Un « New Deal » en Afrique peut-il se passer du Nigeria ?

Le mardi 18 mai, Emmanuel Macron accueille au Grand Palais éphémère et à l’Elysée, 24 chefs d’État africains, 16 dirigeants d’organisations internationales, une dizaine de chefs d’états et de gouvernements de l’UE et membres du G20 pour un sommet « hybride » en présentiel et distanciel, très attendu sur le financement des économies africaines. Il advient dans une sortie de crise liée à la pandémie, qui a certes été moins violent sur le continent africain sur le plan sanitaire – avec, néanmoins 150 000 morts – qu’ailleurs, mais qui laisse le continent africain, sur le plan financier, en situation d’urgence. La croissance n’y sera que de 3,2%, alors que la moyenne annuelle devrait finalement atteindre les 6%.

Il y a peu, le président français appelait à un “New Deal” pour aider l’Afrique à combattre le “ralentissement très fort” des investissements subit depuis la crise sanitaire. En effet, selon le Fonds Monétaire International, les pays d’Afrique sub-saharienne pourraient être confrontés à un déficit de financement de 285 à 290 milliards de dollars d’ici 2023. Si le FMI est venu également rappeler que la dette publique africaine atteindrait, en 2022, 800 milliards de dollars, soit 41% du PIB des 54 économies africaines, c’est oublier que la dette globale (publique et privée) avoisine les 1800 milliards de dollars ! Celle-ci est « détenue » non seulement par les Etats, mais aussi et surtout par les créanciers privés africains et étrangers (caisses de retraites, fonds de pension, fonds souverains).

Il n’en demeure pas moins que le Sommet de Paris, devrait voir la réflexion sensiblement avancer quant à une nouvelle allocation des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI, notamment dans le cadre de l’allègement, voire de l’annulation de cette dette qui pèse sur les pays pauvres très endettés (PPTE).

Le 15 avril dernier, 18 chefs d’états et de gouvernements africains, demandaient – dans une tribune parue dans le Financial Times et dans Jeune Afrique – un moratoire immédiat des dettes africaines extérieures.

Dans ce contexte, le Nigeria, première puissance économique africaine, avec un PIB annuel estimé à 581 milliards de dollars – pourrait être le partenaire idoine, à la fois dans cette initiative et, également, dans la stratégie globale et réaménagée de la France en Afrique.

 Une puissance démographique et économique

Pendant trop longtemps, le Nigeria a été victime de préjugés datés, limitant son attractivité, notamment auprès des investisseurs étrangers. Mais, ces dernières années, le pays a diversifié son économie grâce à un essor rapide de l’entreprenariat.

Le président Macron, qui souhaite abandonner “les recettes d’hier” pour redynamiser le continent à la sortie de la pandémie, doit prendre en compte les nouvelles réalités régionales, dont la très forte puissance économique et démographique du Nigeria. Il convient de rappeler que le Nigeria est le premier partenaire commercial de la France en Afrique sub-saharienne, avec plus de 2 milliards d’euros de volume d’échanges en 2020.

Pour véritablement relancer les économies africaines, ces nouvelles “recettes” doivent se tourner résolument vers la jeunesse et ainsi miser sur l’esprit entrepreneurial de l’Afrique et du Nigeria. Et cela dans un esprit de co-construction, puisque la France est fortement attachée au développement de ses relations économiques avec le Nigeria.

Cela est d’autant plus important compte tenu des dynamiques démographiques. Près de 60% de la population africaine a moins de 25 ans. La population d’Afrique sub-Saharienne devrait doubler d’ici 2050. Le Nigeria comptera alors plus de 400 millions d’habitants, ce qui en fera le troisième pays le plus peuplé du monde. Investir dans notre relation avec le Nigeria est donc un travail d’avenir.

Bien que le Nigeria ait mené une diversification ambitieuse, les ressources naturelles restent au cœur de nos échanges économiques. La plateforme Egi de Total produit notamment plus de 200 000 barils par jour. Mais pour assurer la pérennité du partenariat franco-nigérian, celui-ci doit être tourné vers l’avenir. Cela signifie comprendre l’élan entrepreneurial florissant du Nigeria, tiré par sa jeunesse – une jeunesse qui va sans doute façonner le développement économique de l’Afrique de l’Ouest.

 Des entrepreneurs appuyés par les politiques publiques

Depuis longtemps, le président du Nigeria Muhammadu Buhari exprime son désir de soutenir l’entrepreneuriat, pour faire de son pays un moteur à l’échelle continentale, tout en créant davantage d’opportunités pour les entreprises étrangères – dont françaises – qui souhaiteraient s’installer au Nigeria. En témoigne la création de nombreuses opportunités pour la jeunesse. Par exemple, le lancement d’un programme de lutte contre le chômage des jeunes, N-Power, qui emploie plus de 500 000 diplômés.

Si la France s’engage à aider le Nigeria à réaliser son potentiel, nul ne peut nier l’ambition, l’ingéniosité et le dynamisme d’une génération entière d’entrepreneurs nigérians : d’Elo Umeh, du groupe Terragon, à Onyeka Akumah, de Farmcrowdy, une startup nigériane avec une vraie histoire à succès.

De plus, le gouvernement nigérian a récemment conclu un partenariat avec Microsoft pour accélérer sa transition vers une économie digitale plus robuste, grâce à une connectivité accrue et à l’amélioration des compétences de plus de 5 millions de Nigérians.

L’émission de ces DTS supplémentaires décidés lors du Sommet, visant à injecter des liquidités, adossées aux principales monnaies en circulation (Dollar, Euro, Yen, Livre sterling, Yuan) afin de pouvoir financer rapidement sa balance des paiements est un atout supplémentaire pour la dynamique entrepreneuriale nigériane et de facto leurs partenaires français et européens.

Des signaux encourageants

Ces atouts démographiques et économiques font du Nigeria un partenaire central pour la France, surtout si Paris espère redéfinir sa politique africaine.

Le récent déplacement à Abuja du Ministre du Commerce extérieur et de l’Attractivité, Franck Riester démontre l’intérêt que porte la France pour le Nigeria. M. Riester a rencontré des dirigeants d’entreprises du secteur des industries culturelles et créatives, mettant en valeur le rôle moteur du Nigeria dans le paysage entrepreneurial africain.

Le lancement de Choose Africa – une initiative de 3,5 milliards d’euros du président Macron, destinée à soutenir le développement des start-ups et des PME en Afrique – concrétise aussi l’engagement de la France. En choisissant Abuja comme site pour ce projet, la France montre son souhait concret de soutenir l’entrepreneuriat africain.

 Associer pleinement le Nigeria à la stratégie française en Afrique

Lors de sa visite à Abuja, Franck Riester a particulièrement souligné la nécessité de multiplier les liens économiques entre nos deux pays. En augmentant nos échanges bilatéraux, nous pouvons renverser le statu quo entre la France et l’Afrique et ainsi trouver des nouveaux moyens durables pour financer des projets dans la région.

C’est donc, dans ce contexte, que le “New Deal” indispensable à la reconstruction de l’Afrique post-COVID-19, que le président, Emmanuel Macron a présenté, le 18 mai, à Paris, doit être un plan d’aide à la fois « conjoncturel », à l’aune de l’impact socio-économique de la pandémie, mais aussi et surtout « structurel », alors que les députés français  ont souhaité réviser à la hausse l’ambition française en matière d’aide publique au développement, souhaitant que l’objectif fixé par Emmanuel Macron (0,55% du Revenu National Brut en 2022) soit porté, en 2025,  à l’objectif du développement durable (ODD) de 0,7% du RNB.

L’utilisation à bon escient des 34 milliards de DTS initialement prévus pour le continent africain, que le Sommet de Paris compte porter à 100 milliards de dollars – sur les 650 milliards que le FMI compte mettre en circulation – devra, néanmoins aller de pair avec l’utilisation, jusqu’ici trop peu engagée, des quelques 1000 milliards de dollars de ressources directes, dont disposent les économies africaines. Une bonne partie des caisses de retraites africaines (200 milliards de dollars) et fonds souverains endogènes au continent (150 milliards de dollars) qui composent cette manne financière, est inhérente au développement économique du Nigéria.

Il en va de même avec la diaspora, « 6ème région africaine », que le président Emmanuel Macron appelle souvent de ses vœux, quand il s’agit de prendre en compte la capacité financière (50 milliards de dollars au profit des économies africaines, selon la Banque mondiale) que représentent les 10 millions de citoyens français, 30 millions de citoyens européens qui ont des familles sur le continent africain.

Du reste, cette approche n’aurait que des avantages à s’appuyer sur le Nigeria et sa jeunesse dans le façonnement économique de la région et du continent, à l’aune des espoirs nées de la mise en place, depuis le début de l’année, de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine. (ZLECAf).

Reste désormais, à faire en sorte que « l’urgence » et « l’ambition », telles qu’elles ont été annoncées lors du Sommet du 18 mai consacré au financement de l’Afrique et sa dette, soit prise en compte dès à présent, sans attendre la Présidence française de l’UE (1er semestre 2022), même si cette dernière en sera le véhicule idéal.