Et si la Chine n’était pas au rendez-vous de l’histoire en 2049 – Michel Gardel

L’histoire de la renaissance de la Chine, après les guerres de l’opium et les « traités inégaux » (en particulier l’humiliant traité de Nankin du 29 Aout 1842), commence réellement en 1949 avec l’arrivée au pouvoir de Mao Zedong qui fut l’acteur d’une souveraineté reconquise. Deux ans après le décès du « grand timonier », en 1978, Deng Xiaoping accède au pouvoir  et participe activement au développement de la Chine actuelle. Considéré comme « l’architecte en chef de la réforme et de l’ouverture » il a largement contribué par ses réformes  à la prospérité économique  de la Chine actuelle. Le 15 Novembre 2012, Xi Jinping accède au rang suprême de Secrétaire Général du Parti Communiste Chinois et devient le 14 Mars 2013 le Président de la République populaire de Chine. À dater de cet événement la stratégie de la Chine s’inscrit dans une logique d’hyperpuissance, tant économique, que politique et militaire. Le « rêve Chinois » est de parvenir à l’hégémonie mondiale et de mettre un terme au leadership Nord-Américain, à la date du centième anniversaire de la création de la République Populaire.

La vision 2035 des délégués du Comité Central mentionnée dans le plan à long terme est sans ambiguïté, même si officiellement les dirigeants Chinois ne revendiquent pas de prendre la place des États Unis dans le Monde. Mais il n’est pas habituel  dans la culture asiatique de dévoiler clairement et précisément  ses objectifs et ses ambitions. La politique du « loup guerrier » prônée par le Président Xi Jinping constitue indéniablement un changement d’orientation stratégique sur les plans  politique et militaire.

UNE VOLONTE DE PUISSANCE : LA CHINE FORTE ET DOMINATRICE

Cette volonté de puissance s’exprime à travers la recherche d’une hégémonie économique, l’investissement massif dans les hautes technologies, l’augmentation constante du budget militaire.

La Chine a initié en 2013 le projet B.R.I  « Belt and Road Initiative », un gigantesque plan d’investissement qui devrait englober 68 pays représentant 4,4 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial

La recherche d’une hégémonie économique

Si l’on s’en tient aux faits et aux chiffres, une simple extrapolation démontre que la suprématie économique de la Chine est acquise dès la décennie 2030. Le PIB chinois a atteint 99.090 milliards de yuans (14.380 milliards de dollars) en 2019. Quant au PIB par habitant, il a dépassé le seuil des 10.000 dollars. Certes, les États-Unis restent en tête avec 21.345 milliards de dollars, mais la croissance chinoise est plus forte. Par ailleurs, la Chine devance déjà les États-Unis et l’Union Européenne si l’on exprime le PIB en parité de pouvoir d’achat (PPA).

Les autres succès économiques sont patents, premier exportateur mondial depuis plus de dix ans (ses exportations représentent 35,7% du PIB), plus vaste marché du monde avec plus de 1,4 milliards d’habitants, des réserves de change qui dépassent les 3.100 milliards de dollars, avec une créance de près de 1300 milliards de dollars sur le Trésor américain. La Chine est également l’un des plus grands pourvoyeurs de capitaux dans le monde, et a initié en 2013 le projet B.R.I  « Belt and Road Initiative », un gigantesque plan d’investissement qui devrait englober 68 pays représentant 4,4 milliards d’habitants et 40% du PIB mondial.

Le 15 Novembre 2020, la Chine vient  également de signer un Partenariat Régional Économique Global (RCEP) qui devient le plus grand accord commercial mondial en termes de Produit Intérieur Brut, et concerne plus de deux milliards d’habitants.

Créant ainsi une vaste zone de libre-échange, dont l’Inde sera la grande absente, entre les dix États de l’ASEAN (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Malaisie, Philippines, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Laos et Brunei), la Chine, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, le RCEP représentera 30%  du PIB mondial. Le retrait des États-Unis du Traité de Libre-échange Trans pacifique (TPP) en janvier 2017 a largement facilité la conclusion de cet accord au profit de la Chine qui lui permettra d’accroître son influence dans la région et d’en fixer les règles et les normes technologiques.

Certes, la crise de la COVID-19 a ralenti la croissance chinoise et a affecté le développement de son économie et la mise en œuvre de certains projets, il n’en demeure pas moins que contrairement à la majorité des économies des grandes nations mondiales, la Chine a enregistré en 2020 une croissance du PIB de 2,3%.

On pourrait continuer à relever les performances économiques accomplies par la Chine depuis son accession à l’OMC, effective le 11 Décembre 2001 (elle s’était retirée du GATT le 5 mai 1950), mais il nous apparaît également important de mentionner les domaines sur lesquels la Chine a fait porter ses efforts ses dix dernières années, car ils montrent sa volonté de jouer un rôle majeur dans une stratégie géopolitique de puissance.

Sur le plan géopolitique une puissance est un État souverain qui, du fait de son économie dominante, de sa politique étrangère, de sa force militaire, et de son rayonnement culturel est en mesure d’exercer une influence au niveau mondial et de peser dans le concert des nations.

L’investissement massif dans les nouvelles technologies

À cet égard, il est un domaine où la Chine a surclassé l’ensemble des grands pays, celui des hautes technologies. La rapidité des progrès accomplis et le déploiement à travers le pays de ces nouvelles technologies sont impressionnants. L’exemple emblématique est l’impressionnante dynamique de l’implantation de la 5G, la Chine comptant d’ores et déjà 110 millions d’utilisateurs.

La Chine a mis l’accent sur dix secteurs majeurs : les technologies de l’information, l’aéronautique, l’industrie navale, l’industrie ferroviaire, les véhicules propres et autonomes, l’énergie, la robotique, le machinisme agricole, la biomédecine et les nouveaux matériaux. Les investissements en recherche et développement représentent actuellement 2,5% du PIB contre 1% en 2000. Le plan « made in China 2025 » lancé en 2015 a largement contribué à la mise en œuvre d’une politique d’investissement massif dans les nouvelles technologies.

En dix ans les dépenses en recherche et développement ont été multipliées par 9 et devraient tangenter en 2020 les 400 milliards de dollars.

La Chine est de plus en plus présente dans «l’infosphère». Elle use du soft power pour désinformer et déstabiliser afin de peser sur les décideurs, les médias, et les populations des pays ciblés. Il n’est que de citer notamment les polémiques autour de TikTok et de sa société mère ByteDance, ou bien celles concernant Huawei.

La cyberguerre menée par Pékin en est également l’illustration, même si elle n’est pas l’apanage de la Chine.

Les recours aux stratégies d’influence prospèrent pour fragiliser des adversaires politiques et des secteurs stratégiques des concurrents.

S’agissant des transports ferroviaires, les lignes de train à grande vitesse construites ces dix dernières années représentent près de 35.000 km. Leader mondial de la production et de la vente de véhicules électriques, la Chine développe également les véhicules à hydrogène et les véhicules autonomes. De même dans le domaine aéronautique l’accent est mis sur le développement d’un avion moyen- courrier (COMAC C919) qui devrait être certifié en 2021. Que de progrès accomplis en une dizaine d’années !

Dans le domaine nucléaire civil, la Chine compte actuellement 50 réacteurs nucléaires répartis sur 16 sites. A compter de 2021, elle devrait lancer 6 à 8 nouveaux réacteurs par an et disposerait d’ici 2030, selon la planification du gouvernement, de plus d’une centaine de réacteurs devenant ainsi la première puissance nucléaire mondiale (rappelons qu’elle a été le premier État au monde a disposé d’un EPR en activité). Sous l’impulsion du programme d’innovation technologique «Dragon Rising 2020», la Chine a décidé d’accélérer et d’améliorer la mise en œuvre de ses implantations nucléaires (ce programme comprend 8 projets de démonstration d’innovations techniques et 12 projets d’amélioration technologique significative). Toutefois, comme nous le verrons ultérieurement, cette ambition ne se concrétisera pas sans surmonter certains obstacles.

Enfin, s’agissant de la conquête spatiale, les Chinois ont lancé, en Juillet 2020,  avec le lanceur lourd «Longue Marche 5»  depuis l’île d’Hainan une sonde «Tianwen-1»  vers Mars pour procéder à des prélèvements et analyser les composantes du sol de cette planète. La conquête spatiale est  certainement l’un des marqueurs les plus significatifs et porteur de sens d’une volonté de puissance.

L’augmentation constante du budget militaire

Entrainement militaire pour des étudiants chinois de l’université de Jiujiang

L’Armée Populaire de Libération, avec un effectif de plus de 2 millions de soldats est la plus grande armée du monde

Le budget chinois de la Défense a plus que doublé les dix dernières années pour atteindre 261 Milliards de dollars en 2019. Chaque année, le budget de la Défense croît de 7 à 8%, et devrait avoir augmenté encore de 6,6% en 2020 en dépit de la crise sanitaire.

L’effort a particulièrement porté sur la marine chinoise, devenue la seconde marine mondiale avec 600 bâtiments de combat pour un tonnage de 1,5 million de tonnes – elle est même devenue première marine mondiale en termes d’unités navigantes.

L’augmentation de ses capacités de frappes nucléaires par ses sous-marins SNLE et les missiles nucléaires longue portée (Ju Lang 3) pouvant atteindre les États-Unis, la construction prochaine de deux nouveaux porte-avions venant s’ajouter aux deux existant à l’heure actuelle, le lancement du destroyer Type 055, contribuent grandement à faire de la Mer de Chine une mer Chinoise et de faire peser sur l’ensemble des pays riverains des menaces sécuritaires.

L’armée de l’air n’est pas en reste avec le lancement du missile hypersonique CH-AS-X-13, plus gros missile lancé depuis un avion,  capable de percer le blindage des porte-avions.

L’Armée Populaire de Libération avec un effectif  de plus de 2 millions de soldats est la plus grande armée du monde, elle poursuit sa modernisation et est désormais dotée du missile balistique intercontinental DF41. Ce missile, propulsé par du propergol solide, peut être lancé à partir de plateformes mobiles et dispose d’une portée opérationnelle de 12 à 15.000 km.

Cette montée en puissance des moyens militaires, et la diplomatie agressive du « loup guerrier » ne peuvent qu’inquiéter les occidentaux sur la volonté de la Chine d’accroître sa domination et sa suprématie tant sur le plan régional que mondial.

La puissance économique et militaire de la Chine lui ont permis et lui permettront de peser encore plus sur les institutions mondiales qu’elle a déjà infiltrées : l’OMS (on en a vu l’incidence sur la pandémie de la Covid 19), l’OMC, l’ONU, la FAO etc.

La Chine fait par ailleurs contrepoids à l’OTAN notamment avec l’Organisation de Coopération de Shanghai (O.C.S.). Cette organisation intergouvernementale régionale en Asie a été créée en Juin 2001 et regroupait à l’origine 6 membres, dont la Chine, la Russie, et le Kazakhstan. L’O.C.S. a décidé en Juillet 2015 d’accueillir l’Inde et le Pakistan comme membres à part entière (l’intégration officielle de ces deux nations date du 9 Juin 2017).

Cependant, la poursuite de la montée en puissance de la Chine se heurte à plusieurs obstacles majeurs.

UNE FRAGILITÉ LIÉE A DES DÉSÉQUILIBRES STRUCTURELS ET A UN MODÈLE SOCIÉTAL PEU ENGAGEANT

L’entrée de la Chine dans l’OMC a conduit à une forte expansion mais a généré des déséquilibres sociaux et spatiaux. Les façades littorales ont été grandement privilégiées par la mondialisation au détriment des régions intérieures considérées comme moins prioritaires

Nous analyserons uniquement les déséquilibres structurels non liés aux problèmes économiques qui pourraient cependant s’avérer préoccupants. En effet, le capitalisme d’État, cette troisième voie choisie par la Chine, lui permet d’opter pour des solutions peu compatibles avec le modèle capitaliste occidental. À savoir une dette abyssale, soit plus de 40.000 milliards de dollars représentant 303 % du PIB (endettement total comprenant la dette publique, celle des entreprises et des ménages) et 235% pour la dette publique stricto sensu, un risque financier sur ses réserves de change 3.105 milliards de dollars dont près de 1.300 milliards de dollars sur le Trésor Américain, une trop grande dépendance des exportations. Tous ces éléments sont des facteurs qui pourraient entraver la marche en avant de l’économie chinoise dans l’avenir.

D’autres facteurs structurels plus inquiétants, comme le déclin démographique et le vieillissement de la population, la fracture sociale et l’aggravation des inégalités, les tensions énergétiques, une pollution alarmante, tout comme les problèmes de gouvernance et de corruption, et le caractère peu attrayant du modèle sociétal chinois nous apparaissent comme des risques majeurs.

Le déclin démographique et le vieillissement de la population.

Avec 1,4 milliard d’habitants, la Chine est en passe d’être dépassée par l’Inde et devrait perdre sa place de pays le plus peuplé du monde avant la fin de la décennie actuelle. En 2018, le nombre des décès a été supérieur à celui des naissances. La politique de l’enfant unique, même si elle a été reconsidérée par le gouvernement Chinois, a eu des effets dévastateurs sur la pyramide des âges. Le vieillissement de la population est désormais inéluctable du fait de l’insuffisance des naissances et de l’allongement de l’espérance de vie (77,3 ans en 2020). Selon les Nations Unies, la Chine devrait compter 400 millions de seniors en 2040 (l’âge moyen de la population serait alors de 44 ans). Il est aussi à noter que la politique de natalité antérieure a généré un déséquilibre dans la répartition hommes/femmes. Il est estimé qu’il manquerait 35 à 40 millions de femmes en Chine ce qui accroît encore le problème du déclin des natalités.

On perçoit immédiatement le poids qui va peser sur les actifs dans les années à venir dans un pays qui ne dispose pas d’un système de retraite performant et plutôt précaire, car rarement mis en œuvre, y compris par les entreprises d’État. Une économie qui n’est pas parvenue encore à la maturité économique dans laquelle pèse la dépendance du troisième âge va au-devant de graves tensions sociales surtout lorsqu’il existe une fracture sociale dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde.

Les inégalités sociales et territoriales

Au début des années 1980 la Chine était encore très égalitaire. C’est entre 1985 et 2007 que les inégalités socio-spatiales ont augmenté drastiquement. Une forte disparité s’est installée entre les provinces littorales et celles de l’intérieur, entre les populations urbaines et rurales. À cet égard, l’urbanisation «échevelée» orchestrée à la fin des années 1980 par le gouvernement chinois a conduit à l’émergence de gigantesques mégalopoles qui ont encore accentué cette disparité. Cet écart émane des sources de revenus, mais aussi des avantages sociaux accordés aux urbains en termes de logements sociaux, de couverture de santé, et de régime de retraite.

Les indicateurs internationaux d’inégalité, établissent que la Chine, avec un coefficient de Gini compris entre 0,42 et 0,5  (le coefficient de Gini est un nombre compris entre 0 et 1, où 0 indiquerait une égalité parfaite et 1 une inégalité parfaite) est aujourd’hui, l’un des pays d’Asie aux plus forts écarts de revenus, et parmi les pays les plus inégalitaires au monde devant les États-Unis.

Certes, le taux de pauvreté absolu a régressé grâce à la croissance, mais la pauvreté relative, équivalente à la moitié du niveau de vie médian, a continué de progresser parce que le niveau de vie des classes moyennes a augmenté beaucoup plus vite que celui des plus démunis. Selon le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale, (1,9 dollar par jour pour le seuil d’extrême pauvreté), la part des pauvres dans la population chinoise serait de l’ordre de 7 à 8%, soit une centaine de millions de personnes.

Les habitants des grandes villes côtières industrialisées et ouvertes au commerce international sont les grands bénéficiaires  de l’expansion économique chinoise. Le niveau de revenu des ménages urbains est trois fois plus élevé que celui des ruraux.

L’écart entre les urbains de Shanghai et les ruraux du Guizhou est considérable. Un urbain de Shanghai dispose d’un revenu qui est en moyenne 11,5 fois supérieur à celui d’un paysan de la province la plus pauvre de Chine. La disparité villes-campagnes s’avère particulièrement grande dans les régions intérieures et demeure moins perceptible dans les régions côtières. Les écarts  de revenus les plus élevés entre urbains et ruraux se trouvent  dans l’Ouest et le Sud-Ouest de la Chine.

L’entrée de la Chine dans l’OMC a conduit à une forte expansion mais a généré des déséquilibres sociaux et spatiaux. Les façades littorales ont été grandement privilégiées par la mondialisation au détriment des régions intérieures considérées comme moins prioritaires. Aucune des politiques gouvernementales mises en œuvre à ce jour n’a pu combler le retard accumulé. Malgré les investissements récents pour permettre un rééquilibrage régional, y compris ceux résultant des nouvelles routes de la soie, ces inégalités géographiques n’ont pu être réduites et devraient se maintenir dans la décennie à venir voire au-delà.

Au sein même des urbains les inégalités ont également tendance à progresser. Les rémunérations varient énormément selon la qualification et les secteurs d’activité.

En une dizaine d’années le nombre des milliardaires chinois a été multiplié par 9. La Chine compte le plus grand nombre de milliardaires au Monde avec 389 citoyens chinois inscrits au classement Forbes (hors Hong Kong et Macao). 1% de la population chinoise détient  près de 35% de la richesse nationale alors que 25% des plus pauvres n’en détiennent que 1%.

Le défi à relever par le gouvernement chinois sera donc de veiller à une meilleure équité sociale entre ruraux et urbains et de bâtir un meilleur équilibre régional tout en évitant les excès égalitaristes du passé mais aussi en cessant de donner la priorité à la Chine du littoral. A défaut, la Chine s’exposera à des mouvements sociaux dont on ne peut jamais par avance mesurer la magnitude.

Les tensions énergétiques persistantes

La Chine connaît un déficit énergétique chronique depuis les années 1980 accentué par la forte croissance de l’économie chinoise très consommatrice d’énergie.

Ce «bond en avant» sans précédent de l’économie principalement généré par l’industrie s’est appuyé sur une augmentation de la consommation énergétique à un rythme annuel moyen de 6% (avec un mix énergétique de 80% pour le charbon). Il en a résulté de graves détériorations de l’environnement et une contribution aux émissions mondiales de gaz à effet de serre de l’ordre de 30% en 2018. Certes le gouvernement chinois dans le 13ème Plan (2016/2020) a montré son intention de diminuer la consommation de charbon initiée déjà en 2012 par le président Xi Jinping. Mais la reprise de la croissance en 2017 s’est accompagnée d’un relèvement à 5,1 milliards de tonnes du plafond national d’extraction du charbon, montrant les limites de cette politique. La Chine n’a pas encore les moyens de maîtriser sa consommation énergétique et de l’orienter vers des sources moins polluantes comme le gaz, ou non carbonée, comme le nucléaire ou les énergies renouvelables. Il est à craindre que le développement des infrastructures en Chine dans le cadre de la «Belt and Road Initiative» pour désenclaver les provinces de l’intérieur, et les autres investissements effectués à l’étranger ne génèrent un nouvel essor de la consommation énergétique et le recours au charbon.

La consommation de l’énergie primaire en Chine est passée de 2.491 Millions de tonnes d’équivalent Pétrole (Mtep) en 2010 à 3273 Mtep actuellement, soit une croissance de plus de 30%. Le mix énergétique a certes évolué au profit des énergies décarbonées et du gaz naturel qui représentent à présent 22% (dont 15% pour les seules énergies renouvelables) contre 12% en 2010. Le charbon et le pétrole couvrent encore actuellement 78% des besoins énergétiques. En valeur absolue la situation continue cependant de se dégrader, la consommation d’énergies fossiles  ayant augmenté de 14,6% sur la même période. Le charbon (1907 Mtep) représente encore plus de 58% du mix énergétique. Cette baisse relative du charbon dans le mix énergétique s’est accompagnée d’une augmentation massive des importations de pétrole dont le sous-sol chinois demeure peu abondant, rendant la Chine plus dépendante des approvisionnements extérieurs.

Il y a lieu de noter un sérieux ralentissement de l’implantation des installations dans l’éolien et le solaire qui n’est pas lié à l’insuffisance des capacités de production ou des ressources en Chine mais aux limites que fixent ces énergies intermittentes. L’hydraulique a également ses limites du fait des délais de réalisation, du respect des normes environnementales et des réactions publiques tant nationales qu’internationales. Il n’est que de citer l’hostilité de l’Inde aux projets chinois sur le Bramapoutre ayant sa source dans l’Himalaya Tibétain, et dont le débit se trouverait affecté lors de sa traversée des États indiens de l’Arunachal Pradesh et de l’Assam.

Reste enfin le nucléaire, sa contribution à la production d’électricité devrait plus que doubler pour représenter plus de 15% en 2040. Cette évolution est toutefois empreinte d’incertitude. Il y a lieu de noter en effet une nouvelle orientation vers des technologies que maîtriseraient mieux les deux groupes de construction nucléaire chinois. À ces incertitudes technologiques, il convient d’ajouter des contraintes liées à la saturation de l’implantation des sites nucléaires sur le littoral  conduisant à implanter d’autres sites à proximité du réseau fluvial, ce qui est généralement mal accepté par les populations riveraines, et peut constituer un sérieux obstacle à la mise en place du plan nucléaire.

S’il est vrai que le Président Xi Jinping veut infléchir les trajectoires énergétiques pour des raisons environnementales en maîtrisant mieux l’utilisation des ressources énergétiques, des obstacles importants demeurent, et les ambitieux investissements requis par la «Belt and Road Initiative» paraissent peu compatibles avec cette inflexion et jettent, à tout le moins, le doute sur cette stratégie.

Une pollution alarmante

La nécessaire et urgente protection de l’environnement constitue un obstacle majeur difficile  à surmonter.

La Chine est le 1er pollueur de la planète, pollution de l’eau, de l’air, des sols, l’aggravation de la dégradation de l’environnement a été liée à la croissance effrénée  initiée dans les années 1980. Les dégâts sont colossaux et parfois irréversibles. Tous les ans ce sont plus de 200 millions de mètres cubes de déchets qui sont rejetés à la mer. Les surfaces boisées du pays ont été singulièrement amputées par la déforestation. Selon le ministère chinois des ressources hydrauliques, 40 % des cours d’eau du pays ont été  sérieusement pollués par le déversement de 75 milliards de tonnes d’eaux  usées et de déchets.

S’agissant de la pollution des sols, selon le ministère chinois de l’environnement, 19,4 % des terres arables et 16,1% des sols sont pollués, ainsi que 10 % des forêts et 10,4 % des prairies. Dix millions d’hectares de terres cultivées sont pollués par des métaux lourds.

La pollution de l’air est également inquiétante. Rappelons qu’en 2005, la teneur élevée en soufre de l’atmosphère avait été à l’origine de pluies acides ayant affecté 40% du pays  contaminant ainsi sols, cours d’eau, et végétation. L’atmosphère des villes industrielles et urbaines est polluée par les émissions d’oxydes d’azote, de dioxyde de soufre et de métaux lourds qui sont à l’origine de taux de mortalité anormalement élevés. Les émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique, ont triplé entre 2000 et 2018 et tangentent les 10 Gigatonnes de CO2 soit environ 30% des émissions mondiales.

Certes la Chine, en ratifiant l’accord sur le climat conclu dans le cadre de la COP 21, s’est engagée à limiter la croissance de ses émissions de CO2, en parvenant à un pic de ses émissions en 2030, mais cet objectif  est par trop modeste par rapport aux enjeux actuels pour la Chine et pour la planète. C’est peut-être ce qui a conduit XI Jinping à déclarer en Septembre 2020 à l’Assemblée générale des Nations Unies que son pays atteindrait la neutralité carbone à l’horizon 2060. Auquel cas il faudrait, pour être crédible, accepter des objectifs plus ambitieux pour la décennie à venir.

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«La Chine, l’énergie et le climat : ‘État rouge et rêve vert’»

Une gouvernance autocratique

Depuis l’amendement du 11 mars 2020, entériné par le Parlement chinois, le rôle et la mission du dirigeant du Parti Communiste Chinois (PCC) a été défini comme prééminent dans l’ensemble des domaines d’activité pour l’intégralité du territoire. Le PCC consolide son pouvoir « erga omnes », dans toutes les institutions publiques mais aussi dans les entreprises privées. À cet égard, et s’agissant des entreprises privées, le récent recadrage de Jack Ma, fondateur d’Alibaba, dont les projets dans le secteur bancaire ont été stoppés sans ménagement  par le Gouvernement chinois atteste de cette reprise en main y compris des grands groupes et des icônes du commerce  et du numérique.

Xi Jinping s’inscrit définitivement dans le temps long et « le renouveau de la nation chinoise » telle qu’exprimée lors du 19ème congrès du PCC est sans ambiguïté. Sa volonté de faire de la Chine une hyperpuissance d’ici 2049, rayonnant à l’international dans les domaines économique, technologique, politique et militaire a également été ratifié par le Parlement et inscrit dans la Constitution.

Depuis 2012, les universités du pays ont été « invitées » à renforcer l’apprentissage du Marxisme.

On assiste à une véritable reprise en main sur le plan idéologique qui s’exerce à l’intérieur du pays mais qui a aussi vocation à définir les grands axes de la politique étrangère de la Chine. Il s’agit ni plus ni moins  de proposer au monde une voie alternative au modèle démocratique libéral occidental. Xi Jinping se montre beaucoup plus offensif que ses prédécesseurs et veut promouvoir un mode de gouvernance alternatif. Il utilise à cette fin, en plus de la voie diplomatique,  tous les moyens du soft power pour promouvoir sa pensée et le «rêve chinois».

Un modèle sociétal peu engageant

C’est dans ce domaine que la Chine perd toute chance de se substituer à l’hégémonie américaine. Son système politique et social est loin d’être attrayant. De même ne bénéficiant pas d’une langue véhiculaire comme celle des Anglo-saxons ni d’une culture facilement accessible, la Chine cumule les difficultés pour rayonner dans le monde.

La Chine a implanté près d’un demi-milliard de caméras équipées pour la plupart de la reconnaissance faciale. Ce sont des caméras qui modélisent chaque visage et en mesure, grâce à  l’intelligence artificielle, de prendre en considération jusqu’à 500 millions d’éléments. Certaines caméras sont même capables d’identifier un individu de dos rien qu’en analysant sa démarche. Cette digitalisation totalitaire, qui lamine littéralement le respect de la vie privée, est assortie du  «crédit social » reposant sur un système de notation permanent concernant les gestes du quotidien (distribution de bons ou de mauvais points en fonction  du comportement de chaque individu dans sa vie sociale). On comprendra aisément que l’on est loin de «l’American dream».

On assiste à un recours systématique aux nouvelles technologies et en particulier à l’intelligence artificielle pour mieux contrôler les citoyens et gérer les éventuels mouvements sociaux (une cartographie des zones de contestations potentielles a été élaborée grâce à des outils d’analyse sophistiqués)

Ce modèle ne fait pas rêver. Les atteintes quotidiennes à la liberté d’expression et aux droits de l’homme n’invitent pas à l’admiration non plus. Enfin le culte de la personnalité du Président Xi Jinping n’engendre pas l’appétence pour ce régime politique et social.

La réputation et l’image de la Chine  sont loin d’être positives dans le monde occidental mais également en Asie. Il n’est que de citer l’étude publiée en Octobre 2019  par l’institut américain  Pew Research Center. Cette étude réalisée dans 32 pays, mentionne que plus des deux tiers des pays européens et nord-américains ont une opinion défavorable (par rapport à plus de 50% pour les autres pays). 85% des Japonais ayant quant à eux une mauvaise opinion ce qu’il est vrai n’a rien de surprenant. Les Russes sont les plus en affinité avec la Chine avec 71% d’opinions favorables.

Les récents événements de Hong Kong, l’internement d’un million d’Ouïghours, et la diplomatie malhabile de la Covid 19 ont encore détérioré l’image de la Chine.

Or en l’absence de soft power il n’est guère possible d’avoir un réel pouvoir d’influence et un rayonnement à l’international.

UN AVENIR ENCORE EMPREINT D’INCERTITUDE

L’histoire ne s’écrit pas à l’avance, «elle ne se répète pas  mais elle bégaie», comme le soulignait Karl Marx. La Chine, victime de l’ hubris de ses dirigeants pourrait-elle tomber dans le piège de Thucydide ? Graham Allison dans son livre « Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide », s’efforce de démontrer que lorsqu’une puissance ascendante menace de détrôner une puissance établie cela génère une dynamique pernicieuse susceptible au final de provoquer le déclenchement d’une guerre. Si un conflit purement militaire paraît encore peu probable, et ce malgré un contexte géopolitique inquiétant en Mer de Chine, des tensions structurelles s’installent et ne peuvent que dégrader les relations politiques et économiques entre les deux pays.

En dehors même des conflits bilatéraux sino-américains, force est de constater que la plupart des pays occidentaux et l’Union Européenne ont durci leurs relations économiques et politiques avec la Chine. Sortant d’une naïveté blâmable, l’UE n’a pas manqué de critiquer le gouvernement chinois pour le non-respect de ses engagements en matière de protection des investissements européens, des droits de l’homme, et pour les insuffisants efforts dans le domaine environnemental.

S’oriente-t-on vers un «tous ensemble contre la Chine» ?

Sous quelque angle que ce soit la Chine demeure indéniablement un sujet de préoccupation pour le reste du Monde.

Faut-il pour autant tabler sur un effondrement de la Chine sur elle-même, tel l’effondrement gravitationnel d’une supernova ? Certains l’ont pronostiqué, voyant un parallèle avec l’effondrement de l’Union Soviétique.

S’il est vrai que ce scénario paraît peu probable à court terme, rien ne permet d’écarter qu’un jour, lassé de l’omniprésence de «Big Brother»  le peuple chinois ne décide d’aller vers plus de liberté, et d’emprunter une autre voie.

Toutefois, inspiré par Confucius, les dirigeants Chinois appliqueront ils pour leur salut cette pensée confucéenne  «l’homme sage apprend de ses erreurs, l’homme plus sage apprend des erreurs des autres» ou considéreront ils comme Alexandre le Grand que «la terre ne peut tolérer deux soleils» ?