Prendre aujourd’hui le virage de la santé numérique, pour la médecine et l’économie de demain – Martin Dubuc

2021 sera-t-elle l’année du tournant décisif pour la santé numérique ? Si depuis plusieurs années les innovations se multiplient sous l’impulsion d’acteurs pionniers, toutes les conditions semblent aujourd’hui réunies pour un véritable changement d’échelle, transformant la santé numérique en fer de lance de la médecine de demain mais aussi en atout majeur pour le rayonnement international de la France.

L’intérêt économique pour la France, dans le contexte de la relance, est réel. Développer la santé numérique c’est valoriser son expertise, la qualité de ses infrastructures et de ses talents pour rayonner à l’international

L’offre explose : nous ne pouvons que constater l’accélération exponentielle des nouvelles technologies mises à disposition des professionnels de santé et des patients. Ces innovations convergent toutes vers une meilleure prise en charge des patients grâce à une meilleure organisation des soins et un soutien aux équipes soignantes.

Parallèlement, la demande se structure. En des temps records pendant la pandémie de Covid-19, une multitude d’initiatives et de nouvelles collaborations ont vu le jour. Elles ont été immédiatement adoptées pour permettre, par exemple, de mieux suivre à domicile les patients souffrant de la Covid-19 ou d’optimiser la prise en charge des personnes atteintes de pathologies chroniques. À ces nouveaux besoins conjoncturels s’ajoute une tendance de fond : la consumérisation de la santé, présente dans la vie quotidienne de nombreux Français à travers des applications favorisant la prévention ou des bracelets connectés.  Elle ouvre un champ des possibles sans limites pour les acteurs de la santé numérique.

Les usages se développent… les investissements aussi : en 2020, les investissements en capital-risque dans ce secteur ont augmenté de 34% par rapport à l’année précédente, atteignant 25 milliards de dollars.

Cette explosion de la santé numérique doit nous réjouir, tant elle est un atout majeur pour construire la santé de demain et pour dynamiser l’économie.

Le numérique en santé offre des perspectives extrêmement prometteuses pour l’avenir des patients et de notre système de santé. Il est une chance pour aller vers une médecine plus préventive, plus personnalisée. Biogen a annoncé le lancement d’une étude en collaboration avec Apple pour développer des biomarqueurs digitaux des fonctions cognitives via l’utilisation de l’Apple Watch et de l’iPhone. De tels projets pourraient contribuer de manière significative à l’amélioration de la santé des populations, mais aussi à la réduction des coûts pour les systèmes de santé.

L’intérêt économique pour la France, dans le contexte de la relance, est réel. Développer la santé numérique c’est valoriser son expertise, la qualité de ses infrastructures et de ses talents pour rayonner à l’international. En 2017, Biogen a choisi la France pour la création de son entité mondiale spécialisée dans la neurotechnologie : Biogen Healthcare Solutions. Nous étions alors l’une des premières biotechs à investir aussi massivement en France dans la santé digitale. Tout l’enjeu est là : favoriser l’attractivité du territoire pour que les entreprises internationales choisissent la France plutôt qu’un autre pays pour leurs projets dans les domaines de la e-santé ou de l’intelligence artificielle.

La volonté politique pour y parvenir et faire de la France un leader mondial de la santé numérique est aujourd’hui considérable, et affichée. Le Président de la République s’est positionné en champion de la « start-up nation » en s’appuyant sur la solide « French Tech ». Au-delà des discours, la France a concrètement avancé sur la santé numérique, qui est notamment au cœur du plan « Ma santé 2022 » : généralisation du Dossier Médical Partagé (DMP) en vue du prochain déploiement des Espaces numériques personnels, déploiement de la télémédecine, réflexion sur la e-prescription, etc. Le dernier signal politique fort est intervenu avec la création de ParisCampus Santé en décembre 2020, vitrine d’un « modèle européen de la santé numérique » dont la France serait le moteur.

Le virage de la santé numérique est donc amorcé, comment accélerer cette dynamique ?

Pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19, les autorités ont su agir vite et assouplir le cadre réglementaire pour favoriser le développement et l’adoption rapide des solutions de e-santé (« task force data vs. Covid », assouplissement des conditions des actes de téléconsultation etc.). La France peut donc faire évoluer sa réglementation pour l’adapter aux innovations. Pourquoi ne pas organiser un « Ségur » de la santé numérique dont la vocation serait d’identifier et fluidifier les barrières réglementaires et administratives pour le développement d’une véritable filière ?

Mieux prendre en compte les investissements en France des entreprises internationales dans la santé numérique et l’intelligence artificielle et, plus largement la R&D, est incontournable. Ces investissements sont un enjeu de souveraineté et d’attractivité au moins aussi important que la production. La France pourrait aisément se doter d’outils puissants pour attirer les investissements des entreprises du médicament dans la santé numérique sur son territoire (ou retenir les startups françaises), par exemple en adaptant un dispositif comme le crédit impôt recherche ou en approfondissant le mécanisme existant dans l’accord-cadre avec les entreprises du médicament pour les investissements de production.

Devenir le leader mondial de la santé numérique suppose enfin de fédérer toutes les synergies. La France a donc tout intérêt à encourager l’accélération d’un écosystème public-privé avant la mise en œuvre en 2028 du Paris Campus Santé et à s’assurer, qu’elle puisse ainsi, par exemple, être un leader dans l’exploitation résolument ouverte des données massives de santé, dans un cadre sécurisé évidemment.

Le développement de la santé numérique à grande échelle suppose donc plus que des innovations. C’est tout un écosystème qui doit être en place. La crise sanitaire actuelle a permis de réelles avancées ; il faut maintenir ce cap. Les patients et les professionnels de santé sont prêts. Il n’existe aucune raison valable pour revenir en arrière et ne pas en profiter… alors avançons !