Le Sahel sera t-il notre Afghanistan ? – Emmanuel Dupuy

Depuis janvier 2013, début de l’opération Serval (Mali), à laquelle succède, en août 2014, l’opération Barkhane, sur un théâtre d’opérations élargi à quatre autres états du Sahel (Mauritanie, Burkina-Faso, Niger et Tchad), 55 militaires français sont morts dont 50 tués au combat.

Le décès, la semaine dernière, de cinq militaires français semble, néanmoins, relancer le débat quant à la légitimité et l’efficacité de la présence française.

Ce débat, nécessaire, met en exergue, cependant un paradoxe : celui de l’efficacité sur le plan militaire du dispositif militaire français. C’est particulièrement vrai, en 2020, année au cours de laquelle plus de 1000 membres de groupes armés terroristes (GAT) ont été neutralisés.

Parmi ceux-ci, le chef d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) Abdelmalek Droukdel, en juin 2020 et plus récemment, le 30 octobre dernier, Bag ag moussa, chef des opérations militaires du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM).

Par ailleurs, la plupart des opérations menées par l’opération Barkhane le sont désormais en étroite coordination avec les forces armées locales. Néanmoins, cela peut s’avérer insuffisant à convaincre les populations du bien-fondé de la présence française.

La plus récente, l’opération « Eclipse » engageant ainsi conjointement militaires français et forces armées maliennes est au centre d’une polémique – suite à des frappes menées sur deux localités situées dans le centre du Mali – eu égard à une guerre informationnelle engagée par les GAT.

Cette volonté manifeste de « décrédibiliser » la présence française va de pair avec les actions d’influence, récemment dénoncées par le président Emmanuel Macron, menées par plusieurs pays, que le chef de l’état français a nommément cité : la Turquie et la Russie.

C’est ce contexte paradoxal que la France va devoir gérer dans les prochains mois…

La France doit-elle quitter le Mali et le Sahel ? 

Il convient de rappeler, à ce propos, que la France est au Mali, depuis le 11 janvier 2013, à la demande du gouvernement de transition menée par Dioncounda Traoré. Il en a résulté la résolution 2100 du 25 avril 2013, créant la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

Depuis, sept résolutions onusiennes, dont la dernière (2531 de juin 2020) sont venues rappeler l’indispensable coopération entre la mission de stabilisation onusienne, le dispositif militaire français (Serval puis Barkhane, associée désormais à la Task Force Takuba associant – d’ici l’été prochain – onze forces spéciales européennes), les missions de formations européennes (European Union Training Mission – EUTM-Mali et European Union Capacity Border Assistance Mission – EUCAP-Mali & EUCAP Sahel – Niger), sans oublier celles du G5-Sahel, créé en février 2014, mais dont la Force conjointe aura attendue juillet 2017 pour être opérationnelle.

Plutôt que de parler d’un départ précipité des 5500 militaires français déployés au Sahel, au regard des récentes attaques qui ont tuées cinq militaires français, la semaine dernière, faut-il sans doute davantage évoquer la préparation du passage de relais aux forces armées constitutives du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso, Tchad).

C’est d’autant plus nécessaire que la reconstitution de ces dernières, favorisée par les différents programmes européens évoqués, constituera la réponse la plus résiliente et pérenne au vide sécuritaire qui a favorisé l’enkystement des groupes armés (notamment rebelles touaregs et groupes d’auto-défense peuls) et organisations terroristes (tant celles liées à Al Qaida (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans – GSIM – dirigé par Iyad Ag Ghali) et celles ayant prêtées allégeances à l’Etat islamique (notamment, l’Etat Islamique dans le Grand Sahara – EIGS – dirigée depuis mai 2015 par Abou Walid Al-Sahraoui, ou encore le mouvement nigérian Boko Haram, créé en 2009, agissant tant à l’est du Niger, au sud-ouest du Tchad ou au Nord-ouest du Cameroun).

Quelles pourraient être les évolutions opérationnelles du dispositif militaire français ?

 

Le Président Emmanuel Macron, devrait, sans doute, à l’occasion du prochain Sommet du G5-Sahel, prévu en février à N’Djamena, au Tchad, réajuster le format de Barkhane. L’on sait que 600 soldats français devraient prochainement quitter le théâtre d’opérations.

La question du départ éventuel des forces françaises devrait être, à terme, de sa mission posée, mais avant tout dans le contexte plus large de la plus forte mobilisation militaire régionale et internationale sur le continent africain (quelque 30 000 soldats déployés sur les cinq pays composant le G5-Sahel).

Pour rappel avec un coût annuel de 1,2 milliards de dollars, la MINUSMA, est l’opération la plus couteuse des Nations Unies. Avec 911 millions d’euros, cette année, l’opération Barkhane, est l’opération extérieure française la plus couteuse depuis 1962. L’acceptation du coût de telles missions, au sens financier, comme humain, après maintenant huit ans déjà, est devenue, en effet, la principale contrainte de tout déploiement militaire. Car, paradoxalement, comme en Afghanistan, en Syrie et en Irak, avant le Sahel, les opérations cinétiques mettent hors d’état de nuire de nombreux terroristes. Mais, cela suffit-il pour autant à rebâtir une gouvernance toujours défaillante et reconstruire une confiance des populations dans leurs propres institutions régaliennes ?

Le Chef d’état-major français des Armées, le Général François Lecointre a évoqué, à cet effet, le 17 décembre, que la France avait sans doute « fait le tour du cadran » permettant de limiter à l’avenir le niveau d’engagement des forces françaises. Il en sera question, en effet, lors du prochain sommet de N’Djamena, réunissant la France à ses partenaires, dans le cadre de la présidence tchadienne du G5-Sahel.

Il y a néanmoins une réalité nouvelle que ce sommet devra affronter consciemment. En effet, l’opération Barkhane évolue désormais dans un nouvel environnement politique, découlant autant du coup d’état militaire du 18 août dernier à Bamako, ayant inscrit le Mali dans une « transition » politique aboutissant à de nouvelles élections d’ici mars 2022, que de celui des processus électoraux récents ayant confirmés les présidents du Burkina-Faso, Roch Marc Christian Kaboré – dans la continuité de son deuxième mandat, ou du successeur du  président nigérien sortant, Mahamadou Issoufou.

Ce « paradoxe » mêlant changement et continuité dans le leadership politique autant que dans celui du commandement des appareils sécuritaires est une contrainte supplémentaire pour Paris.

Quel nouveau contexte politique et stratégique au Sahel ?

Le président burkinabé a été réélu pour un second mandat, le 22 novembre dernier. Le deuxième tour de l’élection présidentielle au Niger se déroulera le 21 février prochain. Le scrutin présidentiel n’aura lieu au Tchad, que le 11 avril prochain. Le nouveau pouvoir civilo-militaire malien tarde à concrètement mettre en application la Charte de transition politique sur lequel il s’était pourtant engagé, le 12 septembre dernier.

Bien que cela ne débouche sur des changements majeurs, il n’en demeure pas moins que les opinions publiques et citoyens sahéliens, qui ont encore payés un trop lourd tribut au terrorisme en 2020 – alors que 4250 d’entre eux sont décédés au Mali, au Burkina-Faso et au Niger – exigent avec plus de détermination qu’auparavant que leurs responsables politiques élus ou réélus trouvent une issue politique à une situation qui ne peut pas être gagnée que par le seul prisme militaire.

Il en découle évidemment, une nécessaire adaptation du dispositif militaire français, pour répondre à cette situation politique nouvelle qui implique la volonté – légitime – d’asseoir la stabilisation des états sahéliens sur un dialogue inclusif impliquant, comme l’a récemment rappelé le Premier ministre malien, Moctar Ouane « d’engager le dialogue avec tous les ­enfants du Mali sans exclusive, affirmant vouloir être en phase avec la volonté des Maliens et de tenir compte des réalités nationales ».

Il revient, bien évidemment, aux Maliens d’en déterminer le format et le calendrier.

Cela ne veut, cependant pas dire, que la France qui a perdu 55 de ses soldats, les états européens qui participent – soit par la formation, l’entraînement, ou de manière opérationnelle (Allemagne, Danemark, Italie, Estonie, République tchèque, Roumanie, Portugal, Espagne…sans oublier la Grande-Bretagne qui a décidé de renforcer sa présence à travers l’envoi de 300 soldats supplémentaires) – ou encore, les 29 états contributeurs de la MINUSMA, eu égard aux 135 Casques bleus décédés au Mali, depuis 2013, n’auraient pas leur mot à dire.

Sans doute, faudrait-il en revenir aux tâches prioritaires que la Communauté internationale avait appelé de ses vœux en 2013-2014, en sollicitant l’intervention militaire française et en la complétant par la mise en place de la MINUSMA.

Car, après tout, le retour de la sécurité, la mise en place d’un processus de stabilisation, la garantie de la protection des civils, l’appui au dialogue politique national et à la réconciliation nationale, l’appui au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays, la reconstruction du secteur de la sécurité malien, la promotion et la protection des droits de l’homme, et de l’aide humanitaire sont précisément les fondements sur lesquels la transition permettra la tenue d’élections présidentielle  et législatives plus inclusives que celles de 2018 et de 2020, ayant abouti au coup d’état du 18 août dernier.