Vietnam : la remarquable résilience de l’économie face à la Covid-19 – Laurence Daziano

Grâce à la mise en place de mesures sanitaires drastiques au tout début de l’épidémie, en janvier 2020, le Vietnam a réussi à limiter l’impact de la crise sanitaire sur son économie. La bonne santé économique d’avant crise ainsi que les nouvelles mesures prises pendant la crise sanitaire ont permis également de limiter les impacts négatifs. Mais si l’économie vietnamienne a su tirer profit des opportunités de la crise, elle reste cependant dépendante de son intégration mondiale.

Le Vietnam s’est appuyé sur son expérience des épidémies précédentes, comme le syndrome respiratoire aigu sévère,

le SRAS, en 2003, pour lutter contre la Covd-19

Le gouvernement vietnamien a pris très au sérieux la Covid-19 qui a été reconnue immédiatement comme une menace majeure. Le Vietnam était en situation très vulnérable, compte tenu de sa longue frontière et de son commerce important avec la Chine, de ses zones urbaines densément peuplées et de ses infrastructures de santé limitées. La stratégie de confinement strict du Vietnam n’a entraîné que 1.361 cas confirmés et 35 décès, mais aucune victime depuis août, selon les données de l’université John Hopkins consultées début décembre 2020, pour une population de près de 100 millions de personnes. Le pays a été parmi les premiers à lever pratiquement toutes les mesures de confinement nationales.

Le Vietnam s’est appuyé sur son expérience des épidémies précédentes, comme le syndrome respiratoire aigu sévère, le SRAS, en 2003, pour lutter contre la Covd-19. Comme en Europe, la priorité a été donnée à la santé sur les préoccupations économiques. Mais la réponse a été déployée plus rapidement qu’en Occident, dès janvier 2020, avec des méthodes propres au Vietnam, c’est-à-dire avec l’aide de l’armée, des services de sécurité publique et des organisations de base.

Des mesures de confinement strictes ont été progressivement adoptées, notamment la mise en quarantaine de près de 450.000 personnes, des contrôles sanitaires dans les aéroports, la distance physique, les interdictions de voyager pour les visiteurs étrangers, une période de quarantaine de 14 jours pour les arrivées internationales, la fermeture d’écoles et les annulations d’événements publics. Le port de masques dans les lieux publics est strictement appliqué, même avant la recommandation de l’OMS, et l’usage des désinfectants pour les mains a été imposé dans les espaces publics, les lieux de travail et les bâtiments résidentiels. Les services non essentiels ont été fermés dans tout le pays et des restrictions strictes sur les mouvements n’ont été imposées dans la majeure partie du pays que pendant 3 semaines en avril 2020, soit 22 jours, alors que le seul premier confinement a mis la France à l’arrêt pendant 43 jours. Ces mesures se sont avérés pertinentes. Le gouvernement a estimé le coût budgétaire de la lutte contre la pandémie à environ 0,2% du PIB, avec environ 60% consacrés aux différents équipements nécessaires et le reste aux mesures de confinement.

En parallèle aux mesures sanitaires pour lutter contre le virus, le gouvernement vietnamien a pris des mesures pour soutenir l’économie. Il a mené une politique monétaire et fiscale adaptée et a profité d’une bonne gestion budgétaire. Dès le début de la crise, il a mis en place un programme d’assistance de 1,2 milliards de dollars pour les entreprises (allègements fiscaux, retard de paiement des impôts,…), un programme de soutien au crédit et un paquet fiscal de 280 milliards de dongs vietnamiens, soit 12 milliards de dollars, un plan de relance de 27 milliards de dongs vietnamiens (1 milliard d’euros) publié dès mars 2020, ciblant les ménages et les petites entreprises pour soutenir la demande, et un fonds de prévoyance d’un montant de 5% du budget 2020, limitant les emprunts extérieurs supplémentaires. Le Fonds monétaire international (FMI) a souligné les mesures d’assouplissement de la politique monétaire et l’allégement financier fourni par la Banque centrale vietnamienne (SBV) qui ont atténué les pressions sur les liquidités, abaissé le coût du financement et facilité le flux continu de crédit, notamment pour les PME.

Certes, le marché domestique a été touché, mais il s’est montré résilient. La baisse de la consommation d’électricité n’a été, par exemple, que de 4% en avril contre 20% à 30% en Chine et dans l’Union européenne. Les ménages ont été durement touchés. Le chômage urbain a augmenté de 33% au deuxième trimestre et le revenu moyen par travailleur a baissé de 5% sur la même période. Les investissements ainsi que la consommation des ménages, averses aux risques, ont été limités.

L’économie vietnamienne a su tirer profit

des opportunités de la crise sanitaire.

Mais le résultat est là : l’économie vietnamienne a plutôt bien résisté à la pandémie. Son taux de croissance au premier trimestre de 2020 était de +3,8% par rapport à la même période de 2019. Au deuxième trimestre, le taux de croissance est resté positif, certes tout juste au-dessus du niveau de l’année précédente avec +0,4% par rapport à 2019. Mais ce taux constitue une exception par rapport aux autres pays, notamment occidentaux, qui ont vu leur taux de croissance s’effondrer au deuxième trimestre. Sur les quatre premiers mois de l’année 2020, le Vietnam avait d’ailleurs enregistré un apport de 12 milliards de dollars d’investissements directs étrangers. Au troisième trimestre, la tendance s’est confirmée avec une croissance de +2,6% par rapport à la même période de 2019. Les exportations ont augmenté en octobre de +9,9% par rapport à octobre 2019, pour se monter à 26,7 milliards de dollars. La prévision de croissance de l’économie vietnamienne pour 2020 est, selon le FMI, de +2,4%, un taux qui ferait rêver le ministère français de l’économie, mais en deçà des projections d’avant la crise qui affichait +6,5%. Un rebond est attendu en 2021, avec une croissance à +6,5% et une inflation à 4%.

L’économie vietnamienne a su tirer profit des opportunités de la crise sanitaire. Cette crise avait déjà elle-même accentué les opportunités nées du conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis. En effet, de nombreux industriels ont délocalisé leur usines basées en Chine vers le Vietnam pour éviter l’augmentation des droits de douane américains. Les grandes multinationales, tout comme les entreprises chinoises, ont profité de la main d’œuvre vietnamienne bien formée et bon marché. Samsung Electronics, qui fabrique des smartphones dans le pays depuis plus de dix ans et où l’entreprise possède sa plus importante usine en dehors de la Corée du Sud, est en train de transférer une partie de sa production d’ordinateurs alors qu’il ferme une usine en Chine. Le Vietnam a bénéficié du fait que le marché de l’électronique a eu la chance d’être préservé au plus fort de la crise. Un épicentre de la crise de Covid-19 à Shenzhen, l’équivalent chinois de la « Silicon Valley » américaine plutôt qu’à Wuhan, aurait perturbé de manière majeure les chaînes de valeur mondiales de la filière électronique et atteint de manière beaucoup plus forte l’économie vietnamienne.

Cette augmentation de l’activité manufacturière au Vietnam a eu un impact direct sur le trafic maritime de marchandises. Les porte-containers ultra-large de Maersk, par exemple, qui faisaient habituellement escale à Singapour, marque désormais également un arrêt à Cai Mep, un des grands ports vietnamiens. En effet, l’augmentation des exportations vietnamiennes a accru la demande de transport maritime de manière assez importante pour qu’il devienne rentable pour les porte-containers de faire désormais escale au Vietnam. Ce nouvel arrêt permet un transport plus direct des biens produits au Vietnam vers leurs clients, ce qui diminue le coût global de transport, réduit le temps de transit des marchandises et rend le pays plus compétitif en tant qu’exportateur.

Le Vietnam a également bénéficié de l’augmentation du prix de riz de 20% sur les marchés mondiaux au début de la crise sanitaire. Or le riz est le principal produit d’exportation du Vietnam. La conjoncture lui aurait été moins favorable s’il avait exporté du coton ou du pétrole, dont les prix se sont effondrés au niveau mondial.

Mais la bonne santé de l’économie vietnamienne reste dépendante de son intégration mondiale

Le Vietnam a également profité de la crise pour engager son développement numérique jusque-là à la traine et améliorer sa compétitivité. Cela s’est traduit notamment par l’utilisation d’outils numériques pour lutter contre la pandémie avec la mise en place d’une application dédiée à la détection des cas contacts. Le contexte de la crise sanitaire a également été favorable à un projet d’introduction d’un nouveau système de paiement électronique pour atteindre la part de la population qui n’a pas accès aux comptes bancaires, au moment où les paiements électroniques supplantaient les échanges monétaires. Le Vietnam compte également tirer de nombreux enseignements de la période de confinement pour accélérer les services en ligne, dans différents domaines où il existe un fort potentiel de développement, comme l’apprentissage, le commerce électronique, la télémédecine ou encore l’administration en ligne.

Mais la bonne santé de l’économie vietnamienne reste dépendante de son intégration mondiale et un retour à sa trajectoire de croissance prometteuse ne peut s’envisager que si l’économie mondiale montre elle aussi des signes de reprise. Le Vietnam va devoir affronter de nombreux risques, comme la reprise tardive des échanges internationaux et le ralentissement du commerce international, estimé de 15% à 30% par l’OMC en 2020 ou encore le risque de la durée de la pandémie, avec des vagues successives de contamination voire de reconfinement partiel, avant que la majorité de la population mondiale ne soit ou auto-immunisée ou vaccinée. Un autre risque est la politique que le président élu Joe Biden mènera envers la Chine. Les autorités vietnamiennes s’attendent à ce qu’il maintienne une ligne dure envers Pékin, mais s’il revient sur les droits de douane punitifs imposés par l’administration Trump, la délocalisation des usines chinoises vers le Vietnam pourrait être remise en cause voire ralentir.

L’économie vietnamienne est vulnérable également au risque des infections venues de l’extérieur. Les secteurs du tourisme et des transports, qui sont un des moteurs de l’économie vietnamienne, ont été fortement touchés. Le nombre de touristes internationaux attendus en 2020 a chuté de 50% à 70%, soit environ 20 millions de personnes qui manquent à l’appel et qui n’ont pu être compensées par le tourisme intérieur. La période a vu la fermeture de milliers d’opérateurs touristiques.

D’autre part, le déficit budgétaire vietnamien s’est creusé, avec la baisse des recettes fiscales, l’augmentation des soutiens monétaires et la hausse des investissements. 2021 devrait voir un reflux des investissements publics que le gouvernement a fort opportunément accéléré en 2020, avant le congrès du Parti communiste en janvier 2021. La nouvelle équipe dirigeante du pays sera nommée à cette occasion et la manière dont le nouveau gouvernement choisira de conduire l’économie aura un impact significatif sur la compétitivité à long terme du Vietnam.

La crise Covid a enfin mis plus clairement en évidence les retards structurels de la politique économique vietnamienne. À moyen et long termes, le gouvernement vietnamien devra mettre l’accent sur la mobilisation des revenus pour les projets d’infrastructure verte, le renforcement des systèmes de protection sociale et la sauvegarde de la viabilité de la dette, tant de l’Etat que des entreprises.

Dans la traversée de la crise sanitaire en 2020, l’économie vietnamienne a certes eu de la chance, mais a su aussi faire preuve d’opportunisme et a surtout démontré une grande résilience. Même si un rebond important de la croissance est prévu en 2021, des difficultés économiques ne manqueront pas d’apparaitre dans les PME et dans les entreprises liées au tourisme et aux transports. Une prolongation de la crise en Occident, avec un impact encore plus important sur les échanges mondiaux, finirait par entraver la croissance vietnamienne qui a permis de sortir la population du pays de la pauvreté en une trentaine d’années et qui demeure une des grandes réussites de la mondialisation.