Le foncier : Patient zéro d’un marché immobilier paralysé

Au cœur des défis écologiques et sociétaux, le développement urbain est tiraillé entre de fortes injonctions contradictoires. Il lui faudrait répondre à un besoin en logements croissant, tout en stoppant l’étalement urbain. Mais aussi combattre l’augmentation insupportable des prix, tout en répondant aux enjeux de la construction bas carbone. Aussi impossible que cela puisse paraître, des solutions existent. Elles se trouvent dans le foncier et notre capacité à accepter une meilleure régulation.

La première équation est quantitative. Elle consiste à ralentir l’étalement urbain, dont le rythme est supérieur à celui de la moyenne européenne, tout en étant au rendez-vous des besoins en logements sur notre territoire.

De nombreuses voix pointent la crise de l’offre post-Covid face à une demande qui ne serait jamais rassasiée. Pourtant, l’INSEE indique que l’offre nouvelle de logements (400 000 par an) est depuis des années structurellement supérieure au nombre de nouveaux ménages (230 000 par an). Ainsi, depuis 2006, la vacance s’accroît partout en France, y compris dans les métropoles. Cela est notamment lié à un décalage géographique entre les zones à forte densité d’emplois et le parc existant. Avec à ce jour plus de trois millions de logements vides en France, il n’existe nulle part de pénurie quantitative de logements.

Or, pour lutter contre cette vacance aux causes multiples (inadéquation offre/demande, logements en mauvais état, inoccupés sans être pour autant immédiatement habitables, en vente, en succession…) il n’existe pas ou trop peu de mécanismes. Le mal logement est aussi une réalité en France et peu de pression s’exerce sur les propriétaires pour remettre ces logements sur le marché. Aucun mécanisme s’imposant aux villes ne permet non plus de stopper la construction neuve alors que certaines zones comptent un nombre important de logements vides.

Sans mécanisme beaucoup plus contraignant pour remettre sur le marché les logements qui devraient s’y trouver, nous n’arriverons pas faire à baisser la proportion de logements neufs qu’il faut tout de même construire.

Or, c’est bien dans cette direction qu’il convient d’œuvrer pour résoudre l’autre partie du problème : la lutte contre l’artificialisation des sols.

Le gouvernement a fixé un objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) et en a fait un point central de son plan de relance post-COVID-19. Il y a en effet urgence en la matière au regard des dizaines de milliers d’hectares « consommés » chaque année.

« la non-constructibilité doit être la règle, la constructibilité l’exception »

L’urgence est bien comprise mais les moyens employés ne sont pas à la hauteur.

L’artificialisation des sols est liée -voire soudée- à la propriété et son caractère souverain. Chacun est libre d’utiliser son terrain comme bon lui semble, pourvu que son usage ne soit contraire ni aux droits des tiers ni aux lois. L’artificialisation ne se poursuit que par la faiblesse de la réglementation ou, et c’est là tout le problème, parce que la réglementation la favorise.

Le cadre juridique de protection des sols n’est donc pas suffisamment fort. Sans outils répondant à cette logique, les objectifs fixés demeureront un horizon illusoire. Surtout si sa gestion demeure purement locale.

Doit-on fixer le postulat que le sol devrait être inconstructible ? Qu’il serait « déstocké » au rythme d’une extension maîtrisée et raisonnée de la ville ? Il y a matière à réflexion afin de faire du sol une « cause nationale » et de sa protection un objectif d’intérêt général. Et ce, afin de fonder l’adoption de dispositions contraignantes à même de satisfaire cet objectif.

La nature des constructions est aussi un enjeu. Les maisons individuelles et leur cohorte de routes et ronds-points sont le premier moteur de l’artificialisation des sols. Arrêter l’étalement urbain est donc indissociable d’une réduction drastique de ce type de constructions parfaitement standardisé (pour ne pas dire très peu qualitatif), disjoint de la ville par leur localisation et encore trop souvent considérée comme la solution simple et économique pour produire de la ville. Nous savons pourtant que cette production n’a rien de durable et qu’elle enracine ses habitants dans diverses problématiques sociétales (passoires thermiques, éloignement des commerces et services, dépendance à la voiture…).

Est convoquée ici la question de la densité urbaine et de son acceptabilité. Il est possible de lier qualité de vie et limitation d’une expansion urbaine coûteuse à tout point de vue. Le défi à relever est de montrer que différentes formes de densité urbaine existent et que chacune peut être bien acceptée. Car c’est précisément la densité vécue par les habitants, souvent disjointe de la pure mesure mathématique de la densité urbaine, qui importe in fine.

La seconde équation est qualitative. Il faudrait combattre l’augmentation insupportable des prix tout en répondant aux enjeux de la construction bas carbone.

Dans la dynamique qui pousse à une hausse ininterrompue des prix immobiliers ces dernières années, l’importance du foncier est primordiale.

Privés ou publics, les terrains constructibles mis sur le marché font l’objet d’une compétition féroce entre acheteurs aux conséquences nocives pour le marché.

« Le foncier, trou noir de toute volonté de qualité ou d’innovation »

La première conséquence est que cette bataille tend à évincer les promoteurs qui souhaiteraient réaliser des opérations comprenant du logement social. Autant d’opportunités de réaliser du logement abordable qui s’évaporent.

Par ailleurs, le coût du foncier se reporte sur le prix de sortie des logements privés, participant ainsi à leur perpétuelle augmentation et donc à l’étalement de la gentrification. Tout promoteur qui se respecte démarre alors un bilan d’opération en pariant sur un prix de vente à terme supérieur au  prix moyen actuellement constaté sur le marché. Imparable effet boule de neige. La baisse structurelle des taux d’intérêt a d’ailleurs aggravé la situation en permettant aux acquéreurs d’absorber des prix fonciers déconnectés de leur valeur réelle.

Enfin, un coût du foncier qui s’envole, c’est un trou noir dans lequel s’engloutissent toutes les bonnes volontés de faire mieux en termes de produit, de matériaux ou d’innovations. Les prix ne pouvant monter jusqu’au ciel, la contrainte foncière joue les fossoyeuses de toute tentative de faire des logements conçus pour y vivre et non simplement pour y loger, de tout effort pour construire bas carbone alors que faire « comme avant » est tellement plus simple et moins cher, fossoyeuse enfin de toute déstandardisation d’un produit qui historiquement a perdu en qualité.

N’est-il pas temps que la puissance publique intervienne de manière plus contraignante pour contrôler la valorisation des fonciers constructibles ? Les terrains ouverts à la constructibilité, ceux qui aident la ville à prendre sa respiration, pourraient, une fois classés comme tels, intégrer de facto une ZAC multi sites, permettant ainsi à la collectivité d’en maîtriser le devenir.

Les effets d’aubaine liés à l’emplacement d’un terrain par rapport à un nouvel équipement public (une station de métro par exemple) ne doivent-il pas aussi bénéficier à la collectivité puisqu’inversement, celle-ci est convoquée en indemnisation lorsque le même équipement impacte à la baisse la valeur dudit foncier ?

Pourquoi ne pas généraliser un principe de constructibilité additionnelle ou une fiscalité favorable pour les projets les plus écologiques, leur permettant ainsi d’être compétitifs par rapport à des projets moins regardants mais donc plus efficaces « foncièrement » parlant ?

La question du foncier est au cœur de toutes les attentions des créateurs de la ville, mais aussi de tous les blocages et de toutes les excentricités. Traiter cette question n’est plus une option de la politique du logement. C’est désormais un impératif catégorique.

Si nous souhaitons être au rendez-vous des changements systémiques qui se dressent devant nous, la refonte complète de notre droit de l’urbanisme semble inéluctable afin de dessiner un chemin collectif vers le mieux vivre ensemble.