CNR, le CNRS, le CSIC, l’Association Helmholtz, la Communauté Leibniz et la Société Max-Planck.
  10. Albanie, Bosnie-Herzégovine, Iles Féroé, Ancienne république yougoslave de Macédoine, Islande, Israël, Moldavie, Monténégro, Norvège, Serbie, Suisse, Tunisie, Turquie, Ukraine.